Tamar, de la série Women of the Bible (photo © Dikla Laor).
Tamar, fille de David. #MoiAussi
Anne-Marie Chapleau | 2 janvier 2023
Lire : 2 Samuel 13, 1-22
Avertissement : toute ressemblance avec des personnes réelles… n’est peut-être pas si fortuite que cela ! L’histoire de Tamar s’est jouée, rejouée, et se joue encore. Malheureusement.
Non ! Le mot fuse, clair, limpide, sans équivoque : non ! Mais Amnon n’écoute pas sa demi-sœur. Le fils aîné de David brûle d’envie pour elle depuis si longtemps ! Et la voici enfin livrée à son bon plaisir. Seule ! Désespérément seule.
Elle a beau résister, invoquer tous les arguments qui pourraient le toucher, rien n’y fait. Elle n’est pour lui qu’une proie à saisir ; il ne se privera pas de son plaisir.
Il la viole sauvagement, puis se met aussitôt à la haïr d’une haine féroce, bien plus grande que l’amour – la caricature d’amour – qui le dévorait jusque là. Il la chasse.
Elle dit « non » à nouveau. Il faut la comprendre ; coincée comme elle l’est dans une société patriarcale, l’avenir n’a de sens pour elle que si elle devient épouse et mère. Or qui voudrait d’une femme salie, violée? La seule issue pour elle serait que son demi-frère l’épouse. Autres temps, autres mœurs ! « Parle donc au roi », lui dit-elle, « il ne refusera pas de me donner à toi » (v. 13).
Il ne l’écoute pas. En fait, il ne veut pas l’entendre. Elle n’est plus pour lui qu’un objet usagé dont il a hâte de se débarrasser. C’est ce qu’il fait sans ménagement.
Lumières sur un système
Comment ce drame sordide a-t-il pu avoir lieu? Parce que, comme dans bien d’autres cas d’abus, les acteurs qui gravitaient autour des deux principaux protagonistes de l’histoire n’ont rien fait ou sont devenus complices de l’agresseur.
L’ami
Il y a tout d’abord Yonadab, l’ami d’Ammon à qui ce dernier avoue sa passion. Yonadab aurait pu lui faire entendre raison ; bien au contraire, il lui suggère la ruse qui lui permettra de passer à l’acte. Bel exemple d’un certain type de solidarité masculine qui consolide la culture du viol !
Le père
Il y ensuite David, père de Tamar et d’Amnon. Il fait preuve d’une naïveté surprenante pour le roi qu’il est. Il consent sans poser de question à la demande d’Amnon d’envoyer Tamar à son chevet pour qu’elle le nourrisse de sa main. Car Ammon, alité, feint d’être bien malade. Comment David a-t-il pu croire que Tamar, par sa seule présence, possédait quelque pouvoir de lui faire prendre du mieux ?
Plus tard, après le viol, même s’il en est fort irrité, il ne fait rien « pour ne pas faire de peine à Ammon » (v. 21). Ça s’est vu ailleurs, ça ! Combien de détenteurs de l’autorité et du pouvoir d’agir ont préféré se soucier de l’abuseur plutôt que de sa victime ?
L’autre frère
Il y a encore Absalom, l’autre frère de Tamar, fils de la même mère qu’elle. C’est le seul qui accorde une certaine attention à Tamar : il comprend que quelque s’est passé et fait la bonne supposition : « Serait-ce que ton frère Amnon a été avec toi ? » (v. 20). Nous, lecteurs et lectrices du texte, retenons un instant notre souffle. Va-t-il lui demander ce qu’il peut faire pour elle ? L’écouter raconter ce qu’elle a vécu ? Eh bien non! Il lui intime plutôt l’ordre de se taire, de ne pas prendre cette affaire à cœur (v. 20). Ça aussi, c’est un refrain connu ! Combien de victimes d’abus ou de harcèlement se sont fait dire de « passer par-dessus », d’oublier cela, de ne pas en faire un drame ? Cela équivaut à balayer du revers de la main à la fois l’autre et son malheur.
Le malheur de Tamar
Car il y a bien un malheur pour Tamar ! Immense. Incommensurable. Elle l’exprime en déchirant sa tunique de luxe et en se couvrant la tête de cendres. La princesse devant qui s’ouvrait un avenir radieux n’est plus. Il ne reste qu’une femme blessée, abandonnée l’âme en ruines.
Anne-Marie Chapleau, bibliste et formatrice au diocèse de Chicoutimi.