L’autre Débora , de la série Women of the Bible (photo © Dikla Laor).
L’autre Débora
Anne-Marie Chapleau | 3 mai 2021
La Débora la plus connue de la Bible était prophétesse et juge. On entend parler d’elle aux chapitres 4 et 5 du livre des Juges. Mais il existe une autre Débora… C’est elle qui nous intéresse aujourd’hui.
Alors mourut Débora, la nourrice de Rébecca et elle fut ensevelie au-dessous de Béthel, sous le chêne ; aussi l’appela-t-on le Chêne-des-Pleurs. (Genèse 35,8)
Un verset pour dire la vie d’une femme, c’est bien peu! Et pourtant, les mots de ce verset rebondissent et s’entrechoquent sur d’autres dans le même chapitre. En fait, tissés les uns aux autres dans un texte, les mots ne sont plus ce que les dictionnaires s’emploient à définir, mais des figures qui s’ouvrent pour nous amener ailleurs. Et où donc irons-nous avec elles?
Béthel, la Maison de Dieu
À Béthel, sans doute, puisque c’est là que meurt Débora. Béthel, c’est la « Maison de Dieu » où Jacob avait jadis rêvé d’une échelle où circulaient des anges (28,10-22). C’est l’endroit où il avait pris conscience qu’il venait de rencontrer mystérieusement Dieu lui-même. Être ensevelie à Béthel, c’est donc en quelque sorte pour Débora se fixer pour toujours dans un lieu qui se définit par la présence de Dieu, un endroit où la terre est reliée au ciel. Ce n’est pas rien, même si personne encore à cette époque reculée ne songe même à la possibilité d’une résurrection d’entre les morts.
Le Chêne-des-pleurs
Mais avant Béthel, il nous faut passer, en même temps que Jacob, sa famille et tout son clan, donc aussi Débora, par Sichem où se trouve justement un autre chêne (Gn 35,3-5). Au pied de ce chêne, Jacob cache tous les objets qui liaient les siens à des idoles. Cet arbre devient dès lors un lieu d’oubli, tandis que celui qui abritera bientôt la sépulture de Débora sera, lui, un lieu de mémoire portant un nom : « Chêne-des-pleurs ». Ceux qui ont connu et sans doute aimé Débora viendront y laisser couler des larmes que la terre pourra recueillir et conduire doucement jusqu’aux restes de celle qui, autrefois, laissa généreusement couler son lait pour nourrir des vies nouvelles. Ils raconteront aux autres, qui n’auront pas connu Débora, qu’il vaut la peine de pleurer les femmes qui veillent sur les enfants d’Israël.
De la terre et du ciel
Ensuite, il nous faut suivre tout le clan pour nous diriger vers Éphrata (Gn 35,16-20). Et là, une femme meurt en donnant la vie, une femme livre son dernier souffle en appelant son enfant Ben-Oni, « Fils de ma tristesse ». Benjamin, comme le renomme aussitôt son père Jacob, devra, pour vivre, téter d’autres seins que ceux de Rachel. Il dépendra d’une nourrice qui fera déborder sa générosité maternelle vers un sang qui n’est pas le sien. Cette femme sera ainsi mystérieusement liée à Débora, la nourrice de la grand-mère de l’enfant qu’elle blottira dans ses bras. Et cet endroit, connu aussi sous le nom de Bethléem, la Maison du pain, deviendra un autre lieu de mémoire indiqué non par un arbre, mais par une stèle de pierre. Celle-ci, tout comme le Chêne des pleurs, pointera à la fois vers le ciel et vers la terre, comme pour dire que les femmes qui donnent la vie et qui meurent appartiennent aux deux.
Anne-Marie Chapleau est bibliste et professeure à l’Institut de formation théologique et pastorale de Chicoutimi (Québec).