Icône de la fuite en Égypte (CentreBethanie.org)
3. Les icônes coptes égyptiennes : la fuite en Égypte
Luc Castonguay | 28 février 2022
À la naissance de Jésus, après la visite des mages, Joseph eut un songe : un ange lui disait : « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. » (Matthieu 2,13)
Notons au départ une caractéristique générale, un marqueur génétique commun à toutes les icônes qu’elles soient byzantines, grecques, éthiopiennes ou coptes. La technique picturale de construction du visage (la forme du nez, des yeux, des lèvres) utilisée s’inspire de masques funéraires de l’Égypte romaine : les fameux portraits de Fayoum [1]. « La position figée, hiératique, le visage paisible aux yeux immenses contemplant la splendeur de l’autre monde, la palette de couleurs, l’importance de l’or qui évoque la lumière incréée et éternelle, sont autant d’éléments qui seront repris et développés dans l’iconographie chrétienne orientale [2]. » Le médium employé pour peindre ces masques et les premières icônes étaient aussi le même : la détrempe encaustique à la cire ou à l’eau sur bois. Ces masques datent du Ier au IVe siècle et, déjà à cette époque, les chrétiens ornaient certains lieux de scènes bibliques, de portraits de Jésus ou des apôtres. Beaucoup d’experts voient une filiation entre l’art pharaonique et l’art iconographique copte. « Plusieurs millénaires d’un art aussi puissant que celui des Pharaons ne peuvent pas ne pas avoir laissé de traces : si les cultes s’éteignent, les artistes et leurs procédés demeurent dans les mémoires. On n’oublie pas si vite ruses et formules d’ateliers, jalousement transmises de génération en génération [3]. »
Pour introduire brièvement la christianisation de l’Égypte, précisons qu’elle se fit rapidement et la tradition voudrait qu’elle soit l’œuvre de l’évangéliste saint Marc. L’Église copte orthodoxe est autocéphale, c’est-à-dire complètement indépendante de toute autre autorité, s’étant séparée de l’Église orthodoxe après le concile de Chalcédoine en 451. Cependant, les chrétiens d’Orient, même si leurs dogmes les ont séparés, restent unis par l’art et la beauté des icônes. L’Église copte ne connut pas les périodes iconoclastes byzantines, mais elle dut faire face elle aussi à l’intolérance, à la sévérité et à la persécution des divers conquérants de l’Égypte.
En ce qui regarde sa doctrine théologique, se distinguant des traditions iconographiques grecques ou russes, la vénération des icônes, même si elle y est pratiquée, reste plus limitée et l’Église n’a jamais officiellement tenu de Conciles pour discuter de cette question. « Les chrétiens orthodoxes d’Égypte n’étant pas tenus par les mêmes règles iconographiques rigides que le reste du monde orthodoxe, ils ont gardé une fraîcheur et une douceur spontanée qui émanent directement de leur spiritualité et de leur vision du monde [4] ».
En pratique, dans la liturgie copte orthodoxe, les icônes jouent un rôle beaucoup moins important. Mais il faut noter que le temps pascal (à partir du jour des Rameaux jusqu’à celui de l’Ascension) fait exception à la règle et les icônes ont une place conséquente dans le rituel de leur liturgie. L’icône reste un objet de culte consacré qui possède un pouvoir mystérieux. Pour les fidèles coptes, elle représente l’image d’un modèle à suivre. Ils y trouvent un soutien à leur foi dans les moments difficiles et une écoute à leurs prières [5].
Toutes les traditions iconographiques font usage des mêmes symboles, des mêmes thèmes pour exprimer une même foi mais chacune se démarque par leur style particulier, car elles représentent la culture, la foi et l’époque où elles se développent. L’icône de la fuite en Égypte que nous présentons ici est représentative de sa tradition. Sur toutes les icônes coptes, les visages des personnages sont disproportionnés par rapport au reste du corps ; la tête étant la demeure de l’esprit. Les personnages sont toujours peints en frontalité. Leurs yeux en amande sont grand ouverts, leurs oreilles, hautes placées, sont décollées et leur bouche est fermée. Ces traits donnent au visage une expression austère.
Michel Quenot souligne que « l’absence de naturalisme, d’émotion et de sensualité rappelle, en effet, que l’icône ne représente pas le monde de la chair, et la diminution de l’accent corporel permet la mise en évidence du spirituel exemplifié par les yeux démesurément larges, symbole de la vision intérieure [6]. »
Comme pour les icônes éthiopiennes, les couleurs employées, composées à partir de pigments locaux, sont très vives et chaudes : des rouges, des bleus, des ocres, des verts éclatants. Les éléments du paysage (les palmiers sur notre icône) et d’architecture (la maison en arrière-plan) sont très stylisés. Notons que les palmiers sont un symbole de l’immortalité de l’âme. Il est intéressant de bien regarder les flots bleus du Nil où le mouvement des vagues est très schématisé par des lignes très droites. Aussi les auréoles et le fond de l’icône sont dorés, faisant référence à la lumière divine.
L’âne et l’ibis
On peut aussi remarquer, comme autre singularité, que dans plusieurs icônes coptes ont y peint souvent des animaux en leur attribuant une fonction symbolique très forte. Ici Marie et l’enfant Jésus sont montés sur un âne, monture traditionnelle des rois. Les quatre poissons dans les eaux seraient le symbole des évangélistes et l’ibis sacré est le symbole du savoir et de la religion en Égypte [7].
Dans les icônes, tout a une référence symbolique, qu’elles soient de l’une ou l’autre des différentes traditions. Les couleurs, les formes, les personnages et leur mise en scène sont évoqués dans un langage métaphorique qui se doit d’être décodé pour arriver à la pleine compréhension de la scène représentée.
L’icône que nous avons choisie est une icône moderne qui s’inscrit dans l’école d’Isaac Fanous, et les caractéristiques que nous avons détaillées y sont encore plus prononcées. Si moderne soit-elle, cette école iconographique entre, par ses caractéristiques que nous avons notées plus haut, dans la tradition artistique de l’Égypte antique.
La citation prophétique au bas de l’icône
La fuite en Égypte est un sujet prisé par l’iconographie copte et l’Église appelle cette fête « Entrée de notre Seigneur en Égypte ». Un mot qui fait une grande différence, car la fuite a une connotation plutôt négative tandis que l’entrée est plus positive. Pour les Égyptiens, ce transfert de sens signifie qu’ils ont accueilli Jésus chez eux. Et comme pour l’intensifier, la prophétie biblique « D’Égypte, j’ai appelé mon fils » (Os 11,1) est inscrite au bas de l’icône. Jésus, fils de Dieu, fait une entrée royale, monté sur un âne. Cette même mise en scène, l’entrée messianique de Jésus, se répétera quelque 33 ans plus tard à Jérusalem, quelques jours avant sa Passion.
Pour conclure, nous dirons que cette brève étude démontre que les chrétiens d’Égypte ont tenu une place particulière dans la genèse de l’art iconographique dans ses dimensions artistiques, culturelles et spirituelles. Aussi, il serait intéressant de souligner que l’histoire de la fuite en Égypte n’est relatée que par une courte phrase dans l’évangile de Matthieu. Par contre, un texte apocryphe datant d’entre le Ve et VIIe siècles, l’évangile du Pseudo-Matthieu, donne beaucoup plus de détails, dans plusieurs courts chapitres (17-27), en racontant une série d’épisodes du voyage et de séjour de la Sainte famille en terre égyptienne ; quelques icônes coptes reprennent ces passages en image.
Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).
[1] Georges Drobot, « Quelques mots au sujet des icônes coptes », Le Monde copte 19 (1991), p. 59 et Christian Cannuyer, L’Égypte copte. Les chrétiens du Nil, Paris, Gallimard, 2000, p. 55.
[2] Ashraf et Bernadette Sadek, « Iconographie et icônes d’Égypte ».
[3] A. et B. Sadek, « Iconographie et… ».
[4] A. et B. Sadek, « Iconographie et… ».
[5]
Nelly van Doorn, « La vénération des icônes chez les coptes : aspects sociologiques », Le Monde copte 19 (1991), p. 114.
[6]
Michel Quenot, « Réflexions sur l’icône et sur l’icône copte en particulier », Le Monde copte 19 (1991), p. 54.
[7] Stéphane René, « D’Égypte j’ai appelé mon fils », Le Monde copte 19 (1991), p. 29.