Icône de Kateri Tékakwitha (détails) écrite des mains de Luc Castonguay (photos de l’icône © Luc Castonguay).
4. Les icônes chrétiennes dans les Amériques
Luc Castonguay | 25 avril 2022
Nous savons tous que les Amériques ont été colonisées par des vagues immigrantes de plusieurs nations devant fuir parfois des situations difficiles de guerre ou d’oppression religieuse dans leur pays. Ces immigrants sont venus espérant trouver ici une terre de fortune et de liberté et ont emporté dans leurs bagages leur culture et leur croyance. Et c’est dans ce contexte de multiculturalisme religieux que les icônes se sont faites connaître ici et que s’insère notre icône de Kateri Tékakwitha. Il ne faut pas oublier que la question de la liberté religieuse joue un rôle important et déterminant dans l’histoire du Canada, des États-Unis, des pays de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud, pour et dans le respect de tous.
Au début de la chrétienté, l’Église ne faisait qu’une et la théologie et la tradition iconographique aussi. Après le grand schisme qui a divisé l’Église d’Orient et d’Occident au XIe siècle, l’Église orthodoxe a toujours voulu garder jalousement cette tradition dans l’écrin de ses canons sans trop vouloir la partager hors de ses croyances. Ce qui a eu comme effet positif de la conserver dans son milieu d’origine chaste et inaltérée. Mais les icônes, présentes depuis le début, se sont propagées dans toute la chrétienté. À travers l’histoire et le temps, les catholiques sont restés proches de cet art religieux ancien et certains fidèles d’Églises réformées s’en sont rapprochés pour fin de dévotions. En Occident cette art est resté longtemps méconnu ou mal connu et était apprécié que par certains initiés.
Mais, depuis quelques décennies, l’iconographie a connu une vague de popularité. Les icônes anciennes et nouvelles aussi sont devenues pour les collectionneurs des œuvres d’art prisés, recherchés. Sa technique ancienne et sa théologie connaissent un engouement. Le pape Jean Paul II a écrit dans une lettre adressée aux artistes que d’une manière analogue à ce qui se réalise dans les sacrements, elle [l’icône] rend présent le mystère de l’Incarnation dans l’un ou l’autre de ses aspects [1]. » Nous devons savoir que dans la théologie orthodoxe, l’icône écrite dans le respect de ses canons et de sa tradition, devient présence.
Le Québec a vu, dans les années 90, émerger des ateliers spécialisés pour offrir cette formation. Des associations d’iconographes et iconophiles se sont formées pour les appuyer. Tout en restant adeptes des icônes traditionnelles, les iconographes ont créé pour fin de dévotion les icônes de leurs nouveaux saints canonisés : prenons l’exemple de celle du frère André. D’autres voulaient que les représentations des icônes traditionnelles soient plus proches de leur culture respective : pensons ici à celle de Notre-Dame de la Guadeloupe, très populaire en Amérique centrale. Il est légitime pour les fidèles de ce Nouveau Monde de vouloir des icônes plus proches de leur culture religieuse et sociale.
Cependant, comme nous l’avons déjà noté, l’Église orthodoxe n’accepte pas qu’en iconographie l’on sorte de la tradition et certains radicaux préfèrent qualifier d’objet d’art ces imagesempruntant la technique iconographique, à l’appellation d’icône qu’ils réservent uniquement à celles respectant toutes les règles canoniques. Pourtant l’icône à travers le monde est en effervescence. Encore de nos jours, plusieurs iconographes, de diverses nationalités et de diverses confessions, exercent leur art avec le plus grand respect de la tradition et des canons qui la régissent dans les Églises orthodoxes. Ils perpétuent ainsi sa continuité. Néanmoins, d’autres la font évoluer en la teintant de leur milieu culturel, social ou religieux au travers des multiples dénominations chrétiennes.
Peut-être qu’en Amérique, plus qu’ailleurs, l’icône a-t-elle été à la rencontre de plusieurs traditions religieuses. Et les icônes des Amériques sont généralement plus modernes et certains iconographes de notre époque se font plus laxistes face aux règles techniques et théologiques. On peut donner en exemple ici l’iconographe américain William Hart McNichols S.J. Ses très belles icônes sont modernes dans la représentation des scènes et des personnages, cependant certaines s’en s’éloignent, comme celles dont le fond est très obscur, s’opposant ainsi à la luminosité si importante chez les byzantins. Mais il serait très certainement mal intentionné de nier à ses icônes leur grande valeur théologique et leur apport à la diffusion de la foi chrétienne de leur communauté. Car, qu’elle soit reprise dans l’une ou l’autre des traditions chrétiennes, « l’iconographie religieuse à son meilleur est une invitation à approfondir l’amour. Cela exige un calme contemplatif, un regard intentionnel et une volonté d’être « vu » en retour [2]. »
Ma réflexion, très personnelle, est que les icônes ont connu d’autres mutations au contact de diverses cultures et à divers moments, comme nous l’avons vu dans les articles précédents. Cet art évolue dans différents espaces et dans différents temps, ce qui lui confère une grande valeur œcuménique. Ces images – eikona en grec – des personnages de la tradition chrétienne invitent tous les fidèles à la prière indépendamment de leur confession ; par leur contemplation et leur vénération, les orants assurent leur perpétuelle présence.
Enfin, nous ne saurions conclure cette réflexion sur la tradition iconographique dans les Amériques sans donner quelques explications sur le symbolisme de l’icône qui accompagne ce texte. C’est dans une optique de caractérisation culturelle que nous avons choisi l’icône de sainte Kateri Tekakwitha qui représente bien cette mouvance qu’est la tradition iconographique dans le Nouveau Monde.
Kateri Tékakwitha était une amérindienne née d’une mère algonquine et d’un père agnier (du clan de la tortue) une des cinq nations iroquoises. Kateri (baptisée Catherine) était surnommée le « lys des Agniers ». Couverte de vérole depuis l’enfance, restée vierge, elle mourut le 17 avril 1680 à l’âge de 24 ans. « On raconte qu’un quart d’heure après sa mort, son visage fut transfiguré et devint d’une grande beauté [3]. »
Très tôt, après sa mort, elle suscita auprès des colons et des autochtones du Nouveau Monde une grande dévotion. Ce n’est que 300 ans après sa disparition qu’elle fut déclarée vénérable par Pie XII le 3 janvier 1943, nommée bienheureuse par Jean Paul II le 22 juin 1980 pour enfin être canonisée par Benoît XVI le 21 octobre 2012. Kateri fut la première autochtone d’Amérique du Nord à être canonisée. Sa fête liturgique est célébrée le 17 avril [4].
Cette icône fut créée par l’iconographe russe Alexandre Sobolev à Montréal dans le respect de la tradition byzantine traditionnelle dans sa technique et sa symbolique. Le personnage, vu de face, semble figé dans sa posture. Son regard droit, veut établir un contact avec le priant. Sa bouche fermée impose le silence propice à la prière et les oreilles sont grandes à l’écoute du message divin. Elle porte en ses mains avec les lys qui symbolisent sa pureté, la croix des martyrs.
Sa robe peinte d’une couleur s’approchant de la peau de bête est décorée de dessins géométriques aux couleurs criardes. Ceci rappelle la coutume de certaines tribus d’Amérindiens de cette époque de perler leurs vêtements ; ce symbolisme resitue Kateri dans son milieu social. Les conifères à ses pieds la replacent dans son milieu de vie, la forêt québécoise. Le châle bleu sur ses épaules fait référence à la légende qu’elle se couvrait toujours pour cacher son visage pustuleux. Le bleu est une couleur virginale et il est souvent associée à la Vierge Marie. Et pour finir cette brève lecture iconographique de l’icône, la tortue posée à ses pieds rappelle le clan auquel elle appartenait.
Nous pouvons donc conclure en disant que l’icône de sainte Kateri Tékakwitha est une fière représentante de la jeune tradition iconographique, point de rencontre du Nouveau et de l’Ancien Monde.
Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).
[1] Jean Paul II, « Lettre de Jean Paul II aux artistes » (consulté le 16 septembre 2019).
[2]
Michael V. Tueth, The icons of William H. McNichols, [The icons of William Hart McNichols | America Magazine].
[3]
Diocèse de Saint-Jean de Longueuil, Sainte Kateri Tekakwitha, protectrice du Canada, [17 avril - Fête de sainte Kateri Tekakwitha (dsjl.org)].
[4]
Henri Béchard, Dictionnaire biographique du Canada, [Biographie – TEKAKWITHA (Tekaouïta, Tagaskouïta, Tegakwitha), Kateri (baptisée Catherine) – Volume I (1000-1700) – Dictionnaire biographique du Canada].