L’Annonciation d’Oustioug. Icône, c. 1120-1130. Tempera sur bois, 238 x 168 cm. Galerie Tretiakov, Moscou (Wikipedia).
L’Incarnation du Verbe
Luc Castonguay | 23 mars 2020
La fête de l’Annonciation, l’incarnation de Jésus, est associée intimement à celle de sa Nativité. Neuf mois avant sa naissance, Jésus fut conçu par l’Esprit Saint dans le sein d’une vierge de Nazareth. Cet acte de foi proclamé comme le symbole de Nicée-Constantinople en 381 dit : « Nous croyons […] en un seul Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu [qui] s’est incarné par le Saint-Esprit, de la Vierge Marie et s’est fait homme », ce qui est accepté depuis par presque toutes les confessions chrétiennes.
« L’Annonciation est donc la révélation du mystère de l’Incarnation au commencement même de son accomplissement sur la terre. Le don que Dieu fait de lui-même et de sa vie pour le salut, en quelque sorte à toute la création et proprement à l’homme, atteint l’un de ses sommets dans le mystère de l’Incarnation. [1] »
Un peu d’histoire
Nous savons qu’avant le Ve siècle, Noël se fêtait à Jérusalem le 6 janvier. Alors l’Annonciation, si elle se fêtait à cette époque, devait être le 6 avril. « Ce n’est que plus tard, [à Constantinople et à Jérusalem] aux environs de l’année 425 ou 430, qu’on aura adopté la date du 25 mars [2] ». Mais dans les Églises occidentales, l’Annonciation se fêtait au Ve siècle, quelques jours avant Noël. Il a fallu attendre le Concile in Trullo de 691-692 pour fixer sa date au 25 mars pour toute la chrétienté.
L’icône orthodoxe russe que l’on va sommairement lire, l’Annonciation d’Oustioug, date du XIIe siècle et est conservée à la galerie Tretiakov à Moscou. Comme plusieurs icônes anciennes, elle a une histoire de prodiges assez spectaculaires. La légende affirme qu’elle aurait sauvé la ville d’Oustioug lors d’une pluie de fragments de roches brulants provenant d’une météorite, d’où l’origine de son appellation.
Un peu de technique
Il existe plusieurs représentations iconographiques de l’Annonciation. Ce thème a été très étudié et travaillé au cours des siècles par les différentes écoles.
Commençons par regarder la mandorle au faîte de l’icône (voir l’image plus haut). Elle symbolise l’action de l’Esprit Saint qui descend sur Marie. On peut y voir Jésus, Dieu, assis sur son trône et plus bas on distingue encore l’Emmanuel, déjà homme, peint dans le sein de Marie (voir limage suivante). On peut remarquer aussi que cette icône est très sobre dans son décor. Très peu en subsiste, sauf le marchepied sous les pieds de la Vierge et quelques lignes horizontales qui laissent supposer peut-être une architecture.
La Vierge se tient debout en face de l’archange Gabriel, mais elle ne le regarde pas. Elle a la tête humblement baissée dans une posture de résignation et/ou de consentement. Les couleurs de ses vêtements sont toujours les mêmes, comme sur toutes les icônes, c’est-à-dire canoniques : son manteau dans les teintes de bourgogne et sa robe dans celles de bleu. Cette icône, qui date de plus de huit cents ans, a conservé sur le manteau de Marie quelques traces des trois étoiles qui symbolisent sa virginité perpétuelle (ante partum, in partu, post partum) et aussi un peu des franges dorées qui le bordaient. Notons aussi que dans presque toutes les représentations de l’Annonciation, Marie tient dans sa main droite une pelote de fil rouge et ce détail encore très visible sur l’Annonciation d’Oustioug provient du Protévangile de Jacques au chapitre X dans lequel elle fait partie des vierges choisies pour tisser le rideau du temple de Jérusalem.
Gabriel, le porteur de La Bonne Nouvelle, ne touche pas terre ; il est comme en suspension. Il porte une tunique orangée et son himation (vêtement drapé) qui est peint dans les teintes d’ocre est très éclairé au niveau de l’épaule, de la cuisse et de la main droite. Dans les icônes, l’éclaircissement des vêtements est plus accentué dans les endroits où ils touchent au corps (la lumière émanant de l’intérieur du personnage plutôt que de l’extérieur comme dans le monde temporel). Sa main droite est tendue vers Marie et la position des doigts laisse supposer un geste de bénédiction. Sa chevelure et ses ailes sont décorées d’assist, c’est-à-dire de minces traits d’or. L’or reflète la lumière céleste et symbolise le divin. Il existe d’ailleurs une autre icône de l’archange Gabriel, « L’Ange aux cheveux d’or » (voir l’image plus bas). Celle-ci est de la même époque et de la même école, dite de Novgorov, que l’Annonciation d’Oustioug. On constate que les visages se ressemblent et les cheveux sont de la même facture pour ne pas dire du même salon de coiffure.
L’ange de l’Annonciation d’Oustioug (à gauche) et celui dit « aux cheveux d’or » (à droite).
Les points (trous) que nous pouvons voir sur tout le cadre de l’icône et sur le contour de la Vierge ont dû servir à maintenir sa riza (revêtement métallique souvent enrichi de pierres précieuses qui lui sert de protection et bien sûr aussi de décoration).
Un peu de théologie
Saint Luc, présumé par la tradition d’être le premier à avoir écrit trois icônes de la Vierge, a bien fait de commencer son évangile par le récit de l’Annonciation car c’est à ce moment précis que commence l’histoire de la Seconde Alliance de Dieu avec son peuple, par l’incarnation du Verbe.
Luc a choisi de structurer le péricope de l’Annonce faite à Marie selon un modèle employé par différents auteurs dans plusieurs textes bibliques de l’Ancien Testament : l’appel de Gédéon (Jg 6), ceux d’Abraham (Gn 12 ; 15), de Sarah (Gn 18,9-14), d’Isaïe (Is 6,1-13), de Samson (Jg 13), etc. [3] Ce modèle comporte six phases bien déterminées qui se retrouvent très clairement dans Luc 1,26-38. La première, la manifestation du messager divin : « l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu […] à une vierge » (v. 26,27). La deuxième, les paroles d’introduction : « il entra chez elle et lui dit : Salut comblée de grâce le Seigneur est avec toi » (v. 28). La troisième, la mission réclamée : « Voici que tu concevras et enfanteras un fils […] Il sera grand et on l’appellera le Fils du Très Haut » (v. 31-32). La quatrième, les objections ou les doutes : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? » (v. 34). La cinquième, la réassurance : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très Haut te prendra sous son ombre » (v. 35). Et finalement la sixième, le signe : « Et voici qu’Élisabeth, ta parente, vient, elle aussi, de concevoir un fils en sa vieillesse […] car rien n’est impossible à Dieu» (v. 36-37).
Je me souviens d’avoir vu sur un des piliers du monastère de Ferapontov en Russie, les fresques de chacun des quatre états de Marie face à cette annonce très bouleversante pour une jeune fille vierge et déjà promise à un homme ; l’appréhension, l’inacceptation, l’hésitation et finalement l’acceptation « Je suis la servante du Seigneur; qu’il m’advienne selon ta parole » (v. 38).
« Le mystère de l’Incarnation s’est accompli lorsque Marie a prononcé son fiat : « Qu’il m’advienne selon ta parole! » rendant possible, pour ce qui la concernait dans le plan divin, la réalisation du dessein de son Fils. [4] »
Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).
[1] Jean Paul II, Lettre Encyclique Redemptoris Mater; no 9,22, 25 mars 1987.
[2] Siméon Vailhé, « Origine de la fête de l’Annonciation », Échos d’Orient 9/58 (1906), p. 145.
[3] Bea Wyler « Mary’s Call », dans Athalya Brenner et collab., A feminist companion to the Hebrew Bible in the New Testament, Sheffield, Sheffield Academic Press, 1996, p 137-138.
[4] Jean Paul II, Lettre Encyclique Redemptoris Mater; no 13,33, 25 mars 1987.