Le baptême du Christ. Icône du XXe siècle (détails).
« Celui-ci est mon Fils Bien-aimé »
Luc Castonguay | 6 janvier 2020
Nous sommes à l’étude de l’icône de la cinquième grande fête du calendrier liturgique orthodoxe : La Théophanie ou le Baptême du Christ. Elle est célébrée lundi le 6 janvier 2020 pour les Églises (orthodoxes grecs) qui suivent le calendrier grégorien et le dimanche le 19 janvier pour celles qui ont conservé le calendrier julien (orthodoxes russes). Notons que jusqu’au IVe siècle, la nativité et le Baptême de Jésus étaient fêtés le même jour [1].
Un peu d’histoire
Chez les chrétiens catholiques, cette fête est jumelée à celle de l’Épiphanie qui commémore la visite des mages à la crèche. Le mot Épiphanie par son origine grec epphanios signifie « ce qui apparaît », et pour l’Église de Rome cette fête célèbre la reconnaissance de l’avènement de l’enfant Dieu par les hommes. D’ailleurs les mages sont venus de contrées lointaines et différentes pour connaître et reconnaître le Roi des cieux.
Tandis que pour l’Église d’Orient, la fête de la Théophanie – mot qui a en partie la même origine étymologique grec phanios et signifie apparition de Dieu – célèbre la reconnaissance de Jésus comme le Fils de Dieu lors de son baptême, moment où s’est produit une des rares manifestations sur terre, la manifestation trinitaire du Père, du Fils et de l’Esprit. Et pour les orthodoxes la fête de la Grande Théophanie est plus importante que celle de Noël car elle célèbre la révélation divine de Jésus Christ. En peu de mots, l’Église chrétienne d’Occident fête l’Homme-Dieu tandis que celle d’Orient fête le Dieu-Homme. On peut comprendre la Nativité comme la fête de la Sainte Famille, et la Théophanie comme celle de la Divine Famille, la Trinité. Disons pour faire le point d’une façon un peu humoristique que dans les temps de Noël, les rencontres familiales sont de tradition chrétienne. « Dans sa Nativité, dit saint Jérôme, le Fils de Dieu vint au monde de façon cachée, dans son Baptême, il apparut de façon manifeste [2]. »
Un peu de technique
Chaque icône reçoit un nom (son baptême) qui est inscrit généralement sur la bordure supérieure de l’icône. Les appellations de celle-ci sont très significatives de son histoire et de sa symbolique : « la Théophanie ; l’Épiphanie ; la Fête des lumières ; l’Abaissement, la Mort [3]. »
Il est à remarquer que les deux premières font référence aux Écritures. La troisième, Fête des lumières, se rapporte à l’histoire car elle rappelle, comme nous l’avons déjà dit, la symbolique de la fête chrétienne de Noël et de celle païenne, plus ancienne, du solstice d’hiver. Par-contre, les deux dernières appellations ont plutôt de quoi nous surprendre. Mais si nous lisons attentivement l’icône, on peut faire un rapprochement par leurs symbolismes entre les récits de la mort et la résurrection de Jésus et celui de son baptême. Comme sur la croix, Jésus « s’anéantit en descendant dans les eaux du fleuve […] et, dans la nudité de son corps, il se révèle comme le Nouvel Adam [4]. »
Par le bleu-noir des eaux du Jourdain flanqués de hautes montagnes de chaque côté on comprend dans quel abîme Il est entré. Il est placé au milieu de l’eau, à la fois immergé et émergé, entre la rive du monde céleste où quatre anges se tiennent et celle du monde terrestre où se trouve Jean. Cette mise en scène démontre ses deux hypostases : vrai Dieu et vrai homme. Dans cette représentation Jésus se présente en vainqueur des forces maléfiques et des puissances habitant les abîmes symbolisés par les deux créatures que l’on aperçoit dans ses profondeurs. « Quand il descend dans le Jourdain pour être baptisé par Jean le Précurseur, il purifie l’eau, substance de base à l’origine de la vie et infiltrée par Satan [5]. »
Le fond de l’icône est entièrement doré ce qui symbolise et reflète la lumière divine. Au milieu, les cieux s’ouvrent devant la préséance de la voix du Père. On voit l’Esprit qui descend sur Jésus sous forme d’une colombe. Il n’est écrit dans aucun texte évangélique que l’Esprit était une colombe mais bien « tel ou comme une colombe » et c’est pourquoi plusieurs iconographes préfèrent ne pas la représenter dans leur travail.
Jean, à gauche sur l’icône, désigne du doigt Jésus objet et sujet de la scène : « Voici l’agneau de Dieu. » (Jn 1,29) À droite les quatre anges, les mains couvertes en signe de vénération, se tiennent en adoration comme au moment de sa naissance. « Les anges reconnaissent le Fils de Dieu en ce Jésus qui s’humilie [6]. »
La hache au pied de l’arbre rappelle la prophétie du Baptiste : « Déjà la cogné [la hache] se trouve à la racine des arbres … » (Mt 3, 14), qui invite à la conversion, au baptême.
Un peu de théologie
Le Jourdain devient le bain de la nouvelle Alliance. « Parut un homme envoyé de Dieu, il se nommait Jean, il vint comme témoin, pour rendre hommage à la lumière, afin que tous crussent en lui. » (Jn 1,6-7) Cette phrase résume assez bien toute l’icône du Baptême du Christ. Deux grands Pères et Docteurs de l’Église, saint Cyrille de Jérusalem et saint Jean Damascène, soulignent que la Théophanie est « le point culminant de la maturité, la manifestation de l’humanité du Seigneur dès lors déifiée [7]. »
Jésus est déclaré ici vrai Dieu et vrai Homme. De sa main droite Il bénit l’eau préfigurant l’eau baptismale. Devenue sanctifiante, de source de mort elle devient source de vie. « Le vieil homme (l’ego, avec ses programmations archaïques) doit mourir pour que vive l’homme nouveau [8] » ouvert sur l’amour de Dieu et du prochain.
Les Écritures et l’icône de la Théophanie nous présentent Jésus d’une double manière. En Sauveur : « Voici que vient dernière moi celui qui est plus puissant que moi » (Mc 1,7) et en Serviteur du Père : « Celui-ci est mon Fils bien aimé » (Mt 3,17).
Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).
[1] Paul Evdokimov, L’art de l’icône, théologie de la beauté, Desclée De Brouwer, 1990, p. 225.
[2] Paul Evdokimov, L’art de l’icône …, p. 239.
[3] Alfredo Tradigo, Icônes et saints d’Orient, Paris, Hazan, 2005, p. 122.
[4] Alfredo Tradigo, Icônes et …, p. 122.
[5] Michel Quenot, Les clefs de l’icône, Saint-Maurice, Éd. Saint-Augustin, 2009, p. 106.
[6] Michel Saint-Onge et Mireille Éthier, Parole pour nos yeux, Sainte Foy, Éd. Anne Sigier, 1992, p. 52.
[7] Paul Evdokimov, L’art de l’icône …, p. 240.
[8] Jean-Yves Leloup, L’Icône, Une école du regard, Paris, Éd. Le Pommier-Fayard, 2000, p. 55.