chronique du 2 juin 2006
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Quelques questions
posées par le Code Da Vinci Plus de 40 millions dexemplaires pour le roman. Grand lancement à Cannes pour le film. Plus de deux cents copies de ce même film, au Québec seulement. Du jamais vu. Un premier week-end qui fracasse des records. Quon le veuille ou non, pour le meilleur et pour le pire, le désormais célèbre Code Da Vinci devient devant nos yeux lune des plus marquantes uvres de fiction de ce début de siècle. Dun strict point de vue social, le phénomène ne peut pas être écarté. Réflexions sur quelques unes des questions que soulève le roman. Résumé
de lintrigue Alors que le conservateur du Louvre a rendez-vous avec un spécialiste en symbolisme religieux venu de Harvard, il est retrouvé mort aux pieds de la Joconde... La victime, membre important d'une société secrète aurait, peu de temps avant sa mort, dissimulé des indices que seuls sa petite fille, Sophie Neveu, et le spécialiste des symboles, Robert Langdon, peuvent décrypter. Les deux protagonistes deviennent rapidement les principaux suspects et devront, pour découvrir le fin mot de l'histoire, suivre des indices de plus en plus complexes. Au cours de leurs recherches, ils apprendront détonnantes vérités sur Jésus de Nazareth, Marie-Madeleine et les origines du Christianisme. Ces révélations, si elles devenaient publiques, ébranleraient les fondements de lÉglise et de la société occidentale. Une étonnante chasse aux trésors sengage qui les mènera de la France à lAngleterre. Antiquité chrétienne, Moyen Âge, lignée royale, chevalerie et Croisades (anciennes et modernes). Rendez-vous avec une relecture de lhistoire qui pourrait tout changer Point de vue cinématographique Les opinions sont partagées. Quelques voix sélèvent et crient au génie, mais la plupart des critiques sont plutôt modérés. La Presse du samedi 20 mai 2006 titrait : « Tout ça pour ça! ». Et de conclure : « Un film moyen, tiré dun roman moyen. » Jabonde personnellement dans le même sens. Il sagit, au plus, dun bon thriller à lAméricaine que lon dévore sur les plages au cours des vacances dété. Rien de plus, rien de moins. Il en va de même pour le film. Il sagit dune superproduction à la sauce Hollywood, rien de plus, rien de moins. Le film aurait pu étant donnés les budgets extraordinaires qui lui ont été alloués être mieux ficelé, plus audacieux, mais globalement ce nest pas mauvais. Une bonne partie du film est intéressante et même enlevante. Vers le milieu, on se perd dans une longue démonstration « historique » et on y perd aussi en rythme. Deux heures et demie dénigmes et de courses finissent par avoir raison même des plus mordus. Au moment des grandes révélations de la fin, sur les origines du personnage de Sophie Neveu, lassistance est un peu engourdie. Cest trop! Le réalisateur, Ron Howard, a préféré illustrer le livre, ajoutant ici et là des effets spéciaux et des reconstitutions historiques. À mon avis, linvraisemblance de la thèse devient très manifeste car, dans le film, tout est présenté en très peu de temps. La fiction ou la fantaisie pseudo-historique devient très évidente. En changeant les noms des personnages et des lieux, lauteur aurait pu nous offrir sa relecture dune autre grande figure de lhistoire. Le livre et le film auraient pu être intéressants, mais je doute que nous aurions assisté à un tel succès. Le côté percutant de luvre réside presque exclusivement dans le fait quil propose une relecture du personnage central du christianisme : Jésus de Nazareth. Points de vue historique et biblique Le livre est clairement présenté comme une uvre de fiction, un roman. Et pourtant, il prétend sappuyer sur des faits. Au tout début, une note explicative affirme que le Prieuré de Sion a vraiment existé, que lOpus Dei est une organisation catholique controversée et, la note finale, que « toutes les descriptions de monuments, duvres dart, de documents et de rituels secrets sont avérées » (Code Da Vinci, JC Lattès, Paris, 2004, p. [9]). Ce roman sappuierait sur lhistoire, ancienne et moderne. Dès lors, il est difficile de départager les faits de la fiction. Essayons de mettre au clair, au moins deux des principales questions posées par le film. 1) Les sources
historiques pour connaître Jésus de Nazareth (photo @ Gaumont Columbia Tristar Films) Dans le film, dans lentrevue avec le professeur Leigh Teabing joué par le grand acteur Ian McKellen , les deux principaux protagonistes sont mis en contact avec les évangiles de Philippe et de Marie-Madeleine. On y présente une figure de Jésus qui bouscule et dérange : le Maître embrasse sa disciple et lui confie les rênes de la jeune communauté. De là, sélabore toute une théorie où lÉglise de Pierre se serait opposée à celle de Marie-Madeleine. Le « spécialiste » laisse entendre quune église masculine pour ne pas dire misogyne aurait entrepris de faire disparaître la « vraie Église » qua fondée le Christ, celle dirigée par Marie-Madeleine, sa principale disciple et son épouse. Par la suite, lÉglise de Pierre, dirigée par des hommes, a tout fait pour réduire la place des femmes et de la féminité. Dans ses symboles, dans sa pratique, dans ses rituels. Quelles que soient les inexactitudes et les imprécisions qui entourent cette thèse, elle pose quand même la question des meilleures sources, au plan historique, pour connaître Jésus de Nazareth. Contrairement à ce que lon dit parfois, Jésus bénéficie dun statut unique dans lAntiquité. Les écrits qui le présentent sont nombreux et variés. Grâce aux recherches, on connaît lannée de sa naissance et de sa mort (ce qui est très rare), les grands événements qui ont marqué sa vie; on peut dater les écrits qui parlent de lui avec une relative précision; on peut identifier les influences et les courants qui ont produit ces documents. En bout de ligne, pour lhistorien, les sources fiables se résument aux écrits suivants. 1. Les documents chrétiens : quelques passages des lettres de Paul (les plus anciens écrits du NT), les quatre évangiles canoniques (Marc, Matthieu, Luc et Jean). 2. Les documents non-chrétiens. Quelques extraits très minces dauteurs romains comme Pline et Suétone, ainsi quun passage de lhistorien juif Flavius Josèphe. Voilà pour les sources dites fiables sur le Jésus de lhistoire. Ici, fiables ne veut pas dire que les historiens les reçoivent demblée, sans les questionner. Au contraire! mais de ces écrits, il est possible de dégager des principaux faits sur la figure historique de Jésus de Nazareth. Il existe plusieurs autres écrits qui traitent du Nazaréen les évangiles de Philippe et de Marie-Madeleine, par exemple, mais ils nont pas été reconnus par lÉglise naissante. Les sciences modernes de lhistoire tendent à lui donner raison. Voici pourquoi :
Le processus de sélection des écrits bibliques est à la fois plus simple et plus complexe que ce que suggère le livre et le film. Dans les faits, une première liste des écrits du Nouveau Testament existe dès le deuxième siècle, le Canon de Muratori (~165-185). Cette liste établit pour l'Église romaine un « Nouveau Testament » très proche de celui que nous avons actuellement il ny manque que trois livres sur vingt-sept. Or, les évangiles dits « apocryphes » ny sont pas nommés. Plus de 150 ans avant Constantin et le Concile de Nicée, on avait déjà écarté de nombreux écrits. De façon définitive, en 367, pour l'Église d'Orient, et en 382, pour l'Église d'Occident, la liste des 27 livres actuels du Nouveau Testament fut clairement précisée. Des écrits dit « apocryphes » dont les évangiles de Thomas, Philippe et Marie-Madeleine furent encore une fois écartés, non parce quil remettait en question la divinité du Christ, mais parce quon jugeait que le Nazaréen n'y était pas présenté avec justesse. Les quatre évangiles du Nouveau Testament étaient déjà considérés comme les plus fiables, les plus anciens, les plus authentiques et les plus reconnus par lensemble des Églises. À la lumière de ces quatre évangiles, déjà considérés comme vénérables, on évaluait les autres. Ce nest pas la décision « du Concile de Nicée » ou dune instance plus ou moins secrète qui a écarté les évangiles « apocryphes », mais lusage quon en faisait dans les églises chrétiennes. La décision na fait que confirmer une pratique très ancienne et très largement répandue. Cela dit, les évangiles apocryphes ont un intérêt historique. Ils nous permettent de mieux comprendre les différents courants de lÉglise naissante, les différentes tendances. Ils nous permettent de comprendre ce que lon disait de Jésus au IIIè ou IVè siècle dans telle ou telle région où le christianisme sétait implanté. Y trouve-t-on des informations privilégiées sur le Jésus de lhistoire? Non. Rien en tout cas quon ne trouve déjà dans les évangiles reconnus. 2) LÉglise
de Marie-Madeleine (photo @ Gaumont Columbia Tristar Films) Il sagit très certainement de lune des thèses les plus séduisantes du roman de Dan Brown : le Christ, féministe avant le temps, aurait confié son Église aux mains dune femme. Avec le temps, lÉglise de Pierre, celle dirigée par des hommes, aurait renversé cette Église et laurait remplacée. Depuis ce jour, cette institution lire lÉglise catholique manifesterait une méfiance certaine envers la féminité et les femmes. Dans les faits, dun strict point de vue historique, « lÉglise de Marie-Madeleine » na pas existé. Ou si elle a existé, elle na pas laissé de traces historiques, quoiquon en dise. Dun point de vue biblique, cest vrai, Marie-Madeleine est présentée comme un modèle de disciple dans lévangile de Jean. Témoin de la résurrection (Jean 20), elle est envoyée auprès des apôtres pour annoncer la résurrection. Là sarrêtent les repères bibliques Il ne sy trouve aucun indice valable, dans aucune sources anciennes, pour appuyer quelle ait été maîtresse ou épouse. Cest un élément de fiction. Même lextrait de lévangile de Marie-Madeleine, cité par Dan Brown, ne décrit pas le baiser dun amoureux, au sens littéral, mais létreinte du Christ pour son Église. Le personnage de Marie-Madeleine y est clairement symbolique. LÉglise naissante a été dirigée par des hommes pour la simple raison que Jésus avait choisi Douze Apôtres qui étaient tous des hommes. À lépoque, il aurait été difficile de faire autrement. Aujourdhui, bien sûr, tout un débat sélabore sur la pertinence de limiter le presbytérat aux hommes seulement, et il est légitime dy réfléchir. Si Jésus revenait dans les sociétés occidentales, là où les femmes exercent un droit de parole, là où elles peuvent assumer un rôle public reconnu, est-ce quil nen choisirait pas comme apôtres? Question intéressante, mais il faut reconnaître quelle se pose davantage pour aujourdhui que pour autrefois. Il sagit dun bel exemple de projection : nous situons dans le passé des questions et des réponses que lon se pose aujourdhui. À lépoque, on ne pouvait même pas les entrevoir, pas de cette façon, en tout cas. Est-ce que, dans une Église dirigée par des hommes, il y ait eu, plus ou moins consciemment, une certaine crainte des femmes et de la féminité? Cest possible, et cela mérite réflexion. Mais croire quil ait eu un complot, dès les origines, pour « écraser » la branche féminine de lÉglise, cest prêter au passé une malveillance dont on a pas de traces historiques et qui est peu crédible. On peut citer, bien sûr, lun ou lautre passage des épîtres de Paul, mais ce serait malhonnête de dire que lApôtre était bien différent de son époque en cette matière. Nous pouvons alors reconnaître que lÉglise des origines était porteuse des manières de faire et de fonctionner des sociétés de lAntiquité, en particulier de la société juive, mais la thèse du complot ou dune volonté consciente nest pas fondée. Point de vue pastoral Les historiens et le biblistes départagent ce qui relève de lhistoire et de la fiction. Mais, je lavoue, en tant que pasteur, je reste perplexe. Pourquoi un tel engouement? Pourquoi un tel enthousiasme? Le roman est bon, mais sans plus. Objectivement, il ne sera pas considéré comme une perle de la littérature. Le film est intéressant, mais nous ne pouvons pas parler dun chef-duvre. Le secret de ce succès populaire et commercial se situe ailleurs. Beaucoup de réponses ont déjà été données au Code Da Vinci. Jai esquissé quelques pistes de réflexion, dun point de vue biblique et historique, mais ce nest que la pointe de liceberg. Des historiens, des spécialistes de lhistoire de lart, des théologiens, des architectes, bref, de partout on a répondu aux questions que pose le roman. Jésus ne sest jamais marié, il na pas eu denfant. La société secrète le Prieuré de Sion na pas existé, sinon pendant une courte période au XXe siècle, le temps que lon saperçoive de la supercherie. Léonard Da Vinci nen a donc a fortiori jamais fait partie. Les lieux et indices sont exacts dans leur description, mais Dan Brown en a détourné le sens au profit de son intrigue. Les guides touristiques de Paris font des pieds et des mains pour expliquer aux visiteurs qui se présentent sur les lieux décrits, parfois le livre entre les mains : « Non, madame, cette fresque na pas été commandé par le Prieuré de Sion... Non, monsieur, ceci nest pas un code secret. » Bref, de guerre lasse, plusieurs ont démissionné : certains croyants au Code Da Vinci car cest comme ça quon commence à les appeler sont plus entêtés et aveugles que les chrétiens quils dénoncent. Comme jai co-écrit un livre et participé à une quinzaine de fins de semaine sur le « Jésus de lhistoire », jaime aborder ces questions; je les trouve stimulantes, mais lorsque jinterviens auprès dun néo-converti au Code Da Vinci, je me butte presque toujours au même problème : « On le sait bien, tu es prêtre. Tu veux défendre ton Église. » Ou encore, plus récemment : « Au Québec, on croyait être les seuls à sêtre fait roulés par lÉglise. Au moins, là, on sait que la supercherie et le mensonge existent depuis les origines » Le dialogue est alors quasi-impossible. Je demeure toute de même confiant. Dans cinq ou dix ans, la population aura fait le ménage dans les affirmations de luvre de Dan Brown. Les thèses de lauteur seront plus moins oubliées. On dira peut-être: « À lépoque, nous avons cru à ce quaffirmait le Code Da Vinci. Comme nous étions naïfs! ». Le succès du roman et du film sera incontournable, soit, mais les gens auront fait la part des choses. Mais, quen restera-t-il? Pour moi, une question importante demeure. Une
grave crise de confiance (photo @ Gaumont Columbia Tristar Films) Le succès du Code Da Vinci sappuie sur une grave crise de confiance que nos contemporains vivent par rapport à lÉglise de même que vis-à-vis des grandes institutions, en général. Dan Brown na pas créé la crise, mais il sen est fait le porte-voix. On doit le reconnaître : il a réussi à construire une intrigue, dans un seul récit, basée sur tout ce quil y a de jugements plus ou moins fondés, de revendications ou dopinions négatives à propos de lÉglise. Ainsi, il souligne les Croisades, lInquisition, la Chasse aux sorcières, la propension au secret, la hiérarchie catholique entièrement masculine, le rejet ou, au mieux, la méfiance de lÉglise par rapport à la féminité pour ne pas dire aux femmes. Erreurs historiques ou préjugés actuels, lauteur dresse un portrait peu reluisant de lÉglise de Pierre. Depuis la venue du Nazaréen, elle joue « du mensonge et de la mystification » pour maintenir son pouvoir et son influence. Comme pasteur, je men attriste. Jai personnellement peu dinquiétude quant au roman ou au film lui-même. Un auteur, en effet, a droit à son espace de créativité, même si ce quil propose va à lencontre de ce que je crois. Non, ma tristesse est ailleurs. La réception populaire, le succès phénoménal du Code Da Vinci mattriste car il témoigne dun très grand malaise profondément ancré chez nombre de nos contemporains. Témoin de ce raz-de-marée, je me suis mis à réfléchir. Il y a des gens qui ont été blessés par lÉglise et qui trouveront dans le roman toutes les raisons de rester blessés. Jai constaté de la méfiance et désormais certains resteront avec limpression quils ont toutes les raisons dêtre méfiants. Et puis, jai pensé à lÉglise de Dieu, aujourdhui, et jespère quelle saura être plus forte et plus solide que jamais dans la bonté et la tolérance. Laccueil du public de luvre de Dan Brown me laisse songeur, certes, mais pas sans espérance. Je nai jamais eu autant doccasions de parler de Jésus et de ma foi. En ce sens, je suis heureux. Perplexe et heureux à la fois. Cela ne métait pas arrivé souvent. Quelques liens utiles : Bertrand Ouellet,
« Et
vous, qui dites-vous que je suis? Annoncer Jésus-Christ après
le tsunami Da Vinci ». Un
historien face au Da Vinci Code, entretien avec Rémi Gounelle
(Le Monde de la Bible) Un musée créationniste aux États-Unis |
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