chronique du 18 mars 2005
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Un musée
créationniste aux États-Unis : Depuis quelque temps, on assiste à une montée inexorable de certains courants religieux que plusieurs qualifient de « fondamentalistes ». Une des principales caractéristiques de ces mouvements est de privilégier une interprétation exclusivement littérale des textes dits sacrés. Au sein du christianisme, ce courant se retrouve à un degré ou à un autre dans différentes confessions, mais il trouve sa plus claire expression dans les Églises issues des mouvements Évangéliques, notamment ceux du sud des États-Unis, dont la culture très puritaine leur a valu le surnom (plus ou moins dérisoire) de « Ceinture de la Bible » (en anglais « Bible Belt »). C'est sur un de ces états « bibliques », le Kentucky, que l'attention médiatique s'est quelque peu attardée récemment sur une nouvelle qui laisse certains observateurs un peu perplexes. En effet, un organisme du nom de « Anwers in Genesis » (« Réponses dans la Genèse ») a l'intention d'ouvrir prochainement, dans une ville de cet État, un « musée chrétien de la Création ». Un établissement du genre existerait d'ailleurs déjà en Suède et ce, depuis 1996. Selon certaines sources, ce centre (qui ouvrirait ses portes en 2007) permettrait aux croyantes et aux croyants de mieux saisir la relation entre les sciences et Bible ainsi que de leur fournir des arguments de poids pour soutenir leur foi en lien avec le créationnisme. Selon Ken Ham, le président de l'organisme, « le musée proposera un parcours à travers l'histoire biblique grâce aux technologies multimédias, et expliquera au visiteur la vérité sur l'histoire du monde, la création, la chute, le déluge, l'origine des races, le mariage, etc. ». Les coûts de ce « centre éducatif chrétien » sont évalués à la rondelette somme de 25 millions de dollars. Mais qu'est-ce au juste que le créationnisme? Est-ce réellement une théorie scientifique? Est-ce vraiment la seule approche selon laquelle les chrétiens doivent comprendre la Genèse? La science et la foi sont-elles irréconciliables? Le créationnisme : d'une interprétation biblique à une thèse « scientifique » Le créationnisme, on le devine, tire son origine du fondamentalisme chrétien et propose une compréhension des origines du monde selon une lecture rigoureusement littérale des textes de la Genèse. Si ce mouvement a connu peu de respectabilité par le passé (à cause surtout de son discours opposant auparavant science et religion), il connaît depuis quelque temps un certain regain de popularité, notamment au moyen d'une astuce rhétorique qui permet maintenant aux créationnistes contemporains de se prétendre eux-mêmes scientifiques. Leur discours ne s'oppose donc plus à celui de la science mais tente plutôt de le récupérer, ce qui lui donne un vernis de crédibilité auprès d'un public peu renseigné. Ainsi, les tenants de ce créationnisme « scientifique » affirment que c'est la Bible qui fournit l'explication des origines de la vie et de l'univers, prenant comme factuels la création du monde en sept jours, le déluge biblique, la naissance d'Ève à partir de la côté d'Adam, etc. Les espèces préhistoriques comme les dinosaures auraient même coexisté en même temps que les humains, jusqu'au déluge, selon certaines assertions créationnistes! Cependant, le cur de l'argumentation du créationnisme vise moins à fournir une explication scientifique des origines qu'à discréditer les théories de l'évolution, essentiellement en exploitant les limites de celles-ci, généralement de manière plutôt grossière et selon une approche plus ou moins honnête, intellectuellement parlant. De plus en plus, les tenants du créationnisme affirment d'ailleurs que la théorie de l'évolution n'est qu'une simple croyance parmi d'autres et que l'évolutionnisme est, en fin de compte, une religion sans aucun fondement! Les experts en biologie évolutive et en géologie s'entendent cependant pour dire que les arguments des créationnistes modernes relèvent davantage de la pseudoscience et de la désinformation, que d'un discours réellement rigoureux sur le plan scientifique. Les mouvements créationnistes souhaitent prouver l'exactitude des récits bibliques en se fondant sur une prémisse qui, en fait, s'appuie sur une position théologique fort discutable : la révélation biblique étant comprise comme une donnée objective, tous les faits relatés dans la Bible doivent, par conséquent, être tout aussi objectifs et prendre systématiquement le pas sur les explications qui ne cadrent pas avec eux. C'est pourquoi, par exemple, certains mouvements créationnistes rejettent cavalièrement du revers de la main les méthodes de datation radioactive qui ont permis aux scientifiques d'évaluer l'âge de notre planète. Ils s'insurgent contre ces méthodes car elles contredisent leur principale thèse : la Terre est relativement jeune (tout au plus 12 000 ans, selon leur interprétation de la Genèse!). Pour les créationnistes, les textes de la Genèse ont donc préséance sur les données et les théories de la science pour expliquer les origines de l'univers. Mais cette façon d'approcher la Bible est-elle réellement justifiée? La Bible : une uvre sur le « pourquoi » des choses, bien plus que sur le « comment » En plus de galvauder sérieusement
tout le labeur scientifique à la fois présent et passé,
le créationnisme présente aussi la fâcheuse manie
de faire fi de près de deux cents ans de recherche en études
bibliques, en théologie et en sciences humaines. En effet, nos
connaissances des sociétés antiques tant par le biais de
l'archéologie, de l'anthropologie que de l'histoire, nous ont révélé
l'incroyable distance culturelle qui nous sépare des peuples de
l'époque du Premier et du Second Testaments. Nous découvrons
que les représentations du monde présentes dans les textes
bibliques sont loin de correspondre à celles qui prévalent
dans l'esprit des Occidentaux d'aujourd'hui. Illustration tirée de O. Keel, The Symbolism of the Biblical World, Seabury, 1978. Par exemple, prenons le déluge, qui tient une place cruciale dans les thèses créationnistes. Nous ne pouvons saisir pleinement la beauté du texte sans se référer à la représentation du monde qu'avait en tête le rédacteur. Pour nos ancêtres dans la foi, le monde comportait trois étages : le ciel, la terre et le monde souterrain. Le ciel constituait « le toit » qui divisait les eaux permettant à la terre d'émerger (Gn 1,6.9). L'étage souterrain constituait les fondations sur lesquelles reposaient la terre ferme. Qu'a fait Dieu pour provoquer le déluge? Il a tout simplement laissé ouvertes les écluses du ciel. Ceci a eu pour conséquences d'inonder complètement l'espace qui séparait le ciel et la terre. Comme nous le constatons par cet exemple, nous sommes loin de nos propres représentations de l'univers! Avant de s'aventurer dans l'interprétation du déluge, il convient donc de connaître ces éléments culturels par lesquels nos prédécesseurs ont rédigé ce récit biblique. Par leur volonté à vouloir démontrer l'exactitude des faits rapportés dans les récits bibliques, les mouvements créationnistes tombent dans le piège de l'interprétation spontanée, i.e. celui de lire les Écritures (qui sont des textes de l'Antiquité) selon nos propres catégories de pensée, en y projetant notre vision moderne du monde. En effet, il est beaucoup plus vraisemblable que les auteurs bibliques n'envisageaient nullement de décrire la genèse du monde mais qu'ils désiraient davantage transmettre leur expérience relationnelle avec Dieu et ce, dans un genre littéraire tout à fait unique. Les textes de la Genèse visent donc d'abord et avant tout à proposer un sens aux origines de l'univers, et non à décrire scientifiquement le déroulement de celles-ci. En abordant la Bible sous un angle strictement littéral, on ne peut qu'oblitérer toute la richesse symbolique des récits. Il est fort regrettable que les tenants du créationnisme aient choisi de passer à côté de l'essentiel des récits de la Genèse en s'acharnant à vouloir y trouver les « preuves » invalidant la théorie de l'évolution. On observe qu'en définitive, ils s'intéressent beaucoup moins au sens des textes bibliques qu'à la manière dont les événements se seraient produits et que, comme la plupart de nos contemporains, ils partagent (et bien plus qu'ils ne voudraient sûrement l'admettre) la « culture du comment » qui a conduit nos sociétés à évacuer les notions de finalité, du sens de la vie (1). Beaucoup de lecteurs de la Bible s'interrogent à savoir si les récits de création sont « vrais », c'est-à-dire factuels. Mais est-ce bien la question à formuler lorsqu'on aborde un texte biblique, dont le langage s'approche beaucoup plus du genre poétique que du reportage? Pour bien illustrer le rapport que devrait privilégier tout lecteur de la Bible, prenons l'exemple suivant : si des humains d'un avenir très lointain prenaient plaisir à lire le texte d'une chanson qui parle du soleil qui se couche et se lève, devront-ils alors aborder cela de façon littérale, à la manière des créationnistes, et nier tout leur savoir pour comprendre que cet astre céleste se couche vraiment dans un lit bien douillet et qu'après une bonne nuit de sommeil, il se lève de son lit, frais et dispos? On voit que même aujourd'hui, nous employons un langage bien particulier pour exprimer une réalité de façon symbolique. La Bible a été façonnée de la même manière. Elle se compose de récits hautement structurés et élaborés au sein d'un langage symbolique. Il est très important de comprendre cet aspect si l'on veut pénétrer en profondeur dans toute la richesse des récits bibliques. En résumé, on peut dire que les textes bibliques ne cherchent pas tant à expliquer comment l'univers a été créé mais plutôt à proposer un pourquoi. La littérature biblique n'a pas pour objet de décrire les divers processus conduisant au fait qu'il existe quelque chose plutôt que rien. Elle est davantage concernée par le sens que peut revêtir l'histoire de l'aventure humaine. Foi et sciences : une opposition? Les mouvements créationnistes cherchent explicitement à établir un pont entre les croyances religieuses et les sciences. La problématique issue de ces mouvements résulte davantage d'une certaine compréhension des données de foi et de leur rapport au monde. En effet, si nous considérons l'expérience religieuse et les textes sacrés comme des éléments objectifs, la personne croyante se piège car il convient de se rappeler que les récits bibliques sont d'abord écrits par et pour les membres des premières communautés de croyants. L'objectif de celles-ci n'était pas de décrire l'origine du monde mais d'exprimer une confiance en Dieu, une relation avec le divin. En d'autres mots, les récits bibliques portent une sagesse qui nous révèle davantage à nous-mêmes. Conséquemment, la science et la foi ne s'opposent pas puisque toutes deux ne poursuivent pas le même but : la science tente de décrire le monde au moyen de différents modèles explicatifs, alors que la foi vise à proposer un sens à l'univers, à l'existence et à la vie. Cela ne veut cependant pas dire que la science et la foi ne peuvent pas établir un dialogue fructueux, qui peut bénéficier à l'une comme à l'autre. Bien au contraire! En réalité, on pourrait même affirmer que c'est grâce à un tel dialogue, basé sur l'écoute, le respect et l'ouverture mutuels, que la foi chrétienne a pu, dans une certaine mesure, retrouver la fraîcheur originelle de son essence, invitant à construire un monde meilleur, plus humain et plus égalitaire. Conclusion En conclusion, comme chrétienne et chrétien, quelle pertinence peuvent bien revêtir ces textes vieux de quelques milliers d'années? Les récits bibliques sont d'une richesse insoupçonnée, plus vaste que ne le laisse entrevoir notre perspective occidentale parfois réductrice. Ils apportent un regard neuf, inspirant une nouvelle façon de vivre en harmonie avec les autres et l'univers. Le message principal des récits de création peut se résumer en ces mots : nous sommes intimement interreliés les uns avec les autres et nous participons tous à l'aventure divine qui est la croissance de la vie sous toutes ses dimensions. Par cette vision inépuisable, la Bible nous indique quelques orientations pour transformer le monde et vivre harmonieusement avec lui puisque nous sommes, comme êtres, une partie intégrante de cet univers. Patrice Perreault
(1) Voir Riccardo Petrella, Désir d'humanité. Le droit de rêver, Montréal, Écosociété, 2004, p. 20.
Un midrash de la création
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