chronique du 17 septembre 2004
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Une spiritualité oubliée : celle de Jésus de Nazareth Dans notre tradition chrétienne et ce depuis des millénaires, des spiritualités se sont élaborées à partir du personnage de Jésus tel que nous le retrouvons dans le Second Testament et la Tradition chrétienne. Jusqu'au XXe siècle, la question de la spiritualité propre au Nazaréen a été peu explorée. Plusieurs travaux
exégétiques s'appuyant sur des approches socio-critiques
ont permis une reconstruction plausible des modes de vie du premier siècle.
Ainsi, il s'avère possible de retracer les intuitions théologiques
et de proposer une perspective sur la manière dont le Jésus
historique a pu concevoir et surtout vivre sa relation à Dieu.
C'est à ce parcours historique que nous convie Gertrude Giroux
dans son volume : La spiritualité de Jésus, perdue
et retrouvée. Gertrude Giroux L'objectif du livre En effet, Gertrude Giroux, par une approche historique, nous explique en termes simples et d'une manière fort vivante, le processus qui a construit le christianisme tel que nous le connaissons aujourd'hui. Le parcours proposé débute par la spiritualité de l'homme de Nazareth et se termine par le maître perdu et retrouvé, un peu à l'image de la parabole de la perle. Pour Gertrude Giroux, l'intuition de foi de Jésus de Nazareth s'est peu à peu éclipsée dans la formation et la réflexion théologique postérieures tant des premières communautés chrétiennes que celles qui ont conduit au Concile de Nicée-Constantinople. Autrement dit, nous sommes passés du discours de Jésus sur Dieu à celui du discours sur Jésus. Néanmoins l'impact de ce dernier s'est révélé si grand que les communautés ont conservé, à l'arrière-plan, cette spiritualité toujours subversive. Doit-on parler alors de mystification, par les communautés chrétiennes, de la spiritualité de Jésus? Comme rappelle Gertrude Giroux, les communautés chrétiennes qui ont succédé au mouvement-Jésus : Ont bifurqué sur une voie spirituelle essentiellement différente de celle du juif Jésus dès les années 30 du 1er siècle. Il ne s'agit pas de blâmer ou d'accuser les porteurs de traditions préévangéliques, ni les évangélistes, ni Paul de Tarse qui ne s'adressent pas à nous mais à leurs communautés respectives. Il s'agit plutôt de dégager les faits et de les voir avec le plus de lucidité possible en regard de la foi du Galiléen et des acquis de la culture moderne afin d'y trouver la lumière pour notre réflexion et notre cheminement spirituels aujourd'hui. (pp. 20-21). La spiritualité de Jésus de Nazareth Voilà exprimé en quelques mots le projet et la perspective de l'auteur. Dans le cadre de cette chronique, il sera impossible de résumer en détails la richesse du livre qui couvre la période des premiers siècles. Cependant, nous nous centrerons davantage sur la spiritualité de Jésus puisque le christianisme ultérieur est bien connu. Dans un premier temps, l'auteure situe Jésus dans sa judéité. Elle rappelle avec justesse que la dynamique spirituelle est avant tout collective et se vit dans le souvenir qui permet de revivre le chemin parcouru. En ce sens, la spiritualité juive s'avère indissociable de l'histoire relue à la lumière d'événements fondateurs, comme la libération d'Égypte, ou charnières, comme l'exil à Babylone, qui ouvrent à une prise de conscience de la présence de Dieu pressentie comme un Dieu qui est avec l'autre; un Dieu présent, souvent par l'intermédiaire du roi qui devrait théoriquement agir comme la divinité agirait (cf. Ps 72). D'ailleurs, les prophètes du Premier Testament rappelaient constamment aux gens l'importance de ce lien intime entre la vie quotidienne, la construction de la justice sociale et leur relation à Dieu. Comme le souligne Gertrude Giroux, les prophètes ont perçu, dans leur expérience, la possibilité d'une relation plus personnelle avec la divinité (cf. Jr 31,33-34; Is 48,17; 54,13). Si Jean le baptiseur, dans son contexte, reprend les intuitions de ses prédécesseurs, Jésus marque un passage décisif dans la compréhension du rapport à Dieu par la conscientisation que Dieu est à la source non seulement du peuple mais également de la dynamique de chaque personne. Il est possible que Jésus ait relu sa propre expérience personnelle à la lumière des événements marquants de l'histoire de son peuple. Cela lui a facilité la prise de conscience de l'intimité que Dieu possède avec chaque être humain. Cette proximité conduisait ainsi à une relation profonde avec la divinité orientant totalement sa vie. Ce qui résulte, selon Gertrude Giroux, que: [ ] son expérience personnelle et immédiate de Lui, Jésus prend conscience que le Dieu transcendant est également un Dieu proche et accessible qui vient rencontrer chaque personne dans son histoire et communiquer lui-même avec elle au plus secret de son être. Tous peuvent donc faire l'expérience immédiate de Dieu comme lui. Il ne s'agit donc plus du Dieu collectif de la nation mais du Dieu personnel de chaque individu, Dieu gratuit, juste et non violent à imiter. Cette intuition nouvelle de Jésus constitue le fondement de son Évangile. (p. 29). C'est ainsi que Jésus oriente ses auditeurs vers ce Dieu si proche. Mais ce Dieu si intime ne se confond pas avec la personne, il demeure toujours le Tout Autre, le Dieu mystérieux, le Dieu qui est le Transcendant mais qui noue une relation avec chacune et chacun tout en maintenant une certaine distance. En termes théologiques, il serait possible de catégoriser l'expérience de Jésus comme celle de l'immanence transcendante c'est-à-dire d'un Dieu qui en demeurant le «totalement différent», s'avère intimement lié à chaque personne et à chaque élément de l'univers. [Sallie McFague a développé ce type d'approche voir : The Body of God. An Ecological Theology, Minneapolis, Fortress Press, 1993, p. 20; 136-137] Mais cette relation personnelle fondamentale ne conduit-elle pas à une individualisation et une privatisation de la foi? Selon Gertrude Giroux, cette découverte d'un Dieu personnel évite le piège de l'enfermement sur soi puisque : Le Dieu de chaque personne, qui amène à faire prendre conscience de la valeur intrinsèque de chacune prise individuellement, est aussi le Dieu de la communauté qu'il inspire de l'intérieur à travers chacun de ses membres, et non celui de la collectivité avec laquelle il communiquerait par des intermédiaires. Engendrés dans leur être intime par Dieu, les croyants partagent le même dynamisme spirituel et sont appelés à se comporter entre eux comme frères et surs. Autrement dit, la relation de chacun avec Dieu et sa relation avec les autres font partie de la même dynamique. (p. 37). Du mouvement-Jésus au christianisme Jésus a partagé cette spiritualité avec d'autres qui ont formé le noyau d'une communauté de galiléennes et de galiléens appauvris et illettrés. Ce groupe passablement hétéroclite se sentait proche de sa spiritualité et se reconnaissait dans les paroles de l'homme de Nazareth. Dispersés à la mort du maître, les membres de cette communauté se sont aperçus vivre de cette spiritualité; vivre comme Jésus en solidarité avec les personnes exploitées, exclues et marginalisées. C'est ainsi que ces disciples, dans un premier temps, se réapproprient les paroles et l'orientation qui les dynamisent. Dans un second temps, ces disciples qui s'installent à Jérusalem et acquièrent la conviction que Dieu a ressuscité Jésus d'entre les morts. Le ressuscité devient alors le messie tant attendu marquant le parachèvement du Règne. Si ces communautés se révélaient culturellement similaires à Jésus, la rencontre avec les hellénistes, des juifs d'origine gréco-romaine, a transformé passablement cette spiritualité dépouillée du Nazaréen. Comme le souligne Gertrude Giroux, ces communautés dont Paul est issu, constituent les fondatrices du christianisme au sens où elles ont fait de Jésus tant historique que dans sa condition de ressuscité, l'objet de la foi et l'intermédiaire entre les communautés et Dieu. Cette nouvelle foi a grandement progressé par l'accueil des non-juifs qui y ont apporté leurs considérations face à la relation entre Dieu et Jésus jusqu'à la «normalisation» de la foi chrétienne par les grands conciles des premiers siècles. Ceux-ci ont formulé de façon normative le christianisme. Ce faisant, la spiritualité du Nazaréen a été reléguée en arrière-plan, perdue dans le passage à la culture grecque. Appréciation Ce livre de Getrude Giroux expose merveilleusement bien la distance culturelle qui existe entre Jésus et les communautés chrétiennes. Par son approche, elle permet de renouer avec la spiritualité du Galiléen et de nous y découvrir, comme personnes situées au cur des modernités avancées, des connivences ainsi que des affinités avec cet homme du premier siècle. Si le jugement peut apparaître sévère à certains moments quant aux traditions chrétiennes postérieures, Gertrude Giroux est parvenue, en quelques chapitres, à résumer et à rendre accessible, aux non spécialistes, un parcours historique et théologique complexe. Cela représente un défi qui est magnifiquement relevé. Conclusion Il convient de saluer le livre de madame Giroux car, dans la langue française, des ouvrages semblables sont plutôt rares. Son approche originale nous permet de reconstruire, de façon vraisemblable, la spiritualité de Jésus de Nazareth qui nous interpelle, par-delà la distance culturelle et temporelle, à vivre du dynamisme de ce Dieu intime qui nous relancent dans les chemins de vie, de dignité, d'égalité et d'espérance. C'est un livre à lire pour toutes celles et tous ceux qui souhaitent se mettre à l'école du Galiléen qui a changé le monde. Patrice Perreault Article précédent :
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