chronique du 23 mai 2003
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La cinquième
montagne : un roman spirituel
Quiconque de nos jours s'amuse à bouquiner dans une librairie ne peut ignorer l'importance accordée au thème de la spiritualité. Les rayons de cette section sont garnis de livres dont les sujets vont de la foi religieuse traditionnelle à l'ésotérisme le plus loufoque, en passant par la croissance personnelle et la spiritualité séculière. Cette abondance de publications spirituelles est indicatrice d'un tâtonnement et d'un souci chez les gens de trouver des réponses à des questions existentielles qui, depuis longtemps, hantent la conscience humaine : Pourquoi la vie, la mort, la souffrance? Quel sens peut-on donner à sa vie? L'histoire de l'humanité est-elle le fruit de hasards ou correspond-elle à un « plan »? Toutes ces questions sont abordées d'une façon ou d'une autre dans nombre d'ouvrages. À côté des livres et des traités à visée didactique, on retrouve un type de littérature assez particulier, qu'on pourrait qualifier de « littérature spirituelle ». Il s'agit de romans et de recueils de nouvelles ayant pour thème de proposer des réponses aux fameuses « questions existentielles ». Une série de tels livres, publiés par un auteur brésilien, Paulo Coelho, ont vu le jour il y a quelques années et ont, en peu de temps, remporté un vif succès critique et populaire à l'échelle mondiale. Parmi ces romans figure La Cinquième Montagne, dont l'histoire s'inspire d'un récit du Premier Testament. Nous avons lu avec intérêt cette oeuvre tout à fait unique et c'est avec beaucoup de plaisir que nous vous en proposons la présentation que voici. Paulo Coelho : un pèlerin de l'Absolu Avant de discuter du livre comme tel, nous voudrions dire quelques mots au sujet de son auteur, Paulo Coelho. Natif de Rio de Janeiro, il a fait carrière dans l'industrie musicale brésilienne jusqu'à devenir directeur artistique chez la maison de disques CBS. Après son licenciement brutal et la période d'errance qui s'ensuit, il se réconcilie avec la foi catholique et renoue avec son rêve de jeunesse : devenir écrivain. Les découvertes qu'il fera lors de son parcours sur un des anciens chemins de Compostelle constitueront l'essentiel de son premier roman, Le Pèlerin de Compostelle, publié en 1987. Il compte actuellement plusieurs livres à son actif, dont L'Alchimiste, Sur le bord de la rivière Piedra, je me suis assise et j'ai pleuré et Onze minutes. La qualité littéraire de son oeuvre est indéniable. Son écriture est riche, profonde et accessible à tous. Dans beaucoup de ses romans, Paulo Coelho témoigne de sa soif d'absolu et parle de sa préoccupation de donner un sens à l'existence humaine, un sens qui s'incarne dans ce qu'il appelle la « Légende Personnelle ». Ceux et celles intéressés à en savoir davantage sur Paulo Coelho et son oeuvre peuvent visiter son site officiel. Le héros de l'histoire : le prophète Élie La Cinquième Montagne, publié en 1996 et traduit en français en 1998, est le sixième roman de Paulo Coelho. Le récit s'inspire du cycle d'Élie (1 R 17-19.21; 2 R 1,1-2,18). Le héros du roman est le prophète Élie, célèbre dans les traditions juive, chrétienne et musulmane pour son combat en faveur de l'identité culturelle de son peuple. D'après la Bible l'activité prophétique d'Élie a eu lieu principalement sous le règne d'Achab, roi d'Israël de 874 à 853 avant notre ère. Cette période fut apparemment un temps d'incertitude pour le yahvisme, en concurrence avec le baalisme supporté activement par la reine Jézabel, épouse d'Achab et fille d'un roi phénicien. Même si la maison royale et l'élite du royaume ne semblent pas avoir formellement renoncé au culte à Yahvé, elles paraissent toutefois avoir privilégié officiellement le culte au dieu cananéen Baal. Cette attitude n'a pu manquer de heurter les sensibilités des fidèles de la « ligne dure » du yahvisme, dont Élie se fit le porte-parole (d'où sans doute son nom signifiant « Yahvé est mon dieu »). Les événements relatés dans le cycle d'Élie ont principalement pour but de démontrer la supériorité du yahvisme sur le baalisme. Par exemple, les « prodiges » qu'Élie accomplit à Sarepta, une ville située sur le « territoire » même du dieu Baal, démontrent la supériorité du Dieu d'Israël. La Cinquième Montagne s'appuie surtout sur 1 R 17 (l'annonce de la sécheresse et la fuite à Sarepta), 1 R 18,20-30 (le sacrifice au mont Carmel) et 2 R 2 (l'enlèvement d'Élie dans un char céleste). Une bonne partie de la trame narrative est cependant constituée d'événements entièrement imaginés par Paulo Coelho. Si le roman rapporte les différentes péripéties d'Élie en butte à la politique religieuse de Jézabel, le motif biblique du combat entre le yahvisme et le baalisme apparaît toutefois très secondaire comparativement au thème de la quête de sens personnel. On devine dès le début du récit que le personnage d'Élie sert ni plus ni moins de « délégué littéraire » à l'auteur Paulo Coelho. Ce dernier projette sur le héros non seulement ses questionnements et son angoisse existentielle, mais aussi sa façon de penser, qui est évidemment celle d'un occidental de notre époque et non celle d'un sémite ayant vécu il y a presque 3000 ans. Il faut donc faire preuve d'un peu de circonspection lorsqu'on aborde ce roman. La force de ce dernier réside surtout dans sa capacité d'illustrer un cheminement intérieur plus que dans celle d'offrir une bonne reconstitution historique. Les anachronismes sur le plan des conceptions religieuses et des rapports interpersonnels abondent trop pour que ce roman soit réellement fidèle sur le plan historique ou même biblique. La notion d'une quête de sens individuel, si évidente pour les occidentaux d'aujourd'hui, est en elle même anachronique dans la pensée d'un personnage biblique, puisque la culture des peuples du Premier Testament mettait l'accent sur une perspective collective et communautaire. La « Légende Personnelle » ... du sommet, nous sommes capables de voir tout petit. Nos gloires et nos chagrins perdent leur importance. Ce que nous avons gagné ou perdu est resté là en bas. Du haut de la montagne, tu peux voir comme le monde est vaste et comme l'horizon s'étend loin. Cette citation tirée de La Cinquième Montagne illustre un des thèmes en filigrane dans le titre : la nécessité, à un moment donné, de se distancer par rapport à soi-même et de relativiser ce que nous enfermons trop souvent dans des certitudes absolues afin que l'on soit en mesure de jeter un regard global et unifié sur le réel. Ce regard englobant ouvre au mystère humain, rend sensible et solidaire de tout et renvoie à sa propre subjectivité, point de départ de la quête d'un sens unificateur. C'est notamment par ce processus que le héros du roman parvient à trouver sa voie, sa « Légende Personnelle », non sans avoir eu à affronter auparavant des difficultés de taille. Par le biais du personnage d'Élie, l'auteur réussit à démontrer que les obstacles et les embûches rencontrés le long d'un « itinéraire intérieur » viennent la plupart du temps d'un refus de changer sa façon de percevoir le réel. Modifier les images qu'on entretient sur soi et sur la réalité est parmi les changements et les deuils les plus difficiles auxquels on est confronté au cours de son existence. Le thème de la souffrance et des tragédies jugées injustes est également abordé au cours du récit. Face à ce qu'il nomme « l'inévitable » mais qu'on pourrait tout aussi bien appeler les effets malheureux du hasard, de la nécessité et de nos choix collectifs et individuels, Paulo Coelho invite à réagir et à y voir non une punition mais un défi à relever; un défi qui fait appel à notre potentiel créateur. À la suite du rédacteur du livre de Job, Paulo Coelho concède qu'il est inutile et dérisoire de chercher une réponse théorique au problème du mal. La solution réside dans une « réponse personnelle », c'est-à-dire une façon de réagir en fonction de ses talents, ses capacités, son histoire et son milieu. Pour lui, l'expérience de la souffrance et du mal constitue même un moment propice à la découverte de sa « vérité intérieure » et de sa « Légende Personnelle ». Et Dieu dans tout cela? Le roman aborde également la question de Dieu au sein d'un cheminement intérieur. Le personnage d'Élie est amené à changer sa conception des desseins de Dieu. Se sentant trahi par Dieu, il en vient à lui crier sa révolte et son désarroi, un peu à la manière de Job. En réfléchissant sur sa tragédie personnelle, Élie comprend que Dieu ne cherche pas à le punir mais plutôt à le mettre au défi d'accomplir sa « Légende Personnelle ». Cette façon de concevoir Dieu comme un genre de « pédagogue céleste » se perçoit nettement dans un passage de la préface du roman : « Certains événements sont placés dans nos existences pour nous reconduire vers l'authentique chemin de notre Légende Personnelle. D'autres surgissent pour nous permettre d'appliquer tout ce que nous avons appris. Enfin, quelques uns se produisent pour nous enseigner quelque chose. » Pour Paulo Coelho, il semble que tout ce qui arrive dans la vie a un but bien précis, fixé par Dieu. Bien que cette façon de penser l'Absolu soit respectable, on peut toutefois s'interroger si elle est le fruit d'une foi bien mûrie et si elle correspond réellement au Dieu proposé par Jésus de Nazareth. Il est vrai que certaines situations nous permettent de prendre conscience de nos « mensonges envers nous-mêmes », c'est-à-dire de choix et de décisions qui ne respectent pas ce que nous sommes vraiment. Il est fort à parier toutefois que les conséquences de ces choix relèvent davantage de notre propre responsabilité que d'une main divine qui régente notre destinée et nous remet au besoin « dans le droit chemin ». Dans la pensée chrétienne, Dieu est conçu comme un être infiniment respectueux de la liberté humaine; il ne peut donc contraindre qui que ce soit à suivre un chemin plutôt qu'un autre. Plutôt que de concevoir un Dieu monarque ou pédagogue, les croyants et les croyantes sont invités par Jésus à découvrir un Dieu à l'amour désarmé; un Dieu qui a pris le risque de créer des êtres humains libres et responsables en espérant qu'ils répondent à l'appel de co-création qu'il leur a fait. Conclusion Malgré certains aspects qui auraient pu être mieux traités et plus étoffés, La Cinquième Montagne de Paulo Coelho est un roman fort intéressant qui aborde directement le problème du mal et de la souffrance et qui y propose une solution faisant appel à la dignité de l'être humain et à ses forces créatrices. Paulo Coelho traite de façon originale du sens que chacun est invité à donner à sa vie. Il invite a découvrir ce sens en allant de l'avant, en étant fidèle à soi-même, à ce qu'il y a de plus profond en nous, dans notre for intérieur et dans le respect du caractère sacré de la vie, tout en s'accordant la liberté de se tromper et de se réorienter si nécessaire. Voilà un auteur à découvrir par toutes les personnes en quête de sens, qu'elles soient croyantes ou non. Jean-François Perreault Article précédent :
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