chronique
du 15 janvier 2002
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Une question de Vie ou de Mort
En plein Jour de l'An, je me suis retrouvé dans la synagogue de Capharnaüm, alors que de nombreux disciples désertaient Jésus. Tout a commencé dans les jours précédents alors que je préparais le texte du Feuillet biblique du 2 juin prochain, pour la Fête du Corps et du Sang du Christ. Je lisais et relisais, au chapitre 6 de saint Jean, le passage où Jésus se présente à la foule incrédule comme « le pain vivant descendu du ciel ». C'était -je l'ai dit - dans la synagogue de Capharnaüm. La veille, Jésus avait nourri une foule à partir de quelques pains et poissons. Au matin, les gens l'interrogent, lui demandent de donner un signe, de prouver qu'il a l'autorité d'agir et d'enseigner comme il le fait. Mais Jésus amène ses interlocuteurs sur un tout autre terrain : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture et mon sang est la vraie boisson. » (Jean 6, 53-55) Beaucoup de disciples n'y ont pas cru et ont quitté Jésus ce jour-là, en disant que cet enseignement était intolérable. Saint Jean est le seul évangéliste à souligner ces départs, nombreux, de disciples rebuttés par le discours sur le Pain de Vie. Le problème se posait sans doute avec acuïté dans la communauté à laquelle le quatrième évangile était destiné. J'avais ce texte en tête quand, au matin du Jour de l'An, j'ai participé à la messe dans l'église paroissiale du village où je passais la journée. Je ne connaissais ni la communauté ni le prêtre. C'est après la communion que ça s'est gâté. Les membres de la chorale s'agitaient dans le choeur, dans un va-et-vient déconcertant. Le prêtre ramassait, brassait, secouait, transvidait les Saintes Espèces comme on aurait, à la maison, ramassé les restes d'un repas. Il remit les vases à la dame qui l'accompagnait à l'autel et celle-ci porta le tout au tabernacle comme on range la vaisselle dans l'armoire. Aucune marque de respect, ni de vénération, encore moins d'adoration. Tout d'un coup, j'étais de nouveau dans la synagogue de Capharnaüm et j'entendais Jésus déclarer, en regardant ses disciples s'éloigner : « Il y en a parmi vous qui ne croient pas. » (Jean 6, 64). J'avais beau me dire que j'interprétais mal, que je ne connaissais pas ces gens, mais leurs gestes, leurs attitudes, tout le non-verbal du prêtre, des membres de la chorale et des servants envoyaient le même message : « Nous n'y croyons pas vraiment, vous savez ». Quand on a entre les mains le Corps livré, le Sang versé de Celui qui est la Résurrection et la Vie, est-ce que cela ne devrait pas paraître un peu? Je sais, je sais : j'ai sans doute jugé trop vite. Je prie qu'on me le pardonne. Mais le discours sur le Pain de Vie venait de prendre pour moi une pertinence toute nouvelle. La controverse, le débat, l'interpellation me rejoignaient dans mon présent. C'est comme si c'était à moi que la question de Jésus aux Douze était maintenant adressée : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Quel serait mon propre comportement, mon attitude, mon témoignage de foi? Qu'est-ce que mon propre langage corporel et non-verbal dit de ma foi à ceux et celles qui me voient, me fréquentent ? Il y a une génération, Vatican II a redit maintes fois l'importance de l'Eucharistie. Source. Sommet. Racine. Centre. De la communauté chrétienne. De la vie chrétienne. De l'action de l'Église. De toute l'évangélisation. « L'âme de toute la vie chrétienne », écrivait Jean-Paul II pour le Jeudi Saint en 1980. Plus fondamentalement encore et dans les mots mêmes de Jésus, c'est une question de vie ou de mort : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas la vie en vous. » N'avons-nous pas à le crier sur tous les toits ?
Bertrand Ouellet
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