chronique
du 23 octobre 2001
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« ...car ils ne savent pas ce qu'ils font »
Cette fois, cette chronique n'est pas inspirée par un " coup de coeur " biblique, mais par un " coup AU coeur ". C'était le jeudi 13 septembre. Deux jours, donc, après le 11. Dans toutes les églises catholiques romaines du monde, on lisait à la messe le même passage de l'évangile de saint Luc (Luc 6, 27-38). Jésus prend la parole : « Aimez vos ennemis. Faites du bien à ceux qui vous haïssent. » Ouf! Dans le contexte, c'était comme un coup de poing dans le ventre. Quand les ennemis sont des terroristes L'amour des ennemis est toujours cité comme un exemple de la radicalité de l'Évangile, mais en général, quand on en parle, c'est qu'on n'a pas vraiment d'ennemis. C'est tout autre chose quand on est plongé dans une tragédie causée par la haine ou la méchanceté. Quand le mal se montre dans toute sa laideur. Quand, par exemple, des enfants sont maltraités, violés ou tués. Quand des gens ordinaires sont enlevés et torturés. Ou quand un avion est détourné et transformé en bombe meurtrière. Qu'est-ce que ça veut dire, après le 11 septembre, « aimer ses ennemis »? Ces ennemis ont maintenant des noms, des visages. Est-ce que Jésus me demande de penser avec amour à ces pirates qui ont détourné les avions? À ces chefs de bandes qui ont organisé et financé les attentats? À ces leaders politiques et à ces chefs d'état qui nourrissent la haine et encouragent les extrémistes ? Est-ce qu'il faut aimer les terroristes qui font des milliers de victimes? Il faut avoir des ennemis pour comprendre combien la parole de Jésus peut être intolérable, insoutenable. Mais c'est l'Évangile. Pour qui prier? Jésus insiste: « Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l'autre. » Pour qui prions-nous depuis le 11 septembre? Toutes les intentions de «prière universelle» que j'ai entendues à la messe depuis quelques semaines parlaient seulement des victimes, de leurs familles et de nos gouvernants et chefs d'état. À l'église que je fréquente, au coeur de Montréal, on a insisté, à plusieurs moments au cours des messes dominicales, sur la prière pour les « victimes innocentes ». Mais de la prière évangélique pour « ceux qui nous haïssent », aucune trace. Pourtant, Jésus en remet : c'est, dit-il, à cette condition &emdash; l'amour et la prière pour les ennemis &emdash; que « vous serez les fils du Dieu Très-Haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants ». « Mais, me disait un collègue, pourquoi voudrais-tu qu'on prie? Quelle prière pourrait-on raisonnablement proposer à une assemblée encore sous le choc de l'horreur des attentats? On n'est quand même pas pour demander à Dieu d'accueillir au ciel les terroristes qui pilotaient ces avions! » Qu'est-ce qu'on veut dire, alors, quand on prie Dieu de pardonner les péchés? À la Liturgie des Heures, par exemple, à l'office du soir du lundi (4e semaine), on dit explicitement : « Pardonne aux défunts toutes leurs fautes; qu'ils vivent parmi les saints du ciel.» Est-ce qu'il faut comprendre qu'en sous-entendu on ajoute : « sauf ceux qui nous ont fait du mal et à qui nous ne pouvons pas pardonner nous-mêmes » ? Je sais bien que c'est presque insupportable comme idée, mais il n'y a qu'une seule voie possible pour notre prière, en fidélité à l'évangile, et c'est celle que choisit Jésus pour ses propres ennemis et bourreaux, au moment même où on le crucifiait : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. » Bertrand Ouellet Chronique
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