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Coups de coeurs
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chronique du 1 mai 2001
 

Elle souffle où elle veut

 

L'image est terrible. Une vallée remplie de squelettes desséchés. Des ossements blanchis par un soleil sans pitié. Un paysage de désespoir dont toute vie s'est retirée. Il n'en reste plus qu'une poussière suffocante dispersée par les rafales tourbillonnantes du désert.

Et voilà qu'un vent irrésistible vous saisit, telle une main puissante, et vous précipite dans ce décor dantesque. Une voix vous ordonne: « Hausse la voix! Crie aux quatre vents! Commande à l'Esprit! Que le souffle de vie balaye cette vallée! Que ces ossements respirent! Que cette foule se redresse! Que l'espoir renaisse! »

Et la vie resurgit. Et l'espérance renaît. Et le peuple d'Israël se réveille de son exil. « Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez, et je vous installerai sur votre sol, et vous saurez que moi, le Seigneur, j'ai parlé et je fais. Parole du Seigneur. »

La vision est du prophète Ézéchiel. C'était au temps où le peuple de Dieu, exilé, battu, décimé, découragé, résigné, avait bien besoin d'espoir et de souffle.

Et du souffle, cette vision en a. Plus même que nos traductions ne réussissent à le laisser entendre. On peut dire qu'Ézéchiel se sert de tout son talent et de toutes les ressources de sa langue pour exploiter tous les sens d'un même mot, celui que nous traduisons par « esprit ».

Quand il parle de vent, c'est ce mot. Quand il parle de souffle, c'est ce mot. Quand il parle de l'esprit auquel il commande de redonner souffle et vie aux ossements desséchés, c'est encore le même mot. C'est aussi le mot qui désigne l'Esprit du Seigneur qui l'a transporté dans la vallée.

« Rouah ».

Esprit. Vent. Souffle. Respiration. Haleine.

Un mot qui évoque la vie et le mouvement, la force et l'énergie. Qui respire et qui inspire. Un mot magnifique pour parler de Dieu. De sa puissance. De sa présence. De son action. Les auteurs bibliques ne s'en privent pas: de la création où « un vent/souffle/esprit de Dieu plane sur les eaux » jusqu'à la Pentecôte, en passant par la mort de Jésus, qui remet et donne le souffle/Esprit, et à sa Résurrection, qui est renaissance et vie dans et par l'Esprit.

Il y a plus encore. Mais il faut revenir au texte dans sa langue originale pour en sentir toutes les répercussions.

Rouah est un mot féminin. Quand Ézéchiel s'adresse à l'Esprit, il lui parle comme on s'adresse, en hébreu, à une femme.

C'est donc dire que si nous avions continué à parler la langue des prophètes et celle de Jésus, nous aurions toujours parlé de l'Esprit au féminin. Cela aurait sûrement teinté notre foi, notre catéchèse, notre théologie, notre piété, nos images. Cela aurait ouvert une brèche dans nos façons souvent toutes masculines de parler de Dieu. Cela aurait peut-être donné plus d'importance à certaines expressions à consonance féminine utilisées traditionnellement pour parler de Dieu, comme la Providence, la Sainteté et la Miséricorde.

De fait, pour parler de l'Esprit, il faut toujours avoir recours à des images. Outre celles du vent et du souffle, il y a aussi celle de l'onction. Aux temps bibliques, oindre d'huile était un geste rituel signifiant le don de la force de l'Esprit en vue d'une mission: celles des chefs, en particulier; celle du roi, surtout, que l'on a désignera alors comme oint, messie ou christ de Dieu.

Quand Jésus se présente à la synagogue de Nazareth (Luc 4), il s'applique à lui-même ce passage du livre d'Isaïe: « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction, pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. » C'est parce qu'il est oint de la Rouah de Dieu que Jésus peut-être appelé le Christ.

Mais la Rouah, qui « souffle où elle veut », agit aussi sur les disciples, sur nous. Notre regard est, en quelque sorte, oint à son tour. C'est pour ainsi dire en regardant à travers la Rouah que nous devenons capables de vraiment voir Jésus et de le reconnaître comme Christ, Seigneur et Fils. Sans elle, nous ne verrions pas le Christ, mais seulement un homme, le Jésus de l'histoire, comme aiment dire certains auteurs.

Saint Grégoire de Nysse l'avait déjà exprimé à sa façon, au quatrième siècle: « La notion de l'onction suggère (...) qu'il n'y a aucune distance entre le Fils et l'Esprit. En effet de même qu'entre la surface du corps et l'onction de l'huile ni la raison ni la sensation ne connaissent aucun intermédiaire, ainsi est immédiat le contact du Fils avec l'Esprit, si bien que pour celui qui va prendre contact avec le Fils par la foi, il est nécessaire de rencontrer d'abord l'huile par le contact. En effet il n'y a aucune partie qui soit nue de l'Esprit Saint. C'est pourquoi la confession de la Seigneurie du Fils se fait dans l'Esprit Saint pour ceux qui la reçoivent, l'Esprit venant de toutes parts au-devant de ceux qui s'approchent par la foi. »

« Montre-nous le Père », avait demandé Philippe à Jésus. « Qui m'a vu a vu le Père », de répondre Jésus. Et c'est grâce à la Rouah. C'est elle, l'Onction qui ouvre nos yeux à la reconnaissance et à la contemplation du Verbe venu habiter parmi nous. C'est elle, le Souffle qui redonne vie aux ossements desséchés et relève le Peuple de Dieu. C'est elle, enfin, le Vent des origines qui nous emporte en Dieu et nous introduit dans la communion trinitaire.

Bertrand Ouellet
[email protected]

 

Références

« La vision des ossements desséchés » est au chapitre 37 du livre d'Ézéchiel.
Le passage de « Jésus à la synagogue de Nazareth » est au chapitre 4 de l'Évangile selon saint Luc.
La citation de Grégoire de Nysse est tirée du Catéchisme de l'Église catholique, no 690.

 

Chronique précédente :
Elle méditait tout en son cœur