chronique
du 27 mars 2001
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Elle méditait tout en son coeur
C'était à la mi-décembre 2000. Je visitais le Salon des métiers d'art (événement annuel à Montréal). J'y étais venu avec l'idée de trouver quelques cadeaux, bien sûr, mais surtout pour voir un kiosque bien précis que j'avais remarqué depuis plusieurs années (Alina et Antoni Sandrzyk, de Rawdon, Québec). Celui d'artisans qui fabriquent des personnages de crèche de Noël en céramique. Cette fois, j'étais décidé à faire l'acquisition d'un ensemble: ce serait mon souvenir du 2000e Noël. J'ai donc examiné l'un après l'autre chaque modèle, chaque figurine. Quel style choisir? Quelle taille? Quel prix? Je suis revenu au kiosque une deuxième fois, après un tour du salon, puis une troisième. Mon choix se porte finalement sur un bel ensemble en céramique blanche. J'en fais part à l'artiste, qui commence à me l'emballer. À ce moment, je remarque, juste à côté, une autre série de pièces semblables. Avec une différence. Au lieu d'être à genoux, la Vierge est assise, dans une attitude méditative. La tête à peine penchée vers l'avant, les mains croisées, à plat. Je suis séduit. « Donnez-moi plutôt celle-là, celle qui est assise ». De retour à la maison, je dispose les pièces sur une petite table que j'avais préparée. Les voilà au grand complet, avec le buf et l'âne, un berger, des moutons, un ange, Joseph debout derrière et les Mages. Mais mon regard s'arrête toujours sur cette Marie assise. Je retire toutes les pièces sauf Marie, assise, Joseph, debout, et à leurs pieds, l'âne couché. Un véritable tableau d'Avent, que je décide de garder ainsi jusqu'à Noël: les autres personnages attendront. Puis, moment d'inspiration, je retire Joseph et l'âne. Il reste Marie. Assise, apparemment plongée dans ses pensées. J'imagine que Noël est passé, que la vie a repris son cours. Je vois Marie, seule. Marie de la vie quotidienne. Marie qui, nous dit saint Luc, « retenait tous ces événements et les méditait dans son cur ». Je décide alors qu'après le Temps des Fêtes, je ne rangerai pas tout de suite la statuette de Marie. Je le laisserai là, bien en vue, jusqu'au Carême. Marie du Temps ordinaire. Méditer en son cur. Voilà une façon bien biblique de s'exprimer. Cela rappelle une expression fréquente dans l'Ancien Testament: « Dieu qui scrutes les reins et les curs » (voir par exemple Ps 7,10; 26,2; Jr 11,20; 20,12; Ap 2,23...). Les reins et les curs ensemble représentent, dans le contexte culturel de la Bible, tout ce que nous appellerions la vie intérieure. Les reins, ce sont les passions, les émotions brutes, l'inconscient, ce qui correspond à peu près à ce que nous désignons quand nous parlons familièrement des « tripes». Et le cur, dans le monde biblique, c'est tout ce qui est conscient. Pas seulement les émotions, donc. On pense avec son cur. On raisonne avec son cur. On analyse. On étudie. On médite. On croit, même. C'est pourquoi Jésus interpelle les scribes en leur disant: « Pourquoi raisonnez-vous ainsi dans vos curs?» (Mc 2,8). C'est aussi ce qui explique son reproche à deux disciples, le soir de Pâques, sur le chemin d'Emmaüs: « Insensés! Curs lents à croire tout ce qu'ont annoncé les prophètes! » (Lc 24, 25) Le cur, dans la Bible, n'évoque donc pas d'abord les « affaires de cur» ou les « coups de cur ». Un coup de cur qui serait « biblique » devrait impliquer toute la personne, toute la vie consciente. Ça touche l'intelligence, la réflexion, la pensée, la méditation, la foi, la prière. Marie du Temps ordinaire est donc, comme dirait mon père, « celle qui pense à son affaire ». Celle qui prend le temps qu'il faut pour réfléchir, chercher à comprendre, analyser, peser le pour et le contre. C'est la figure du disciple qui ne se laisse pas emporter par la première émotion, qui ne se lance pas corps et âme dans une démarche sans lendemain. C'est celle qui ne se prend pas pour une autre, qui reste en retrait, qui laisse le temps et l'Esprit faire leur uvre. C'était le première fois, ce Noël, qu'une représentation de Marie me touchait. J'avoue avoir toujours été plutôt froid devant les images et les statues qui nourrissent la piété mariale traditionnelle: une Marie aux allures d'européenne du Moyen-Âge ou de la Renaissance, dans des postures rappelant plus les statues de déesses anciennes que la simple femme de Palestine qu'elle a été. Toutes ces représentations appartiennent à un univers de dévotion qui ne m'a jamais rejoint. Mais Marie du Temps ordinaire... Silencieuse image, si parlante en ces temps de bruit et de frénésie, de celle qui sait s'arrêter et se recueillir dans un cur à cur secret avec son Seigneur. Discrète invitation à se joindre, dans la communion des saints, au chur des voix qui montent vers le Père. Abba. Séculaire inspiration des disciples qui appellent en leur cur le retour du Maître. Marana, tha (1 Co 16,22. Voir Ap 22,20). Reste avec nous, Seigneur, le soir approche et déjà le jour baisse (Lc 24,29). Bertrand Ouellet Chronique
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