chronique
du 15 février 2000
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La Table de la Parole
Aussitôt après la parabole du bon Samaritain, l'évangile selon saint Luc nous transporte dans la maison de Marthe et de Marie où Jésus est reçu à dîner (Lc 10,38-42). L'évangéliste poursuit ainsi son enseignement sur les différentes dimensions de la vie du disciple du Christ Jésus. De la pratique de l'amour du prochain, nous passons à la place que doit occuper dans notre vie l'écoute de la Parole de Dieu. Le récit est très coloré et le dialogue entre les personnes est pour le moins relevé. Marthe « bouille » ! En bonne hôtesse de maison, Marthe offre un repas digne de son hôte distingué. On peut l'imaginer dresser la table avec un grand souci, mettre les petits plats dans les grands plats, astiquer son argenterie. Pendant qu'elle s'affaire autour de sa cuisinière, alimentant le feu et brassant ses casseroles de terre cuite, elle sent la moutarde lui monter au nez en voyant sa soeur Marie assise en compagnie de Jésus. Marthe se met à bouillir en même temps que sa soupe et voilà que subitement son impatience déborde. Elle reproche à Jésus d'accaparer sa soeur Marie au lieu de la libérer pour lui donner un coup de main. Entre l'unique et le multiple Il est intéressant de voir comment l'évangéliste accumule les détails pour décrire le comportement de Marthe. Elle s'affaire à un service compliqué: le texte grec dit qu'elle va et vient en tous sens en accomplissant de multiples tâches. Comme un cheveu sur la soupe, elle survient abruptement entre Marie et Jésus en indiquant qu'elle est seule à faire le service. Jésus réplique en lui disant qu'elle s'inquiète et s'agite pour beaucoup de choses. Il ne fera rien pour libérer Marie car elle est occupée à la seule chose importante: l'écouter. On remarque que le récit met en contraste le multiple et l'unique, les nombreuses activités de Marthe et l'unique activité de Marie, l'affairement de Marthe et l'attention de Marie. Les deux soeurs se font un point d'honneur de recevoir Jésus. Chacune à sa manière: l'une, le nez dans ses chaudrons; l'autre, dans un face à face avec Jésus. Marthe prépare le repas en multipliant les tâches; Marie est déjà assise à table, se nourrissant de la parole de Jésus. La part de Marie Jésus dit de Marie qu'elle a choisi la meilleure part, la seule nécessaire. Le choix des mots pour décrire l'attitude de Marie est significatif. Elle est assise aux pieds du Seigneur et écoute sa parole. Tout d'abord, une observation importante: alors que nous utilisons le nom de Jésus, le récit fait autrement. Jésus n'est jamais désigné par son nom d'homme, mais par le nom divin de « Seigneur ». C'est par ce nom que Marthe s'adresse à son visiteur. Et c'est le « Seigneur » qui lui répondra. Ce nom de « Seigneur » est celui que les disciples attribueront à Jésus après la résurrection. Assise aux pieds du Seigneur, Marie est donc présentée dans la posture du disciple qui, dans la foi, adhère au Seigneur Jésus et qui nourrit sa foi par l'écoute de la Parole de Dieu. Telle est la seule chose nécessaire qui doit occuper la première place, la meilleure part, dans la vie du disciple du Christ. Notre récit ne doit pas être classé au simple rang d'anecdote, car il contient tous les ingrédients d'une catéchèse sur la place centrale de la Parole de Dieu dans notre vie. La Parole de Dieu : la part de choix Dans le cadre d'une certaine spiritualité, on a souvent utilisé ce récit du dîner chez Marthe et Marie pour opposer l'action et la contemplation et conclure que cette dernière était de loin supérieure. Une telle lecture ne rend pas justice au récit et présente une interprétation réductrice du message qu'il contient. Jésus ne reproche pas à Marthe son service (diakonia, d'après le grec), mais la multiplicité de ses activités et l'énervement qu'elles engendrent. Marthe est tombée dans le défaut de l'activisme. Par contre, si Jésus donne Marie en exemple, ce n'est pas à cause de sa fuite du service ou de son inaction, mais à cause de son attention unique à l'égard de la Parole du Seigneur. Ce qu'il ne faut pas confondre avec la contemplation. Quel que soit le service du Seigneur que nous accomplissions, celui-ci doit d'abord et avant tout être centré sur la Parole de Dieu. Rappelons-nous la remarque de Jésus, dans le récit de la Samaritaine (Jn 4) lorsque ses disciples reviennent du marché avec leurs provisions pour le lunch: « Ma nourriture, c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son oeuvre » (verset 34). Il venait de se nourrir de la foi de la Samaritaine qu'il avait évangélisée. Dans son ministère actif, Jésus contemplait son Père pour faire sienne sa Parole et l'incarner dans ses rapports avec les êtres humains. Que nous soyons plongés dans le travail quotidien, engagés dans des services pastoraux d'engagement social ou d'éducation de la foi, consacrés dans la vie contemplative, une seule chose est nécessaire pour que notre vie de disciple du Seigneur soit bien équilibrée: c'est l'écoute attentive de la Parole de Dieu. C'est elle qui donne sens et unifie toutes nos activités, nous évitant ainsi de nous disperser dans de multiples tâches et de tourner à vide, au risque de perdre les pédales comme Marthe. En tant que disciples de Jésus, nous serons toujours partagés entre le désir de contempler Dieu et la volonté d'agir en faveur du prochain. La place centrale que nous accorderons à l'union spirituelle avec le Seigneur Jésus, qui est la Parole de Dieu faite chair, loin de nous faire réconcilier les contraires à tout prix, établira plutôt l'unité et l'harmonie entre l'action et la contemplation. Ces deux dimensions sont importantes dans une vie de disciple, mais l'écoute de la Parole doit occuper la part de choix dans notre vie, la meilleure part comme dit Jésus. Yves Guillemette, ptre Chronique
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