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Coups de coeurs
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chronique du 2 février 2000
 

9-1-1 Jéricho !

 

Montagnes dénudées, arbustes clairsemés, lits de torrents asséchés, chaleur accablante, solitude à perte de vue, passes encaissées: telle est la route qui relie Jérusalem et Jéricho sur une distance d'environ 25 kilomètres avec, en prime, une différence d'altitude de 1000 mètres entre les deux villes. Le paysage désertique qui s'offre à nos yeux est tout à fait à l'inverse de celui, très verdoyant, que l'on peut admirer entre Saint-Sauveur et Sainte-Agathe. De nos jours, une belle route nous conduit de Jérusalem jusque dans la vallée de la mer Morte dont le reflet ressemble à du platine. Lorsque la plaine est en vue, on aperçoit, un peu au nord de la mer, la belle oasis de Jéricho, longée par le Jourdain, qui en est à la fin de son parcours. Jésus a choisi ce paysage inhospitalier pour situer l'action de la parabole du bon Samaritain (Lc 10,25-37).

     Cette parabole est une exclusivité de l'évangile selon saint Luc. Elle constitue, avec le déjeuner chez Marthe et Marie et l'enseignement du « Notre Père », un tableau à trois volets sur la pratique chrétienne: primauté accordée à la Parole, amour de Dieu et du prochain, prière filiale.

Une voie crie dans le désert

     En suivant la route à travers le désert de Juda, on s'imagine aisément la détresse dans laquelle se trouvait le pauvre voyageur qui, dans la parabole, est laissé pour mort après avoir été attaqué par des brigands. Même si la scène fait partie d'une parabole, elle se produisait bel et bien dans la réalité.

     Notre pauvre homme est aussi mal pris qu'une personne qui s'égarerait dans nos forêts en plein hiver. À l'époque, il n'y avait pas de cellulaire, ni de GPS, ni de téléphone le long de la route pour acheminer les appels au secours jusqu'à la centrale du 9-1-1. C'était vraiment la voie qui crie dans le désert.

     Comme dans plusieurs paraboles, le comportement des uns met en évidence celui des autres. Ainsi en est-il de l'attitude du prêtre et du lévite qui mettra en lumière celle du Samaritain. Comme Jésus raconte la parabole en réponse à la question du spécialiste de la Loi qui demandait qui était son prochain, le message se situe au niveau des attitudes respectives des protagonistes. Le prêtre et le lévite se gardent à une bonne distance du blessé et le regardent de loin. Par respect des préceptes de pureté rituelle qui conviennent à leur fonction, ils décident que le blessé ne sera pas leur prochain. S'il eut fallu qu'il fût mort, ils n'auraient pu remplir leurs tâches liturgiques. À ce point-ci du récit, notre spécialiste de la Loi devait être d'accord. Mais l'histoire ne s'arrête pas là.

Une fleur dans le désert

     Voilà que l'action rebondit avec l'arrivée d'un Samaritain qui ne crée pas de distance entre lui et le blessé. Il s'approche, lui donne les premiers soins, le conduit ensuite à une auberge où il continue de lui prodiguer les soins requis. Un seul verbe décrit le comportement du Samaritain: il fut pris de pitié. C'est ce verbe que l'on utilise dans la bible pour désigner la miséricorde de Dieu. Le même verbe est utilisé pour évoquer la réaction du père miséricordieux qui ouvre large les bras pour accueillir son fils cadet. Une autre parabole que l'on trouve dans l'évangile selon saint Luc (15, 11-32). L'expression être pris de pitié est également utilisée pour décrire l'attitude de Jésus devant les êtres humains qui ont besoin de réconfort, de soulagement, de pardon.

     La miséricorde exercée par Jésus, ainsi que par le bon Samaritain et le père de la parabole sont des comportements proprement divins accomplis par des êtres humains. La miséricorde est l'expression par excellence de l'amour de Dieu et du prochain. Elle permet à un homme ou à une femme de s'approcher d'une autre personne, sans se poser de questions, sans se laisser arrêter par la différence. L'exercice de la miséricorde oblige à un dépassement de soi; elle implique une sortie de soi pour accueillir l'autre; elle abolit les frontières de toutes sortes. La miséricorde de Dieu exercée par un homme est comme une fleur qui pousse dans le désert de la solitude, de l'indifférence, de l'anonymat. Elle permet aux êtres humains de se retrouver sur un même terrain, de faire route ensemble et de se dire les uns aux autres la réalité de l'amour de Dieu.

     La parabole de Jésus contient une bonne dose d'ironie. Dans la réalité, les Samaritains appartenaient à une branche schismatique du judaïsme. Le légiste, qui demandait à Jésus qui était son prochain, se voit donner en exemple un Samaritain avec lequel il était interdit d'avoir des rapports. Il ne s'agit plus de choisir son prochain, mais de se faire proche de toute personne en difficulté. Voilà la religion qui, au-delà des différences de rites et de pratiques, établit des rapports vrais avec Dieu et avec les autres.

La miséricorde fait boule de neige

     Il est plutôt rare qu'il neige dans le désert de Juda, mais la miséricorde du bon Samaritain fait boule de neige. En effet, celui-ci associe l'aubergiste à sa charité active: Prends soin de lui... . La miséricorde ne laisse personne indifférent, car elle révèle la densité spirituelle de celui ou celle qui l'exerce. Le bon Samaritain invite l'aubergiste à se faire à son tour proche de l'homme blessé et à prolonger ainsi sa miséricorde. La charité apparaît alors comme un puissant outil de conversion des coeurs et de transformation de l'agir. Elle crée un réseau de solidarité sociale qui rejoint le dessein de Dieu de rapprocher les êtres humains. C'est ainsi que son règne grandit au sein de l'humanité pour en faire progressivement son peuple.

Le bon Samaritain Jésus

     Les paraboles servent souvent à Jésus de moyens pour justifier son agir envers les êtres humains, ou pour illustrer le projet de salut de Dieu. La parabole du père miséricordieux démontre que ses relations avec les pécheurs traduisent la miséricorde et le pardon de Dieu. La figure de Jésus se profile derrière celle du bon Samaritain. N'est-il pas l'étranger qui circule sur nos routes humaines, se faisant proche de tout être humain blessé par les circonstances de la vie? N'est-il pas la miséricorde de Dieu en action? N'est-il pas celui qui nous associe à sa miséricorde, nous demandant de faire de même? Jésus demande beaucoup aux humains que nous sommes, mais c'est le moyen par lequel nous apprenons à devenir des disciples et des témoins actifs de la miséricorde de Dieu. Jésus nous apprend comment répondre quand quelqu'un fait le 9-1-1.

Yves Guillemette, ptre

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