La croix grecque entourée d’un cercle sur un sarcophage de la chapelle funéraire du complexe religieux du Seraya, à Qanawat (l’antique Canatha), en Syrie (Frank Kidner / Wikimedia).
Le tav hébraïque et le baptême
Sylvain Campeau | 10 octobre 2022
Dernière lettre de l’alphabet hébraïque, le tav correspond au tau grec et à la lettre té en français. Notons toutefois qu’en grec et en français, la lettre n’occupe pas la dernière place de l’alphabet, une différence importante sur le plan symbolique comme nous le verrons plus loin.
Le tav tracé sur le front
Parce que le nom de Dieu est « incommunicable » (Sagesse 14,21), on ne le prononçait plus et on le remplaçait de diverses manières. L’un des artifices utilisés était de lui substituer la lettre tav qui s’écrivait simplement sous la forme d’un + ou d’un x facile à tracer. On peut le voir sur certaines inscriptions hébraïques anciennes comme sur des ossuaires palestiniens.
Le sens du symbole repose sur un texte prophétique du livre d’Ézéchiel :
La gloire du Dieu d’Israël s’éleva au-dessus des Kéroubim où elle reposait, et se dirigea vers le seuil de la Maison du Seigneur. Alors le Seigneur appela l’homme vêtu de lin, portant à la ceinture une écritoire de scribe. Il lui dit : « Passe à travers la ville, à travers Jérusalem, et marque d’une croix au front ceux qui gémissent et qui se lamentent sur toutes les abominations qu’on y commet. »
Puis j’entendis le Seigneur dire aux autres : « Passez derrière lui à travers la ville, et frappez. N’ayez pas un regard de pitié, n’épargnez personne : vieillards et jeunes gens, jeunes filles, enfants, femmes, tuez-les, exterminez-les. Mais tous ceux qui sont marqués au front, ne les touchez pas. Commencez l’extermination par mon sanctuaire. » Ils commencèrent donc par les vieillards qui adoraient les idoles à l’entrée de la Maison du Seigneur. (Ézéchiel 9, 3-6 / AELF)
Quand on traduit littéralement ce passage de la bible hébraïque, on comprend que c’est un tav qui est marqué sur le front. La version grecque des Septante le traduit par un terme abstrait (sêmeion) qui veut dire « signe » et on perd ainsi une partie de la symbolique rattachée au nom divin. Comme l’explique Gérard-Henry Baudry, il faut comprendre ici que le tav n’est pas « un simple signe de repérage, de reconnaissance, mais ce signe est le nom même de Dieu que portent ceux qui l’ont reçu » [1]. C’est l’équivalent d’un sceau qui indique l’appartenance au Dieu d’Israël : ceux et celles qui en sont marqués participent à l’être même de Dieu. C’est pour cette raison qu’on parle du peuple de Dieu, au sens fort.
Le symbole dans le christianisme naissant
En lisant le passage du prophète Ézéchiel, il est facile de faire un lien avec un texte plus connu du livre de l’Exode : le signe tracé avec du sang sur les linteaux ou montants des portes avant la sortie d’Égypte. Ce signe épargne les habitants des maisons des Hébreux lors du passage de l’ange exterminateur (Exode 12,21.30). Il devient ainsi le signe de ceux et celles qui sont sauvés.
Connaissant bien la symbolique juive du tav, l’auteur de l’Apocalypse s’inspire du texte d’Ézéchiel quand il désigne Dieu et le Christ de la manière suivante : « C’est moi l’Alpha et l’Omega. » (Apocalypse 1,8 et 21,6) Écrivant pour des personnes de langue grecque, il remplace les première et dernière lettre de l’alphabet hébraïque (aleph et tav) par leur équivalent en grec (alpha et omega). Ailleurs dans le livre, il reprend la métaphore du sceau : « Et j’entendis le nombre de ceux qui étaient marqués du sceau : ils étaient cent quarante-quatre mille, de toutes les tribus des fils d’Israël. » (7,3)
Le signe sur le front pendant le rite baptismal repose sur cette symbolique. En utilisant le pouce, on formait un + ou un x sur le front de la personne baptisée. Pour les premiers chrétiens issus du judaïsme, il signifiait probablement le « nom » du Père ou celui du Fils, sa Parole incarnée. Cette symbolique plonge ses racines dans le texte d’Ézéchiel. Mais rapidement, ce sens originel s’est perdu et le signe a été compris comme celui de la croix (la croix grecque) ou comme l’initiale de Xristos (Christ).
Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Sylvain Campeau est responsable de la rédaction.
[1] Gérard-Henry Baudry, Les symboles du christianisme ancien. Ier-VIIe siècle, Cerf, 2009, p. 53. Nous nous inspirons ici de cet article bien documenté et illustré qui s’étend des pages 53 à 56.