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chronique du 11 décembre 2015

 

Les pleurs de Rachel

Le massacre des innocents (détail)

Le massacre des innocents (détail)
Léon Cogniet (1794-1880)
Musée des beaux-arts, Rennes


L’image de Rachel pleurant la mort de ses enfants est utilisée par Matthieu lorsqu’il raconte l’infanticide à Bethléem (2,16-18). Il emprunte cette idée du livre de Jérémie qui utilise aussi cette image dans un contexte différent. À cause de ces deux textes, Rachel est devenue un symbole fort d’une mère qui refuse d’être consolée devant la mort de ses enfants. On l’évoque encore aujourd’hui lorsqu’il est question de la souffrance injuste d’innocents.

Rachel en Genèse

     Le livre de la Genèse raconte quelques récits autour du personnage de Rachel. Un élément important est que sa vie se termine dans les larmes d’un accouchement difficile sur le bord de la route d’Ephrata/Bethléem (Gn 35,19). Contrairement à ce qui est dit en Matthieu et en Jérémie, Rachel ne pleure pas la mort de ses enfants puisqu’elle meurt avant eux.

Rachel en Jérémie

     En Jérémie 31,15 on retrouve Rachel dans un poème où elle est présentée comme la mère symbolique de la nation défaite, exilée, souffrante. Tous les exégètes s’entendent sur le fait que l’allusion à Rachel pleurant ses enfants fait référence à un exil. Toutefois, ils ne s’entendent pas sur l’exil qui est visé. Il pourrait s’agir de la déportation des Israélites du Royaume du Nord conquis par les Assyriens en 722-721 ou de la destruction de Jérusalem en 597 et 587 et de la déportation à Babylone. Dans les deux cas, il s’agit d’une défaite majeure infligée par un empire étranger qui cause mort et souffrance dans le peuple.

     La suite du texte (Jr 31,16-17) est un poème riche en images et métaphores. Dieu indique à Rachel et au peuple d’arrêter de pleurer puisque ses enfants reviendront de la terre étrangère. L'émotion de la lamentation d’une mère émeut Dieu qui répond par le réconfort et l’assurance. « Ainsi parle le Seigneur, Assez! Plus de voix plaintive, plus de larmes dans les yeux! Ton labeur reçoit la récompense – oracle du Seigneur : ils reviennent des pays ennemis. Ton avenir est plein d’espérance. » (Jr 31,16-17) Le livre de la consolation offre un espoir concret de Dieu qui répondra au besoin de base de la vie, une terre et l’absence d’oppression ennemie.

Rachel en Matthieu

     Dans le récit matthéen, Rachel pleure encore pour les enfants d’Israël qui souffrent de persécutions. Le contexte global des chapitres 30 à 33 de Jérémie invite à voir un retournement implicite dans la citation qu’il fait. Nous pouvons donc rappeler le schéma exil/retour, où la souffrance pointe en même temps vers l’espoir d’une restauration divine.

Rachel pleure encore

     La voix, la plainte et les pleurs de Rachel portent plus que l’agonie des survivants de Bethléem, elle soutient d’autres tragédies. Les pleurs de Rachel sont utilisés dans des réflexions sociales contemporaines reliées à l’injustice. Ainsi, j’ai trouvé des reprises de l’image symbolique des pleure de Rachel dans des textes concernant l’holocauste, l’avortement, la guerre au Vietnam, les personnes assassinées par la junte militaire en Argentine (1976-1983), le génocide au Rwanda, les guerres en général, des tueries en contexte scolaire aux États-Unis et même pour dénoncer le sort de familles sans domicile ou la pauvreté infantile. Ces reprises sont faites par des exégètes, des pasteurs, des journalistes et des autorités civiles appelés à commenter des tragédies. Quand les mots manquent, il y aura toujours les pleurs d’une mère comme Rachel.

Sébastien Doane

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