Une famille judéenne déportée après le siège de Lakish.
Relief mural du palais sud-ouest de Ninive. British Museum, Londres (Wikipedia).
Exil à Babylone
Sylvain Campeau | 12 septembre 2022
Latin : exsilium
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’exil n’est pas un événement unique. C’est une suite d’événements politiques et militaires qui ont entraîné des déplacements importants de populations des royaumes du Nord (Israël) et ensuite du Sud (Juda) et de plusieurs petits royaumes du Levant.
Des événements catastrophiques
Au 8e siècle avant notre ère, on observe une lutte de pouvoir pour le contrôle du Levant. Les petits royaumes de la région tentent de conserver leur indépendance en s’unissant à l’Égypte mais l’armée assyrienne sème le chaos sur son passage. Malgré ses efforts, le royaume du Nord tombe en 722 : après deux ans de siège, sa capitale – la ville de Samarie – est détruite par les Assyriens et une grande partie de sa population est déportée selon une inscription des vainqueurs (voir l’encadré et aussi 2 Rois 17,5-6).
À la fin du 7e siècle, les Babyloniens délogent du pouvoir les Assyriens et poursuivent la politique d’expansion territorial de leurs prédécesseurs. Le petit royaume du Sud (Juda) tente à son tour de conserver son indépendance en se tournant vers l’Égypte mais Jérusalem est assiégée en 598 et une partie de la population est déportée l’année suivante. Une autre importante déportation survient quelques années plus tard, en 587 : après deux ans de siège, Jérusalem connaît le même sort que Samarie et le Temple de Salomon est détruit. Une nouvelle déportation de la population survient : « Juda est exilée, soumise à l’oppression, à une dure servitude. » (Lamentations 1,3a)
Les exilés
Pour contrôler les territoires conquis, les Assyriens et les Babyloniens avaient l’habitude de déplacer une partie de la population. On visait d’abord les élites : la classe dirigeante, les nobles et les prêtres par exemple. On poursuivait ensuite en cherchant à combler les besoins en main d’œuvre : paysans et ouvriers. Pour les paysans, cela impliqua d’être initiés à un type d’agriculture basé sur l’irrigation, une méthode qui n’est pas utilisée à l’époque dans les royaumes d’Israël et de Juda. Pour les ouvriers spécialisés, les corvées imposées se résumaient à la restauration et à l’embellissement des infrastructures de la capitale des vainqueurs, pour donner un exemple [1]. Au début de l’époque perse (539-330 avant notre ère), les exilés du royaume de Juda auront la possibilité de revenir dans leur pays d’origine et de reconstruire le Temple (voir l’édit de Cyrus en Esdras 1,1-11). Mais ce ne sont pas tous les exilés qui profiteront de ce privilège. En résumé, le retour de l’exil à Babylone correspond à la période comprise entre 597 et 538 et concerne les déportés du royaume de Juda.
La catastrophe
La déportation loin de la Terre promise de leurs ancêtres et la destruction du Temple de Salomon font de l’exil à Babylone l’un des événements les plus tragiques vécus par les Judéens [2]. Si le peuple a reçu de Yahvé le don d’un pays, comment peut-il ensuite être dispersé sur une terre étrangère? Après la centralisation du culte à Jérusalem, comment comprendre que la maison de Yahvé (le Temple) soit tombée sous les coups des béliers de l’armée babylonienne? À ces questions s’ajoutent la fin de la monarchie qui ne sera jamais restaurée même après le retour de l’exil. La crise que traversent les exilés est très bien résumée par Thomas Römer :
La crise n’était pas tellement une crise économique (les populations favorisées semble avoir pu conserver leur statut) mais davantage une crise « théologique » : Yahvé s’était mis en colère contre son peuple ou avait-il été défait par les dieux des Babyloniens? Et comment fallait-il se situer face à la civilisation babylonienne et à la puissance de ses dieux? [3]
La réflexion qu’a provoquée cette crise parmi les intellectuels judéens a sans doute été le point de départ d’une intense activité littéraire qui a donné naissance à plusieurs livres de la Bible ou à leur réédition. Les causes de la catastrophe ont été comprises comme une conséquence de l’infidélité du peuple et de ses dirigeants. En d’autres termes, on a refusé d’y voir une défaite du Dieu d’Israël. Au contraire, Yahvé a « utilisé » les peuples étrangers pour donner une leçon d’humilité à son peuple. Toute une pédagogie me direz-vous! C’est du moins de cette manière qu’on a résolu la crise : en pensant que nous sommes souvent la cause de notre propre malheur…
Diplômé de l’Université de Montréal, Sylvain Campeau est bibliste et responsable de la rédaction.
[1] Voir Francis Joannès, « Déportés judéens. Une intégration réussie? », Le Monde de la Bible 226 (2018) 46-53.
[2] Selon la Bible, Dieu avait pourtant averti que le peuple connaîtrait ce destin tragique mais on comprend qu’il s’agit ici d’une relecture postérieure des événements.
[3] Thomas Römer, « Et l’exil créa la Bible. Histoire d’une crise théologique », Le Monde de la Bible 226 (2018) 54-61.