Les deux témoins tels que représentés dans l’Apocalypse de Bamberg, un manuscrit du 11e siècle (Wikipédia).
Témoin
Sylvain Campeau | 10 mai 2021
Hébreu : ‘ed
Grec : martus
Louis Monloubou et Michel Du Buit donnent cette très belle définition du témoin dans la Bible : « Le témoin est un objet ou une personne qui montrent la vérité d’une parole ou la réalité d’un fait. » [1]
Dans l’Ancien Testament, et c’est surprenant pour nous aujourd’hui, des objets peuvent être pris à témoin. Une pierre érigée en stèle et un tas de pierres sont les témoins d’une alliance entre Jacob et Laban (Gn 31,44-48) ; le ciel et la terre sont invoqués par Yahvé comme témoins contre l’idolâtrie de son peuple (Dt 4,26) ; le soleil et la lune sont qualifiés de témoins pour souligner la fidélité Yahvé envers la dynastie davidique (Ps 89,37-38) ; le livre de la Loi est placé près de l’arche de l’alliance – aussi appelée « arche du témoignage » – comme témoin de Yahvé contre son peuple s’il venait à briser le lien qui l’unit à son Dieu (Dt 31,26).
Dieu témoin
Au Proche-Orient ancien, les contrats, et surtout les pactes d’alliance, sont conclus devant les divinités. En Israël, c’est donc devant Yahvé que sont conclues les alliances. Si nous revenons au premier exemple plus haut, on peut lire que Yahvé est témoin de l’alliance entre Jacob et Laban (Gn 31,50). Ce rôle de Dieu est repris dans ce passage : « Que Yahvé soit témoin entre nous, si nous ne faisons pas selon ta parole! » (Jg 11,10 ; voir aussi 1 S 12,5) En d’autres termes, Dieu écoute les paroles du pacte entre Jephté et les anciens de Galaad et on croit qu’il interviendra si l’une des parties ne respecte pas sa parole.
L’homme témoin
Dans l’Ancien Testament, les femmes, les esclaves et les mineurs ne peuvent pas témoigner. Le témoin est donc un homme qui est présent lors d’un événement ou de la conclusion d’un acte juridique : achat, vente, engagement (voir Is 8,2 ; Jr 32,10.12.25 ; Rt 4,9-10). Le témoin peut être une personne interpellée lors d’un procès, comme dans nos procédures judiciaires contemporaines sauf que Dieu lui-même peut être l’accusateur (1 S 12,5 ; Jr 6,10 ; 22,23 ; 42,5 ; Ml 2,14). Le témoignage d’un homme envers ses semblables est donc important dans l’ancien Israël et les détails de cet usage sont codifiés dans la Loi (Nb 5,13 ; 35,30 ; Dt 6,7 ; voir aussi Dt 19,18-19 sur les conséquences du faux témoignage).
Dans quelques passages du livre d’Isaïe, on retrouve finalement l’idée que le témoin est, par sa vie elle-même, un signe de l’action ou de la parole de Yahvé. Cette idée est appliquée à David (55,4-5) et surtout à Israël (43,10 ; 44,8).
Dans le Nouveau Testament, le premier témoin est Jésus Christ lui-même. Les chrétiens sont ensuite appelés à suivre son exemple et à être ses témoins partout dans le monde.
Jésus témoin
« Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. » (Jn 18,37)
Selon l’évangéliste Jean, Jésus est le témoin par excellence : située dans le contexte de la passion, cette affirmation nous renvoie au prologue de l’évangile. L’origine de la mission de Jésus vient de Dieu et il est le révélateur d’une vérité offerte à tous. Fils unique du Père, lui seul peut nous introduire dans l’intimité de Dieu (1,18). Il a rendu ce témoignage au risque de sa vie comme le rappelle 1 Tite 6,13 ; Jésus est donc le « témoin fidèle » (Ap 1,5) qui nous apporte le salut et qui suscite l’adhésion à son message. Son témoignage s’appuie sur celui de l’Esprit (Jn 15,26) et sur des signes comme l’eau et le sang (1 Jn 5,6-8).
Les chrétiens, témoins à leur tour
Les évangiles synoptiques et les lettres pauliniennes utilisent le terme dans son sens juridique. L’auteur de Luc-Actes par contre développe le concept spécifiquement chrétien de « témoins de la vie de Jésus » (voir Lc 24,48) ; il sera suivi ici par le rédacteur de l’Apocalypse. Chez Luc, les témoins sont toujours les apôtres sauf dans le récit qui concerne Étienne (Ac 22,20). Les témoins sont ceux qui ont vu les gestes de Jésus ou entendu son enseignement (Ac 1,8) mais surtout, ce sont ceux qui peuvent témoigner de sa résurrection (Ac 1,22). C’est pour cette raison que les Actes mettent en scène une rencontre entre Paul et le ressuscité : cette vision confirme son titre d’apôtre et on peut ainsi le considérer comme l’un des témoins de la résurrection (1 Co 15,8). Dans ce rôle, Luc souligne à maintes reprises le soutien de l’Esprit (Ac 5,32 par exemple) qui leur donne la force et le courage (Ac 4,33).
Dans l’Apocalypse, le témoignage est un thème important. Comme nous l’avons signalé plus haut, le premier témoin est le Christ. Mais on y rencontre également les deux témoins, représentants de toute l’Église (Ap 11,1-13). Dans cette vision, la présentation des deux témoins s’inspire des figures de Moïse et d’Élie. Le rôle des témoins est de livrer un message prophétique (v. 3) et de rendre témoignage (v. 7), participant ainsi au mystère pascal du Christ. Comme l’explique Jean-Pierre Prévost :
Alors que Jean s’apprête à évoquer, au chapitre 12, la mort et l’exaltation glorieuse du Christ, le voilà qui illustre admirablement, grâce à la figure des deux témoins, le même mystère pascal tel que vécu par les chrétiens de son temps : s’ils connaissent la persécution qui entraîne la souffrance et la mort, ils sont appelés, comme le Christ et les deux témoins, à entrer dans le monde de la résurrection. [2]
Dans ce passage de l’Apocalypse et dans d’autres versets où l’on parle du don du sang (2,13 et 6,9 par exemple), on est proche de l’identification qui sera faite entre le témoin et le martyr.
Diplômé de l’Université de Montréal, Sylvain Campeau est bibliste et responsable de la rédaction.
[1] L. Monloubou et F.M. Du Buit, Dictionnaire biblique universel, Paris, Desclée, 1984, p. 723. Nous suivons ici la structure de l’article « Témoin » de ce dictionnaire.
[2] Jean-Pierre Prévost, L’Apocalypse. Commentaire pastoral, Paris, Bayard ; Outremont, Novalis, 1995, p. 102. L’auteur admet toutefois que l’interprétation qu’il propose, celle de voir dans les deux témoins une représentation de l’Église, ne fait pas consensus. Il n’est toutefois pas le seul à suivre cette ligne d’interprétation. Voir par exemple Édouard Cothenet, « Témoins et prophètes dans le monde », dans Une lecture de l’Apocalypse, Paris, Cerf (Cahiers Évangile 11), 1975, p. 40-45.