|
6- Ils sont avec nous, ces Romains
À travers les récits des évangiles et des Actes des apôtres, on doit convenir que les centurions romains sont présentés sous un jour favorable, comme des modèles de sagesse et d’intégrité. La présence de ces centurions à des moments clefs de l’Évangile et des Actes des Apôtres, est même un fait calculé. Il suffit de noter plusieurs éléments significatifs : le centurion de Capharnaüm est le premier païen à intervenir dans l’évangile et il est cité comme un exemple de foi par Jésus; le centurion au pied de la croix est la toute première personne, après la mort de Jésus, à témoigner de sa divinité; Corneille est le premier non-juif à être baptisé et à être admis dans la communauté des croyants; et enfin les centurions qui escortent Paul en l’aidant à se rendre à destination facilitent l’accomplissement de sa mission ultime : prêcher l’Évangile à Rome.
On est en droit de s’interroger sur une présentation aussi avantageuse des centurions. Les centurions symbolisaient l’occupation militaire et politique romaine que bien des gens n’admettaient pas ou combattaient. Les Romains étaient des païens, donc des gens que les Juifs évitaient de fréquenter sous peine de se rendre impurs.
On peut sans doute expliquer ce phénomène du fait que les auteurs de ces récits ont voulu mettre toutes les chances de leur côté pour une cause qui leur tenait à cœur. À l’adresse des uns (les chrétiens) et des autres (les Romains), leur message était clair : la voie chrétienne ne remet pas en question l’ordre établi, les Romains n’ont rien à craindre des chrétiens et beaucoup à apprendre d’eux comme l’attestent certains de leurs compatriotes hauts placés, soit qu’ils avaient déjà adhéré au Christ, soit qu’ils s’étaient vus montrés en exemple par Jésus; et les chrétiens, quant à eux, n’ont rien à craindre des Romains et ont tout à gagner de collaborer avec eux comme l’indique la venue de Paul à Rome qui a été rendue possible grâce à l’intervention de plusieurs hauts-gradés. À travers ces différents centurions, Luc et les autres voulaient aussi rejoindre ceux que le christianisme naissant avait des chances d’attirer : des « craignant-Dieu » attirés jusqu’alors par le judaïsme, des Romains déçus par leurs diverses religions, ou encore des Grecs en recherche de foi.
Ce « préjugé favorable » de Luc envers les centurions romains peut s’expliquer par sa vision de l’avenir. Lorsqu’il comprend que l’expansion du christianisme se fera dorénavant principalement et presque exclusivement auprès des païens (Ac 13, 46), il se dit qu’il vaut mieux avoir les leaders du bon côté.
Les nouvelles églises sont systématiquement fondées dans les villes : Samarie (Ac 8, 14), Damas (Ac 9, 19b), Lydda (Ac 9, 32), Joppée (Ac 9 ,42), Césarée (Ac 10, 48), etc. Qui étaient les responsables militaires et civiques des villes? Qui étaient les personnes en autorité qu’il fallait absolument avoir de son côté? Les centurions, évidemment. Ainsi fallait-il bien les soigner, les persuader que la cause est bonne; il fallait les flatter dans « le bon sens du poil », pour ultimement obtenir leur collaboration, et idéalement leur adhésion.
Dépeindre les centurions de façon positive, comme des « hommes d’honneur », intelligents, décidés, pieux, dignes de confiance, était le signe d’une adroite campagne de persuasion dont le but premier était de se concilier leurs bonnes grâces. C’était on ne peut plus essentiel pour la réussite de la mission chrétienne et la pérennité de la nouvelle foi. L’ultime demande du Christ était de faire de toutes les nations des disciples; mettre toutes les chances de son côté pour annoncer son message, c’était tout simplement faire preuve d’intelligence et de lucidité.
Il était primordial de montrer que des centurions qui s’étaient bien entendus avec les juifs (Corneille) pouvaient dorénavant bien s’entendre avec les chrétiens (Julius), de montrer des centurions qui s’étaient avancés vers Jésus (celui de Capharnaüm) et d’autres qui accompagnaient son apôtre (Julius). Sans l’appui de ces hommes de valeur, les missions chrétiennes auraient eu bien moins de chance de réussite.
Sans aller jusqu’à la vision d’une conversion à la Constantin, peut-être que Luc (et d’autres avec lui), dans ces rêves les plus fous, imagine un monde romain où tous les centurions, rendront gloire à Dieu en s’exclamant : « Vraiment, cet homme était juste. »
David Fines, pasteur dans l’Église Unie du Canada et en charge pastorale de Drummondville-Mauricie.
Source: Le Feuillet biblique, no 2471. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre
biblique de Montréal.
Début de la série :
Les centurions dans les récits du Nouveau Testament
Article précédent :
5- Le tribun et les centurions de Jérusalem
(Actes 21, 27 - 2, 22)
|