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Un terrain d'affrontement : la Torah
La Torah devient, pour les Juifs de l’Académie de Yabneh, le lieu unique de l’Alliance entre Dieu et son peuple. La présence de Dieu (shekinah), qui résidait dans le sanctuaire (naos) du Temple, dépend dorénavant de l’accomplissement et de l’étude de la Torah. Le traité Abot 3,2 de la Mishnah dit ceci: « Deux sont assis et qu’il y ait entre eux les paroles de la Torah, la Shekinah réside au milieu d’eux ». On notera la ressemblance avec les affirmations de Jésus rapportées par les deux évangiles destinés à des chrétiens d’origine juive. D’abord en Matthieu 18, 20: Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux; puis Jean 14, 23: Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui.
Même si la Torah devient le signe de la présence de Dieu, les commandements ne sont pas abolis. Il faut continuer à les observer pour marcher selon la loi de Dieu. On fixe à 613 le nombre des commandements, car 613 est la somme de la valeur numérique des lettres qui forment le mot Torah. On s’interrogera également sur une possible hiérarchisation de ces commandements. La réflexion morale à Yabneh, influencée par Hillel, évoluera vers l’affirmation de l’amour de Dieu et du prochain comme norme de la vie religieuse. Les propos de saint Paul, bien au courant de la tradition juive de son temps, étaient en affinité avec ce courant du judaïsme: Car la loi tout entière trouve son accomplissement en cette unique parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même (Ga 5, 14). On retrouve la même affinité dans la parole de Jésus au scribe (Mc 12, 28ss).
Dans l’évangile de Jean, le commandement de l’amour définit la condition du disciple (Jn 13, 34-35; 14-15). Cet amour fraternel est signe de la relation d’amour du Père et du Fils. Le disciple qui observe ce commandement est habité par Dieu (Jn 14, 23) et il passe de la condition de serviteur à celle d’ami (Jn 15, 15). L’agir du disciple a pour modèle l’agir de Dieu. On obtient donc cette séquence: Dieu aime le Fils et le Fils aime le Père; le Fils aime les hommes; les disciples doivent manifester de l’amour les uns pour les autres au nom même de leur appartenance au Christ.
Chez Jean, il se produit avec la Torah ce qui s’est produit avec le Temple. À quelques endroits, on retrouve l’idée que toute la Torah conduit à Jésus et n’a de sens qu’en lui. L’affirmation est choquante pour les Juifs. C’est leur usurper ce qu’ils ont réussi à sauvegarder; c’est vider le judaïsme du cœur de sa foi.
Pour les Juifs, la pratique de la Loi conduit à la vie (Jn 5, 39). Elle aurait dû les conduire à Jésus s’ils avaient accepté le témoignage que déjà Moïse lui rendait (Jn 5, 39.46). Leur demander de croire que Jésus est la Voie, la Vérité et la Vie, c’était leur demander l’impossible, car c’était identifier Jésus à la Torah (la voie) et à Dieu (la vérité et la vie).
Dès le Prologue, Jésus est présenté comme la Parole (le Verbe) faite chair qui révèle dans l’histoire la gloire de Dieu. Jean emprunte aux spéculations sur la Torah le langage nécessaire pour désigner Jésus. Il y a affinité entre les formules pour identifier le Christ johannique et les définitions de la Torah qui manifeste la gloire de Dieu. Dans la Mishnah, on dit de la Torah qu’elle est fille de Dieu (LévR 20, 7), vie (Hillel, Abot 2, 7), lumière (Proverbes 6, 23) et qu’elle est venue du ciel (Sanhah 10, 1). Dans le discours du pain de vie, Jésus dira qu’il est le vrai pain venu du ciel.
Les sages ont aussi reporté sur la Torah les images bibliques du feu, de l’eau, du vin, de l’huile, de la manne, de l’arbre de vie. Jean en utilise pour désigner le Christ et le salut qu’il apporte. Par conséquent, Jésus est la nouvelle Torah porteuse de vie (Jn 20, 30-31). On peut comprendre les motifs qui ont conduit des juifs devenus chrétiens à l’exclusion de la synagogue.
Source: Le Feuillet biblique, no 2322. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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Jean et le judaïsme de son temps - Un terrain d'affrontement : le Temple (3/4)
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