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2e série - L'Évangile selon saint Matthieu (3/7)
 

Une manière de réfléchir originale

Une excellente publication liturgique de Chicago, Sourcebook 2011, affirme en page ix : « Matthieu a joué un rôle unique en façonnant notre compréhension de l’identité de Jésus, de la manière adéquate pour vivre la vie chrétienne, et de la signification d’exister comme Église. » Attention cependant! La contribution originale de l’évangile ne se limite pas à ces contenus. L’évangile met en scène un processus de discernement paradoxal. 

     À première lecture, le texte semble dépendant vis-à-vis la Bible juive. Son imagination s’appuie sur une relation constante avec le matériau de base qu’est l’Ancien Testament. L’évangile « accorde au texte ancien sa sainteté et sa force perpétuelle, mais il suppose toujours que, en un sens important, il n’est pas complet en lui-même. L’événement ou le propos préfiguré dans le texte ancien s’accomplit dans le nouveau, qui s’en trouve donc validé en même temps qu’il le contient et le transcende. Entre le nouveau et l’ancien, la relation est de nature typologique; bien que l’ancien fût complet et ne se prêtât à aucun ajout, il devait néanmoins être complété. Comme si l’histoire et le récit acquéraient une dimension nouvelle et inattendue. » (Frank Kermode, Encyclopédie littéraire de la Bible, page 477) 

     La typologie n’est pas une invention chrétienne. Elle procède d’habitudes de pensée juives. Elle recycle des formes rhétoriques également juives, certaines étant très anciennes. Un exemple de cette forme de texte? Le parallélisme qui prend la forme « A, et qui plus est, B ». La « seconde partie apporte quelque chose de plus que la première ». 

     Cette formule pourrait décrire non seulement la structure générale de la pensée de Matthieu (« Israël A, et, qui plus est, Israël B »), mais aussi la micro-texture de sa prose. Cette caractéristique, plus que tout autre, confère à l’évangile son unité. Le « qui plus est » de sa texture reflète le « qui plus est » de son propos. L’excédent de B sur A est ce qui transforme A et l’accomplit.

Jésus, autorité pour accomplir et transformer

     Pour reprendre une formule de Kermode, « l’accomplissement requiert transformation, et la transformation implique un certain excédent.» Cet excédent, ce n’est pas seulement un ingrédient des discours de Jésus. C’est aussi une série d’attitudes et d’actions, comme lors des miracles. Jésus possède l’autorité qui permet d’opérer la transformation. Il s’avère être une source nouvelle dont les effets sont spectaculaires. On relira dans cette optique la rencontre avec le centurion, 8, 5-13.

     Voilà pourquoi Jésus peut mener à leur terme la Loi (la Torah, donc « l’enseignement ») et les Prophètes, autrement dit toute la Bible juive. Il fallait raconter l’histoire de Jésus en montrant qu’elle s’enracine dans l’histoire marquée du sceau de l’autorité de Dieu, tout en déployant des nouveautés fondées elles aussi sur les gestes de Dieu. Autrement dit, l’histoire de Jésus ne peut que se conformer aux données du Premier Testament pour garantir son étonnante nouveauté. Kermode conclut : « Matthieu est assurément une interprétation de la Bible juive, qui est elle-même… une interprétation de traditions précédentes. » (page 491)   Dans les récits de l’enfance, le « …pour que ce qui a été dit par les prophètes soit accompli » (Matthieu 2, 23) s’avère un thème récurent de l’œuvre de Matthieu.

     Il n’y a aucune équivoque en 5, 17-18 quant au désir de Jésus d’accomplir la Torah. La lettre de la Loi est complète dans le plus petit détail. Elle mérite toujours d’être scrupuleusement mise en œuvre.

« Ne croyez pas que je sois venu détruire la Loi et les Prophètes.
Loin de détruire, je suis venu pour accomplir.
Croyez-en ma parole :
avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i (iôta),
pas un point sur le i (keraia) ne passera de la Loi, que tout ne soit arrivé.
»

     Et pourtant la Loi, la Torah, doit être transformée. Elle doit désormais porter le poids des déclarations et de la sagesse de Jésus. Paul avait affirmé cela en Romains 10, 4 : le Christ est le telos de la Loi, sa fin au sens double de terminaison et de perfection. Voilà pourquoi, pour suivre Jésus, il faut observer la Loi plus sérieusement encore que les Juifs les plus pieux.

 

Alain Faucher, ptre

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2275. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

Chronique précédente :
L'Évangile selon sain Matthieu - Contrôle d'identité : qui est l'auteur?

 

 

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