Le livre d'Esther (1/6)
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Un trésor biblique méconnuLes personnes qui déclarent que le Premier Testament a une dent contre les femmes vont être déçues. En effet, Esther est la troisième héroïne féminine qui donne son nom à un livre de la Bible, avec Ruth et Judith. Bien sûr, leur rôle est clairement délimité. Pourtant, ce rôle crée une immense différence dans la vie du Peuple de Dieu.Toute personne familière avec la Bible sait par expérience qu’on y trouve toutes sortes de textes. Aux récits guerriers succèdent des pages pleines de beauté et de poésie. Aux épisodes pétris de fidélité à Dieu s’arriment des tragédies causées par l’éloignement du peuple. Le livre d’Esther allie tous ces genres littéraires. Ici, une belle délinquante met sa vie sur le billot en osant adresser la parole à son époux, l’empereur, en faveur de son ethnie! Cette bravade inverse le cours des événements. Loin du climat de l’ÉvangileLe livre d’Esther raconte une histoire violente. La galerie des personnages est digne d’un Paris-Match, puisque le livre présente une histoire de reines, de palais, d’honneur et de déchéance, de réceptions somptueuses et de décrets assassins. L’histoire se déroule au moment où la Judée et la ville d’exil Babylone sont intégrées dans l’Empire perse. Le peuple juif apprend des mois à l’avance que son sort est réglé sans possibilité d’appel. Dans un retournement spectaculaire, les Juifs se voient attribuer le droit de trucider tous leurs opposants. Le sang coule, et les exécuteurs ont le cœur à la fête. Somme toute, ce livre n’est pas à mettre entre les mains des enfants qui vont au lit! Une foule de qualificatifs peut être utilisée pour décrire le livre. Voici en effet un roman haletant, décapant, étonnant, bizarre, spécial, étrange, différent, détonnant! J’utilise le mot « roman » en toute conscience. Tous les experts s’entendent pour dire que la vérité historique est mince. Ce qui n’évacue pas pour autant la cohérence avec les modes de vie et de gouvernement de l’époque décrite. Sous plusieurs aspects, le récit concorde avec le contexte. Dans ces conditions, il peut véhiculer des messages spirituels puissants. En parcourant cette chronique d’un génocide raté, nous ne pouvons nous empêcher d’évoquer les horreurs de la Deuxième guerre mondiale, aggravée par le massacre organisé des populations juives. Mais le livre biblique n’est pas morbide pour autant. Il est plein de rebondissements comme un roman d’espionnage ou un roman policier. Comme si la blonde comparse de James Bond occupait toute la scène! Une œuvre à découvrirMalgré sa violence, cette œuvre littéraire est une des plus connues dans le Judaïsme. En effet, les aventures d’Esther inspirent chaque année une fête délirante, très populaire auprès des enfants. Les catholiques sont beaucoup moins familiers avec ce texte. Aucun extrait n’est inséré dans le Lectionnaire dominical. Il est utilisé seulement en quelques circonstances de notre liturgie. Une seule mention statutaire au calendrier est prévue. La prière d’Esther est proclamée au jeudi de la première semaine du Carême. Quant à la prière de Mardochée, elle peut être utilisée lors de certaines messes spéciales : pour les chrétiens persécutés, pour le développement de la cité, pour toute détresse… Cette rareté exprime notre perception du livre. On le juge peu universel, trop ethnocentrique, trop violent. Avec en prime une difficulté supplémentaire : la différence marquée entre les versions en hébreu et en grec. L’introduction prévue pour la nouvelle édition de la Bible de la liturgie précise : « L’histoire littéraire du livre d’Esther est l’une des plus compliquées des livres bibliques. Le texte hébreu massorétique porte la forme brève, qui est pourtant déjà remaniée. Le texte grec comprend une partie traduite de l’hébreu et six sections supplémentaires, d’une centaine de versets au total, qui donnent à cette version un accent théologique prononcé : introduction du nom divin, totalement absent de l’hébreu, place décisive des prières de Mardochée et d’Esther, relecture des événements comme voulus et conduits par Dieu. Un tel apport laisse entendre que la forme brève du texte massorétique, qui présente une version purement séculière de l’intrigue, méritait quelques compléments, sinon une refonte. » Dans les prochaines semaines, nous explorerons le livre d’Esther. Nous rencontrerons les personnages principaux. Nous confronterons l’intrigue avec la vérité historique. Nous apprécierons la lecture et la célébration du livre vécues en milieu juif. Nous conclurons en évoquant deux belles prières retenues dans notre propre liturgie.
Source: Le Feuillet biblique, no 2218. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal. Chronique précédente :
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