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chronique du 27 novembre 2017
 

Sacrifier sa fille à Dieu pour remporter la victoire

Le retour glorieux de Jephté

Le retour glorieux de Jephté
Edwin Long (1829-1891)
Russell-Cotes Art Gallery & Museum (Bournemouth, Royaume-Uni)

Le livre des Juges raconte une époque troublée de l’histoire d’Israël. Les douze tribus peinent à rester unies et sont constamment en guerre avec leurs voisins. Voici le récit de ce qu’a fait Jephté, alors chef de l’armée des Hébreux, pour triompher des Ammonites.

Jephté fit un vœu au SEIGNEUR et dit : « Si vraiment tu me livres les fils d’Ammon, quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre quand je reviendrai sain et sauf de chez les fils d’Ammon, celui-là appartiendra au SEIGNEUR, et je l’offrirai en holocauste. » Jephté franchit la frontière des fils d’Ammon pour leur faire la guerre et le SEIGNEUR les lui livra. Il les battit depuis Aroër jusqu’à proximité de Minnith, soit vingt villes, et jusqu’à Avel-Keramim. Ce fut une très grande défaite ; ainsi les fils d’Ammon furent abaissés devant les fils d’Israël.

Tandis que Jephté revenait vers sa maison à Miçpa, voici que sa fille sortit à sa rencontre, dansant et jouant du tambourin. Elle était son unique enfant : il n’avait en dehors d’elle ni fils, ni fille. Dès qu’il la vit, il déchira ses vêtements et dit : « Ah ! ma fille, tu me plonges dans le désespoir ; tu es de ceux qui m’apportent le malheur ; et moi j’ai trop parlé devant le SEIGNEUR et je ne puis revenir en arrière. » Mais elle lui dit : « Mon père, tu as trop parlé devant le SEIGNEUR ; traite-moi selon la parole sortie de ta bouche puisque le SEIGNEUR a tiré vengeance de tes ennemis, les fils d’Ammon. » Puis elle dit à son père : « Que ceci me soit accordé : laisse-moi seule pendant deux mois pour que j’aille errer dans les montagnes et pleurer sur ma virginité, moi et mes compagnes. » Il lui dit : « Va », et il la laissa partir deux mois ; elle s’en alla, elle et ses compagnes, et elle pleura sur sa virginité dans les montagnes. À la fin des deux mois elle revint chez son père, et il accomplit sur elle le vœu qu’il avait prononcé. Or elle n’avait pas connu d’homme et cela devint une coutume en Israël que d’année en année les filles d’Israël aillent célébrer la fille de Jephté, le Galaadite, quatre jours par an. (Juges 11,30-40)

Le narrateur ne juge pas si le fait de faire un vœu de la sorte est légitime ou non. Mais il ne semble pas y avoir de porte de sortie. Ce qui a été dit doit être accompli. Pourtant, le livre du Lévitique (27,1-6) enseigne que lorsqu’une fille est vouée à Dieu, son père peut verser dix sicles d’argent au sanctuaire pour se libérer d’un vœu contracté par une personne offerte au Seigneur. Jephté était-il si radin qu’il ne voulait pas faire cette dépense? Cet échange proposé par le livre du Lévitique n’était-il pas encore en application? Nous ne le savons pas, mais le récit n’envisage aucune autre avenue que le sacrifice de la fille. Le message de ce récit est de faire attention à ce que l’on promet à Dieu.

De la danse à la mort

Il y a un grand contraste entre la joie et la danse de la fille, d’une part, et le sort qui est le sien, d’autre part. Lorsqu’il rencontre pour la première fois cette fille, le lecteur ou la lectrice éprouve un sentiment de malaise, puisqu’il connaît déjà le sort réservé à la première personne que rencontrera Jephté.

La fille de Jephté pleure sa virginité

La fille de Jephté pleure sa virginité
Édouard Debat-Ponsan
Huile sur toile, 1876 (Wikipedia)

La virginité de la fille est présentée comme un grand malheur. Les lecteurs contemporains pourraient croire que la tristesse vient du fait qu’elle ne connaîtra pas l’amour ou la jouissance d’une relation sexuelle. Pourtant, dans ce contexte, c’est plutôt le déshonneur de ne pas se marier et, surtout, de ne pas avoir d’enfant, qui est considéré comme une malédiction.

Il est intéressant de remarquer que nous ressentons une plus grande empathie pour la fille que pour les vingt villes Ammonites détruites par Jephté et les personnes qui y habitaient. Comme l’histoire est présentée de la perspective d’Israël, la mort de plusieurs fils d’Ammon semble beaucoup moins importante que celle de la fille de Jepthé, qui est encore pleurée par les filles d’Israël au moment de la mise par écrit de ce texte.

Négocier avec Dieu

Avez-vous déjà négocié, marchandé avec Dieu dans la prière? Cela semble un réflexe naturel lorsque l’on reçoit une mauvaise nouvelle, quand advient un événement malheureux sur lequel on n’a pas de prise. On en voit une illustration caricaturale lorsque les Canadiens de Montréal se rendent en séries éliminatoires : ses partisans se mettent à gravir les marches de l’Oratoire avant ou après une partie de leur équipe préférée pour que la chance penche de son côté. On peut trouver cet exemple ridicule; pourtant, devant la mort ou la maladie, on est prêt à tout essayer : « Si tu me guéris, Seigneur, je suis prêt à faire l’impossible pour toi. » Mais est-ce Dieu qui est la cause de nos maladies? Est-ce lui qui va les guérir? Ultimement, nous allons tous mourir et le marchandage avec Dieu ne peut rien y changer. D’ailleurs, Dieu n’est pas intervenu pour sauver Jésus de la souffrance et de la mort sur la croix. Heureusement, en tant que chrétien, mon espoir est que, comme pour Jésus, Dieu me ressuscitera après la mort. La mort et la souffrance font partie de la vie, mais la vie est plus forte que la mort.

Personnellement, je suis horrifié par l’attitude de Jephté. Lorsqu’une religion ou une idéologie mène à la mort, il faut s’indigner et changer cette façon de penser. Les traditions juives et chrétiennes contiennent des récits violents comme celui-ci, mais nous sommes invités comme lecteur et lectrice à dire non. Le narrateur ne prend pas position. Le personnage de Jephté admet qu’il a trop parlé. Il a trop parlé, mais il a surtout trop agi! Les sacrifices sont au cœur de l’Alliance entre Dieu et les humains, dans l’Ancien Testament. Des récits comme celui du sacrifice d’Abraham (Genèse 22,1-19) montrent comment les sacrifices humains ont été remplacés par des sacrifices d’animaux. La Nouvelle Alliance introduit un rapport complètement différent entre Dieu et l’être humain. Jésus est mort sur la croix et son geste a été interprété par les chrétiens comme le dernier sacrifice.

Extrait de : Sébastien Doane, Zombies, licornes, cannibales… Les récits insolites de la Bible, Montréal, Novalis, 2015.

Sébastien Doane

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