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chronique du 23 octobre 2017
 

Une femme cougar veut coucher avec Joseph

Joseph et la femme de Potiphar

Joseph et la femme de Potiphar
Guido Reni, circa 1630
Huile sur toile, 128,9 x 170 cm
J. Paul Getty Museum, Los Angeles
(photo : Wikipedia)

La culture contemporaine appelle « cougar » les femmes d’un certain âge qui séduisent avant tout des hommes plus jeunes qu’elles. Nous n’avons rien inventé, il y a une cougar dans le livre de la Genèse. Elle est mariée à Potiphar, un eunuque égyptien qui n’est pas vaillant au lit. Mais Joseph, son serviteur, pourrait peut-être faire ce que son mari ne peut pas…

6 Or Joseph était beau à voir et à regarder 7 et, après ces événements, la femme de son maître leva les yeux sur lui et lui dit : « Couche avec moi. » 8 Mais il refusa et dit à la femme de son maître : « Voici que mon maître m’a près de lui et ne s’occupe plus de rien dans la maison. Il a remis tous ses biens entre mes mains. 9 Dans cette maison même, il ne m’est pas supérieur et ne m’a privé de rien sinon de toi qui es sa femme. Comment pourrais-je commettre un si grand mal et pécher contre Dieu? » 10 Chaque jour, elle parlait à Joseph de se coucher à côté d’elle et de s’unir à elle, mais il ne l’écoutait pas. 11 Or, le jour où il vint à la maison pour remplir son office sans qu’il s’y trouve aucun domestique, 12 elle le saisit par son vêtement en disant : « Couche avec moi! » Il lui laissa son vêtement dans la main, prit la fuite et sortit de la maison.

13 Quand elle vit entre ses mains le vêtement qu’il lui avait laissé en s’enfuyant au-dehors, 14 elle appela ses domestiques et leur dit : « Ça! On nous a amené un Hébreu pour s’amuser de nous! Il est venu à moi pour coucher avec moi et j’ai appelé à grands cris. 15 Alors, dès qu’il m’a entendue élever la voix et appeler, il a laissé son vêtement à côté de moi, s’est enfui et est sorti de la maison. » 16 Elle déposa le vêtement de Joseph à côté d’elle jusqu’à ce que son mari revienne chez lui. 17 Elle lui tint le même langage en disant : « Il est venu à moi pour s’amuser de moi, cet esclave hébreu que tu nous as amené. 18 Dès que j’ai élevé la voix et appelé, il a laissé son vêtement à côté de moi et s’est enfui au-dehors. » 19 Quand le maître entendit ce que lui disait sa femme – « Voilà de quelle manière ton esclave a agi envers moi » –, il s’enflamma de colère. 20 Il fit saisir Joseph pour le mettre en forteresse, lieu de détention pour les prisonniers du roi. (Genèse 39, 6-20)

Les conséquences de la passion de la femme de Potiphar

Dans le monde biblique, la polygamie est permise, mais pas la polyandrie. Une femme mariée ne peut pas avoir de relations sexuelles avec un autre homme. Ici, la femme est mariée à un eunuque. Ce mot est équivoque puisqu’il peut évoquer un homme castré, efféminé, transgenre, impotent ou incapable de procréer. En général, les eunuques étaient au service d’un roi ou d’une reine pour garder leur harem. La femme de l’eunuque n’a pas sauté sur Joseph uniquement pour le plaisir sexuel. Il est possible qu’elle veuille avoir des enfants, chose très importante à l’époque, alors que son mari ne peut pas lui en donner.

La tradition juive a donné le nom de Zuleika à cette femme anonyme. Selon une légende [1], la beauté de Joseph serait la motivation de Zuleika. Toujours selon la légende, ses amies se moquaient du désir de Zuleika pour un esclave hébreu. Un jour que cette dernière les avait invitées chez elle et que toutes coupaient des pommes, Joseph entra dans la pièce : toutes les femmes se coupèrent aux doigts, distraites par sa beauté. On peut penser ce que l’on veut de cette légende, mais un excellent argument en faveur de l’interprétation qu’elle fait de la scène est que le texte biblique commence aussi par l’affirmation de la beauté de Joseph.

De cougar à mystique

La plupart des commentateurs présentent Zuleika comme une pécheresse qui fait le mal. En effet, selon le récit, c’est elle qui provoque l’arrestation de Joseph. D’ailleurs, la Divine comédie de Dante situe la femme de Potiphar dans le huitième cercle de l’enfer, avec d’autres personnes qui ont commis fraudes et adultères.

Pourtant, quelques voix proposent une interprétation beaucoup plus clémente. Par exemple, pour le poète mystique soufi Rumi, l’obsession charnelle de Zuleika est la manifestation d’un profond désir de Dieu. Pour lui, le désir de Dieu est présent, chaque fois qu’une personne aime quelqu’un d’autre. Cette interprétation est un bon exemple d’une interprétation spirituelle d’un texte. Elle s’éloigne du sens premier du texte biblique pour transmettre une façon d’entrer en relation avec Dieu.

Détruit et sauvé par un vêtement

Au chapitre 37 de la Genèse, Joseph avait déjà vécu une série de déboires à cause d’un vêtement qu’il avait reçu de son père et qui avait mené à son esclavage en Égypte. Ici, la femme prend son vêtement pour l’accuser et le faire emprisonner. Or, c’est en prison que Joseph interprétera les songes des officiers puis du pharaon. Ces exploits lui permettront de recevoir du pharaon tout le pouvoir sur l’Égypte. Il pourra donc accueillir sa famille lorsqu’elle viendra s’y réfugier, lors d’une famine. Les récits autour de Joseph ont un but évident : passer de Canaan à l’Égypte, du livre de la Genèse au livre de l’Exode, des patriarches à Moïse. Donc, finalement, sans le savoir, l’accusation de la femme de Potiphar a permis la réalisation de ce qui sera perçu comme le plan de Dieu pour son peuple.

[1] Sefer Ha-Yashar, Vayeshev, Venise, 1625.

Sébastien Doane

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