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chronique du 14 novembre 2014
 

« Mieux vaut la méchanceté d’un homme
que la bonté d’une femme »

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Comme la plupart des chrétiens, quand je lie la Bible, j’essaie d’être un lecteur conciliant. Je tente de comprendre le point de vue du narrateur. Mais là, c’est peine perdue! Cette citation du Siracide est complètement sexiste. Quoi faire avec cette parole biblique? Au lieu de prétendre qu’elle n’existe pas, voici une réflexion à partir de ce texte inacceptable pour mieux comprendre ce qu’est la Bible et comment l’interpréter aujourd’hui. 

Un contexte patriarcal

     Le Siracide est un livre biblique écrit par Jésus Ben Sira entre 200 et 175 av. J.C., à une époque où la sagesse grecque remet en question la manière traditionnelle de vivre en Palestine. C’est dans ce contexte que Ben Sira écrit pour défendre le patrimoine culturel, religieux et social d’Israël. Le Siracide est donc l’ouvrage d’un conservateur qui tente de sauver l’essentiel devant des situations nouvelles. La culture patriarcale fait partie des éléments qu’il veut préserver à tout prix.

Le contexte littéraire

     Une interprétation littérale de ce passage semble assez claire. Les femmes sont si mauvaises qu’un homme méchant est meilleur qu’une bonne femme. Les versets précédents présentent une fille comme la cause de soucis pour son père puisqu’elle peut perdre sa virginité, avoir de la difficulté à trouver un mari, être détestée de son mari, être infidèle, être stérile, etc. C’est à cette fille, présentée comme une source de honte potentielle pour son père, qu’est adressé le passage en question :

Ne fixe pas tes regards sur la beauté d’aucun être humain et ne t’assieds pas au milieu des femmes, car des vêtements sort la teigne et d’une femme une méchanceté de femme. Mieux vaut la méchanceté d’un homme que la bonté d’une femme; une femme couvre de honte et expose à l’insulte. (Si 42,12-14)

     Non, seulement ce passage déprécie les femmes en général, mais en plus, il recommande aux filles de ne pas chercher conseil auprès d’autres femmes ayant de l’expérience pour ne pas qu’elles soit imprégnées par leurs réflexions. Au fond, il s’agit d’une stratégie visant à imposer une vision machiste et souscrire les filles d’un contact avec des femmes pouvant potentiellement subvertir ce système social.

     Ouf! Quelle horreur! Mes valeurs personnelles sont complètement en désaccord avec le message véhiculé par ce texte. Est-ce qu’un chrétien a le droit d’être critique par rapport à un passage misogyne de la Bible?

L’amour comme critère d’interprétation

     Pour juger d’une interprétation biblique, on peut s’interroger sur l’effet de celle-ci. Justifie-t-elle la violence? Produit-elle de bons fruits? À la lumière du « précepte » d’Augustin, « aime et fais ce que tu veux [1] », l’amour devient la clé herméneutique permettant de juger de la valeur d’une interprétation. Accepter ce passage de façon littérale et docile mène à l’aliénation de la moitié de l’humanité. Cela va à l’encontre du principe d’Augustin.

Et Dieu dans tout ça?

     Une autre piste de réflexion est de se demander où est Dieu dans cette Parole? Il est impossible pour moi de dire que ce texte est automatiquement « Parole de Dieu ». Au mieux, peut-être que Dieu est présent dans le silence de la fille à qui est adressé ces conseils. Elle ne dit pas un mot dans cette parole d’homme. À la lumière des nombreux autres textes bibliques qui montrent Dieu du côté des exclus, peut-être que Dieu est avec les femmes, dont la bonté est niée par ce court extrait.

     Peut-être même que Dieu est dans les lueurs d’espoir transmis par ce passage. Si Ben Sira conseille à la jeune fille de ne pas se mêler à aux autres femmes, c’est qu’elles ont probablement développé une façon de résister à cette culture patriarcale. Ces femmes représentent un espoir : une subversion possible devant l’attitude machiste du texte.

La réaction du lecteur

     Ma réponse personnelle de lecteur à ce texte peut aussi être un élément positif. Devant ce texte, je ne peux que résister et contester le point de vue qu’il partage. Le résultat de ma lecture est probablement à l’opposé de ce que souhaitait l’auteur. Plus je lis et je médite cette parole, plus je désire lutter pour l’égalité des hommes et des femmes. Au fond, l’expérience de la lecture de ce texte a un résultat très positif puisqu’il me permet de prendre mes distances par rapport à la culture patriarcale d’où provient ce texte pour pouvoir agir dans ma propre société.

     Chez moi, au Québec, les femmes ne représentent que 15% des sièges des conseils d’administration des 50 plus grandes entreprises cotées en Bourse. Pire, une femme sur trois est victime d’agression sexuelle! Il y a encore beaucoup de chemin à faire. Pourquoi tant de machisme et de harcèlement envers les femmes? Malheureusement, plusieurs hommes ont gardé la mentalité de l’époque de Ben Sira. Pour moi, lire la Bible aujourd’hui, c’est de reprendre ces passages sexistes et y réfléchir autrement pour déconstruire cette culture machiste pour de bon!

     En terminant, remarquons que même si l’auteur préfère la méchanceté de l’homme à la bonté de la femme, il associe les femmes à la bonté et les hommes à la méchanceté. Est-ce le reflet de la réalité? Est-ce que les femmes sont « bonnes » et les hommes « mauvais »? Non, c’est trop simpliste. Il y a du bien et du mal en chacun de nous, peu importe notre sexe.

[1] Saint Auguestin, Commentaire de la première épître de Jean, traité VII, 8 : Semel ergo breve praeceptum tibi praecipitur : Dilige, et quod vis fac.

Sébastien Doane

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Comment trouver des licornes dans la Bible ?