L’évangéliste Luc. Frans Hal, circa 1625. Huile sur toile, 70 x 55 cm. Musée d’art occidental et oriental, Odessa (Wikipedia).
Luc et Actes : ouvrages complémentaires d’un même auteur
Odette Mainville | 25 février 2019
L’Évangile selon Luc et les Actes des Apôtres sont deux livres essentiellement complémentaires, écrits par un même auteur, désigné sous le nom de Luc. Cet auteur a clairement voulu établir un parallélisme entre la mission de Jésus et celle des premiers chrétiens : Jésus et les premiers chrétiens sont présentés comme prophètes et, dans les deux cas, ils agissent sous la poussée de l’Esprit.
Un fait probant démontre que Luc avait en tête le plan global des deux livres au moment même d’en commencer la rédaction. Dans le dernier chapitre du troisième Évangile (Lc 24,36-49), Luc raconte que Jésus apparait aux disciples, le soir de Pâques, qu’il mange avec eux, qu’il leur explique les Écritures à son sujet et qu’il les enjoint de ne pas quitter Jérusalem, leur disant qu’ils seront ses témoins, mais que pour ce faire, ils vont d’abord recevoir une puissance… sans leur dire laquelle. Suspense ! Puis il les bénit et il est emporté au ciel sous leurs yeux. En fait, Luc termine son Évangile en disant : « À suivre ! » De quelle puissance était-il question ? Il faut aller lire le début des Actes des Apôtres pour la découvrir.
Les deux premiers chapitres des Actes des Apôtres sont effectivement la suite du dernier chapitre l’Évangile de Luc. Le livre des Actes s’ouvre justement en rappelant les événements de ce fameux dimanche soir :
« Au cours d’un repas avec eux, il leur avait commandé de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse (…) ‘Vous allez recevoir une puissance, celle de l’Esprit Saint qui viendra sur vous; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, en Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre’. » (Ac 1,1-5.8).
Voilà ! L’intrigue est dénouée ! Le lien de complémentarité entre les deux livres ne saurait être plus clair. Or, le jour de la Pentecôte juive, la promesse se réalise ; des langues de feu tombent sur les disciples : « Ils furent remplis de l’Esprit Saint » (Ac 2,4). Par l’intermédiaire de Pierre, ils se mettent à témoigner de Jésus, Christ. Les disciples sont donc désormais dotés de la puissance nécessaire pour accomplir leur mission. Et quelle mission ? Celle d’être prophètes [1]. Dans son discours, Pierre explique, en effet, que la parole du prophète Joël s’applique maintenant aux disciples, qui témoignent sous la poussée de l’Esprit :
« Dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit… vos fils et vos filles seront prophètes… sur mes serviteurs et servantes, je répandrai de mon Esprit et ils seront prophètes. » (Ac 2,17-18).
Revenons maintenant aux débuts du ministère terrestre de Jésus. Luc nous dit qu’avant de commencer sa mission, Jésus est baptisé et qu’au moment même de son baptême, l’Esprit Saint descend sur lui (Lc 3,21-22). Cette descente de l’Esprit sur Jésus est une préfiguration de l’effusion de l’Esprit sur les disciples à la Pentecôte. Après son séjour au désert, Jésus revient en Galilée « avec la puissance de l’Esprit Saint », précise Luc (Lc 4,11). Il prend la parole à la synagogue et… comment se définit-il ? Comme prophète (Lc 4,24). Et encore, face à l’imminence de sa mort, il déclare : « Il me faut poursuivre ma route… car il n’est pas possible qu’un prophète périsse hors de Jérusalem » (Lc 13,33).
De nombreux autres exemples pourraient attester de la complémentarité des deux livres. Mentionnons simplement le suivant tout à fait fascinant. Durant son ministère, Jésus rassure les disciples en leur disant :
« Lorsqu’on vous amènera devant les synagogues, les chefs et les autorités, ne vous inquiétez pas de savoir comment vous défendre et que dire. Car le Saint Esprit vous enseignera à l’heure même ce qu’il faut dire. » (Lc 12,11-12)
Or, quand Pierre et Jean doivent comparaitre devant les autorités juives qui les accusent d’avoir annoncé la résurrection de Jésus et d’avoir fait un miracle en son nom, à la question posée (Ac 4,7-8) : « ‘À quelle puissance avez-vous eu recours pour faire cela?’ Rempli de l’Esprit Saint, Pierre répond… » Voilà donc la puissance promise qui permet aux disciples d’assurer leur défense et d’accomplir leur mission. Qui plus est, dans la foulée de cette même comparution, alors que les membres du Sanhédrin discutent du sort de Pierre et Jean, Luc rapporte leurs propos en ces termes :
« Qu’allons-nous faire de ces gens-là? se disaient-ils. En effet, ils sont bien les auteurs d’un miracle évident : la chose est manifeste pour toute la population de Jérusalem, et nous ne pouvons pas la nier. Il faut néanmoins en limiter les suites parmi le peuple : nous allons donc les menacer pour qu’ils ne mentionnent plus ce nom devant qui que ce soit. » (Ac 4,16-17)
Ainsi, dans cet aveuglement volontaire face à l’évidence, Luc dévoile la nature de ce fameux péché contre l’Esprit, annoncé par la bouche de Jésus, en Lc 12,10 :
« Quiconque dira une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera pardonné; mais qui aura blasphémé contre le Saint Esprit, cela ne lui sera pas pardonné. »
Concluons en précisant que l’attribution des deux ouvrages, Évangile selon Luc et Actes des Apôtres, à un seul et même auteur est un cas réglé dans l’esprit des spécialistes lucaniens. De nombreux autres exemples attestant cette attribution, tant du point de vue de la narration, du style ou du vocabulaire, pourraient encore être cités. Ceux-là évoqués semblent cependant suffisamment éloquents. L’Évangile selon Luc et les Actes des Apôtres s’arriment dans un rapport d’annonce/accomplissement, le deuxième s’inscrivant essentiellement dans le prolongement du premier.
Odette Mainville est auteure et professeure honoraire de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.
[1] Il importe de préciser ici que, dans la Bible, ‘être prophète’ ne consiste pas d’abord à prédire l’avenir, mais bien à témoigner de sa foi et surtout, de la rendre actuelle selon les différentes circonstances, c’est-à-dire, la garder vivante.