Fragment du livre du Deutéronome. Bibliothèque de Qumrân - 4Q41 (photo © Dead Sea Scrolls Digital Library)
L’évolution de l’Ancien Testament
Hervé Tremblay | 8 janvier 2016
Est-ce qu’il y a une différence entre l’Ancien Testament au temps de Jésus et aujourd’hui?
La question est plus complexe qu’elle ne paraît. Aussi, le bibliste la reformulerait de la façon suivante : Quel était l’état du canon et du texte biblique au premier siècle de notre ère? Traitons de ces deux questions l’une après l’autre.
Le canon de la bible hébraïque
Le « canon » est la liste des livres que les communautés croyantes considèrent comme divinement inspirés ou « modèle » de la foi (c’est le sens du mot « canon »). La formation du canon biblique est un long processus qui demeure assez obscur. L’élément le plus important pour dater le canon et le fixer dans une certaine mesure est la traduction grecque de la Septante à partir du 2e siècle avant notre ère. On peut donc dire qu’autour de l’an 200 l’ordre des livres et leur texte étaient assez fixés. Mais il y a des différences entre la Septante grecque et le texte hébreu traditionnel, surtout en ce sens que la Septante a ajouté un certain nombre de livres que les Églises catholique et orthodoxe appellent « deutérocanoniques ». Un second événement est survenu, qui a joué un rôle dans la fixation du canon. Il s’agit du synode de Jamnia (aussi écrit Yamnia) qui aurait eu lieu autour de l’an 90 de notre ère. Suite à la révolte juive des années 68-70, les armées romaines avaient détruit Jérusalem et le second temple, celui qu’avait connu Jésus, qui ne sera jamais rebâti. Suite à la catastrophe qui avait emporté dans son sillage la disparition de certains groupes (dont les sadducéens), le monde rabbinique, surtout de tendance pharisienne, a fixé les livres du canon et leur ordre. Il est possible qu’il y ait eu une réaction antichrétienne déjà, mais c’est difficile à démontrer. Quoi qu’il en soit, seuls les livres écrits en hébreu ont été conservés dans le canon, qui écarta du coup les livres écrits en grec ou dont on ne possédait que le texte grec. La Bible hébraïque a donc fixé son canon de 22 livres en trois grandes divisions : 1- la Torah (Gn; Ex; Lv; Nb; Dt); 2- les prophètes, divisés en « prophètes antérieurs » (Jos; Jg; 1-2 S; 1-2 R) et « prophètes postérieurs » (Is; Jr; Éz; les douze petits prophètes); 3- les écrits (Ps; Job; Pr; Rt; Ct; Qo; Lm; Est; Dn; Esd-Né; 1-2 Ch). Le canon biblique n’est donc pas très ancien, ce qui ne signifie pas que certains livres ou certains textes ne soient pas plus anciens.
L’état du texte au premier siècle
L’Ancien Testament a été transmis en hébreu. L’hébreu est une langue sémitique dont on n’écrit que les consonnes. De plus, les manuscrits anciens, voulant sauver le précieux espace, ne coupaient pas les mots. Le texte biblique a été transmis dans la Bible hébraïque à partir de la tradition appelée « massorétique » qui a fixé les mots et les voyelles à partir du 4e siècle de notre ère sur un texte consonantique ancien. Le texte que nous possédons dans nos Bibles hébraïques actuelles est donc un mélange d’un texte ancien avec des modifications plus récentes. Mais cela ne signifie pas du tout que ce soit un mauvais texte ou un texte manipulé; c’est bien plutôt un texte actualisé portant déjà sans doute des traces de sa sacralité. L’événement majeur qui a permis de mieux comprendre l’évolution du texte biblique a été la découverte des manuscrits de la mer Morte à partir de 1947, un texte prémassorétique. Pour faire bref, disons que ces manuscrits ont démontré deux choses : d’abord la fidélité du texte hébreu massorétique de nos Bibles actuelles, sauf plusieurs variantes mineures, surtout orthographiques. Ensuite, la pluralité textuelle de la bibliothèque de Qumrân, en ce sens que les manuscrits trouvés relevaient de plus d’une famille textuelle. Le modèle suggéré est donc une certaine diversité de livres et de textes qui ont été fixés par la suite.
À cela, il faut ajouter une dernière considération. Les anciens n’avaient pas la même relation que nous avec l’écrit. En effet, avant l’invention de l’imprimerie en 1453, les textes étaient copiés sur divers supports coûteux et d’écriture difficile. Le processus même d’écriture des copistes était long et ardu. Cela signifie que les anciens lisaient peu et que, du coup, c’étaient des spécialistes qui avaient affaire avec l’écrit, soit des « scribes » ou des lettrés. Il n’est donc pas impossible d’imaginer des chefs d’État ou des généraux ne sachant pas lire puisque des scribes le faisaient pour eux. Cela est vrai de tous les livres, donc aussi de la Bible. Il ne faut pas imaginer Jésus ou les apôtres, ou la Vierge Marie, faisant sa lectio divina quotidiennement. Le livre écrit était rare et déposé dans une bibliothèque en contenant peu. L’imprimerie a révolutionné l’écrit, au point où la diffusion massive de la Bible a donné naissance, en partie, à la réforme luthérienne et sa scriptura sola.
Si Jésus était donc allé dans une « librairie » (plutôt un atelier de copistes) et avait demandé une Bible (même si le mot n’existait pas à son époque), il aurait reçu sans doute ce que nous venons de décrire, à savoir plus ou moins une Bible hébraïque actuelle, mais sans les points voyelles et sans les mots séparés. Si on veut savoir à quoi cela aurait l’air en traduction, ça ressemblerait à l’Ancien Testament de la TOB (Traduction œcuménique de la Bible) qui suit l’ordre de la Bible hébraïque, mais en ne considérant pas les livres deutérocanoniques.
Hervé Tremblay OP est professeur au Collège universitaire dominicain (Ottawa).