Martin Luther d’après un tableau de Lucas Cranach l’Ancien peint en 1529 (Wikipédia).
Bibles protestantes et catholiques
Stéphane Gaudet | 9 octobre 2015
Est-il vrai que « les protestants ont retiré de la Bible tout ce qui parle du pape et de la Vierge Marie » ?
Dans les années 1960, un curé formé avant Vatican II avait fait cette affirmation en chaire dans l’église d’un petit village de l’Abitibi. Cette déclaration plutôt péremptoire avait instillé le ver du doute dans l’esprit d’un jeune homme qui était assis à la messe ce matin-là, parmi les ouailles de ce curé. Le jeune homme avait alors voulu comparer une bible protestante à la bible catholique que sa famille possédait à la maison, pour voir si le curé disait vrai. Après avoir demandé une bible au colporteur protestant – qui devait assiéger la maison familiale par la suite pendant des mois, croyant avoir recruté un nouveau converti –, le jeune homme a passé l’hiver à comparer les deux versions. Au printemps, son verdict était sans appel : monsieur le curé avait menti! Les livres du Nouveau Testament dans les deux bibles étaient rigoureusement identiques, et les livres et chapitres supplémentaires que présentait l’Ancien Testament catholique et qui étaient absents de la bible protestante ne parlaient ni du pape ni de la mère de Jésus.
Bibles protestantes et catholiques
Le canon catholique contient 46 livres dans l’Ancien Testament et 27 dans le Nouveau (total : 73 livres). Le canon protestant reconnaît les mêmes 27 livres du Nouveau Testament, mais seulement 39 dans l’Ancien (pour un total de 66 livres). Sept livres, donc, présents dans l’Ancien Testament des bibles catholiques mais absents de celui des bibles protestantes. Les catholiques les appellent livres « deutérocanoniques » (du deuxième canon) et les protestants, « apocryphes ».
Les réformateurs protestants, Luther le premier, se sont inscrits dans le courant de pensée de Jérôme et de la « vérité hébraïque », ne reconnaissant pour l’Ancien Testament que les 39 livres du canon juif et laissant de côté les livres écrits en grec (ou qui ne nous sont parvenus qu’en grec) contenus dans la Bible des Septante, qui était la bible des juifs de langue et de culture grecques. Ainsi, les livres de Judith, de Tobie, de la Sagesse, du Siracide, de Baruch (comprenant la Lettre de Jérémie) et les deux livres des Macchabées – de même que des passages grecs des livres de Daniel et d’Esther – ne sont pas vus par les protestants comme divinement inspirés au même titre que les 39 livres de la bible hébraïque. Mais Luther les voyait néanmoins comme « utiles et bons à lire » et pendant longtemps, ces livres étaient en annexe dans les bibles protestantes, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ; les sociétés bibliques, qui ont pris en main la publication et la diffusion de la Bible chez les protestants à partir du 19e siècle, ont éliminé ces livres pour des raisons économiques. Les protestants d’aujourd’hui sont cependant en contact avec ces livres grâce aux éditions œcuméniques de la Bible, comme la TOB.
La papauté, Marie et la Bible
En fait, il n’y a aucun passage biblique qui fasse allusion directement et clairement à la papauté, ce qui permet aux protestants d’affirmer que cette institution n’a pas de fondement biblique mais est plutôt le fruit d’une évolution historique. Le passage de Matthieu 16,18-19, n’est pas interprété de la même façon par les catholiques, les protestants et les orthodoxes, et l’interprétation catholique qui en fait le fondement de la papauté n’est qu’une interprétation parmi d’autres possibles. Quant à Marie, si elle est présente dans plusieurs passages du Nouveau Testament, on serait bien en mal d’y retrouver les dogmes mariologiques tels que l’assomption ou l’immaculée conception ou quoi que ce soit qui puisse en faire une médiatrice ou la reine du ciel. Là encore, le fondement est ailleurs que dans la Bible. Dans le catholicisme, tout n’est pas dans la Bible.
La Tradition
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la différence entre les canons protestants et catholiques de la Bible qui sont à l’origine des perceptions différentes qu’ont catholiques et protestants quant au rôle de l’évêque de Rome et à la place de la mère de Jésus dans la foi. C’est plutôt un rapport différent à la tradition. Dans le catholicisme, la Bible fait partie de la Tradition (avec un T majuscule parce que vue comme divine) dont l’Église romaine est la gardienne et l’interprète. Pour les protestants, la Bible est la seule autorité en matière de foi et le protestantisme relativise la tradition de l’Église et les traditions humaines, refusant de rendre absolu quoi que ce soit qui puisse venir masquer ou brouiller la proclamation de l’Évangile. Chez les protestants, ce n’est pas la Bible qui est soumise à l’interprétation de l’Église, mais bien l’Église qui doit être soumise à la Bible. La tradition, chez les protestants, n’a pas d’autorité normative définitive. Le protestantisme ne rejette pas la tradition, le faire serait se priver de 2000 ans de réflexion sur la foi, il cherche à lui donner sa juste place par rapport à l’Écriture. Mais tout article de foi doit avoir un fondement biblique ; la tradition ne suffit pas, et toute tradition doit être remise en question à la lumière de la Bible.
Les sept livres deutérocanoniques ou apocryphes servent plutôt de fondement scripturaire, dans le catholicisme, à autre chose que la papauté ou la Vierge. Parmi ces doctrines catholiques qui utilisent les deutérocanoniques comme appui, mentionnons le purgatoire et l’utilité de la prière pour les morts.
Alors, pour revenir à la question : NON, les protestants n’ont pas enlevé de la Bible les passages traitant du pape (il n’y en a pas dans la Bible!) et de la Vierge Marie (intégralement conservés dans les bibles protestantes). Et ce n’est pas dans les canons bibliques catholique et protestant différents qu’il faut chercher la raison des divergences confessionnelles sur la papauté et Marie, mais bien dans un rapport différent à la tradition : normative, source de vérité et d’autorité égale à la Bible pour l’Église catholique ; relative et sans autorité comparable à celle de l’Écriture sainte pour les Églises protestantes.
Stéphane Gaudet est rédacteur en chef de la revue Notre-Dame-du-Cap (Québec).