Jonas rejeté par le poisson. Bas-relief de la cathédrale d'Amiens (Wikimedia).
Le signe de Jonas
Roland Bugnon | 4 juin 2010
Jésus leur avait répondu : « Il vous sera donné de miracle que celui Jonas » (Ce dernier avait passé trois jours et nuits au sein de l'abime). Les trois jours, entre la mort et la résurrection de Jésus, sont-ils des jours littéraux de 24 heures ou un symbole? (Müller)
Pour éclairer cette question, commençons par retrouver le texte dont il est ici question. Par deux fois, dans l’évangile de Matthieu, Jésus parle du signe de Jonas, chaque fois dans le contexte particulier d’une demande de « signe » faite par les scribes et les pharisiens. Commençons par la première citation en Mt 12,38-41 :
Alors quelques-uns des scribes et des Pharisiens prirent la parole et lui dirent (à Jésus) : « Maître, nous désirons que tu nous fasses voir un signe. » Il leur répondit : « Génération mauvaise et adultère! elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe du prophète Jonas. De même, en effet, que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de même le Fils de l'homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits. Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas! »
Un peu plus loin, en Mt 16,1-4, Jésus se retrouve face à des pharisiens et des sadducéens qui lui demandent de leur faire voir un signe venant du ciel. La réponse est aussi cinglante que la première. Jésus leur reproche de savoir parfaitement lire les signes du temps qu’il fera, mais d’être incapables de reconnaître « les signes des temps messianiques » dans les miracles qu’il fait. Et il conclut : « Génération mauvaise et adultère! elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe de Jonas. »
Le contexte de ces paroles est clairement polémique. Les autorités religieuses et politiques – pharisiens, scribes et sadducéens – sont gênées par les paroles et les faits et gestes de Jésus. Ces hommes voient et entendent des choses surprenantes et les signes accomplis par le rabbi de Nazareth n’ont rien de répréhensible. Ils sont obligés de reconnaître le caractère prophétique de ses actions, mais ils sont incapables de se décider pour ou contre lui. Ils aimeraient avoir des preuves irréfutables avant de croire en Jésus et d’admettre qu’il agit et parle au nom de Dieu. Ils ne recevront pas de signe absolument probant; ils n’entendront que sa parole. C’est sur la base de ce qu’il dit à tous ceux qui le suivent et de ce qu’il fait, qu’ils ont à se décider pour ou contre lui. La foi en Jésus proclamé « Christ et Seigneur » est un acte de confiance qu’on lui donne. Cet acte ne relève pas d’une « preuve scientifique » mais d’une décision personnelle que l’on prend au plus intime de soi-même, sur la base de ce que l’on découvre auprès de lui. Ainsi Pierre en Jn 6,57-58 : Jésus voit une partie de ses disciples le quitter à la suite des paroles qu’il dit sur le pain de vie. Il pose la question à ses disciples les plus proches : « Voulez-vous partir, vous aussi? » Pierre prend la parole et prononce ce magnifique acte de foi : « Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle! » Sa foi en Jésus repose sur ce qu’il a entendu, des paroles assez riches de sens pour bouleverser sa vie.
Le signe de Jonas
Revenons à la question posée au départ. Jonas est le héros d’un petit livre du Premier Testament, que l’on classe parmi les livres prophétiques, mais qui n’en a pas la forme. C’est un récit tardif qui nous présente la vie d’un prophète récalcitrant. Il n’apprécie pas du tout, mais pas du tout, la mission que Dieu lui confie. Alors il tente d’y échapper, en prenant le bateau. Mais la tempête se déchaîne et le sort le désigne comme responsable de ce qui arrive. Passé par-dessus bord, Jonas est avalé par un gros poisson qui le recrache sur le rivage, trois jours plus tard, et le renvoie à sa mission qui est d’annoncer le châtiment de Dieu à la grande ville païenne de Ninive. Contrairement à toute attente, la ville, du plus petit jusqu’au plus grand, accueille favorablement la parole du prophète et fait acte de repentance. Alors Dieu renonce au châtiment, ce qui suscite la colère du prophète qui s’était installé sous un petit arbre pour voir le spectacle...
Ce petit livre n’a rien d’historique. Il est écrit dans une perspective étonnamment universaliste, ouverte aux païens, sur le mode d’une grande parabole à destination des Juifs revenus d’exil, qui s’installent à Jérusalem en s’enfermant dans leur propre particularité. Avec beaucoup d’humour et d’ironie, l’auteur de ce livre fait de Jonas la figure symbolique de ce judaïsme fermé sur lui-même qui découvre que Dieu ne rejette pas les païens qui se tournent vers lui. Si Jésus parle du signe de Jonas, c’est aussi dans cette perspective. Il donne en exemple, aux scribes et aux pharisiens, les habitants de Ninive qui se convertissent après avoir entendu la parole de Jonas. C’est le seul signe que donne le prophète : une parole forte annoncée au nom de Dieu. Jésus ne fait pas autre chose. Il a refusé à toute forme de stratégie médiatique visant à séduire ceux qui le voient. Il parle, annonce le Royaume, apaise les cœurs blessés, libère les consciences qui ploient sous le poids de la culpabilité, relève l’humain condamné, accueille le rejeté... Ce qu’il dit et fait ouvertement est la seule base qu’il donne à ses adversaires pour juger de sa mission. À vous de décider, leur dit-il! Cette invitation est aussi adressée à chacun de nous!
Reste la question des trois jours. Dans le langage biblique, le chiffre trois définit un temps ou une période réduite ou limitée. Le séjour de Jonas dans le ventre du poisson appartient au genre littéraire de ce type de récit. Il a une valeur symbolique. Dans son évangile, Matthieu en fait le symbole de l’événement de la résurrection. Au matin du troisième jour, les femmes découvrent le tombeau vide et sont, les premières, les témoins d’un événement qui échappe à toute forme de mainmise humaine. Les disciples ne savent que penser. Ils hésitent entre le doute et l’incompréhension. Puis, à leur tour, ils font l’expérience d’une rencontre qui les bouscule et les transforme intérieurement. Ils n’ont aucune preuve, si ce n’est le signe d’une Parole dont ils se souviennent et qui va bouleverser leur vie. Aujourd’hui encore cette Parole nous arrive, relayée par le témoignage de celles et ceux qui en ont fait une source d’amour et de vie. Elle peut le devenir également pour celles et ceux qui l’accueillent et acceptent de l’entendre en profondeur. À vous d’en décider! Il n’y aura pas d’autre signe!
Roland Bugnon est membre de la congrégation du Saint-Esprit. Après 17 ans de ministère pastoral et d’enseignement en Centrafrique, il est revenu dans son pays, la Suisse. D’abord à Bâle, puis à Fribourg, il s’est investi dans des tâches d’animation spirituelle et biblique.