chronique du 8 janvier 2010 |
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La vie cachée de JésusQue sait-on de la vie cachée de Jésus? Que dit-on historiquement à propos de la vie de Jésus entre sa naissance et 30 ans? L’expression « vie cachée » me rappelle tout le travail de William Wrede (1859-1906) pour expliquer le secret messianique de l’évangile selon Marc. Dans le judaïsme, le Messie devait être caché jusqu’au moment où il devait être révélé au monde. Est-ce volontairement que l’on a laissé sous silence toute la vie de Jésus de « 0 à 30 ans »? Était-ce pour souligner, par ce silence, une autre facette de sa messianité? Pourtant, plusieurs écrits concernant la naissance ou la petite enfance de Jésus circulaient aux Ier et IIe siècle de notre ère. Ces récits se présentaient sous forme de romans. Ils avaient à cette époque, presque la même autorité que nos évangiles canoniques et ils ont, en raison de cela, beaucoup influencé le christianisme. Parmi ceux-ci, mentionnons le Protévangile de Jacques, l’Ascension d’Isaïe, l’Apocalypse d’Adam, les Odes de Salomon, les Actes de Pierre, l’Épître aux Apôtres. Ils sont aujourd’hui considérés comme des écrits apocryphes, mais certains éléments continuent de faire partie de notre patrimoine religieux. Mais, comme Albert Schweitzer (1875-1965) a su le montrer dans « Les vies de Jésus », on ne saurait nier le rôle de l’imaginaire dans la représentation que nous avons de Lui. Chaque époque a sa propre compréhension de l’humanité de Jésus… Ceci dit, qu’avons-nous de solide, historiquement parlant, pour répondre à votre question? Jésus vivait en Galilée. Les familles de Galilée habitaient dans de petites maisons qui avaient une ou deux chambres. Chaque maison s’ouvrait sur une cour partagée par une ou plusieurs familles. Dans la cour, il y avait une meule et une citerne. Chaque village avait un pressoir à vin et un pressoir d’olives : l’huile d’olive de Galilée était de qualité supérieure. La vaste majorité des gens de Galilée vivait d’agriculture. Jésus habitait à Nazareth qui était, selon Richard A. Horsley, le plus vieux village de la région. Il existait déjà depuis deux siècles, sans que rien de particulier ne s’y soit passé. Les 400 ou 500 personnes qui y vivaient à l’époque de Jésus, étaient issues des tribus du nord et ces familles entretenaient entre elles des liens inter-générationnels forts. Ils étaient fidèles à la Loi de Moïse. On raconte que lorsque les autorités sacerdotales de Jérusalem ont émigré en Galilée après la chute du Temple pour y apporter la Torah, elles ont été surprises de voir à quel point ces familles vivaient déjà en conformité avec la Loi. D’après Sean Freyne, la Galilée était encore marquée par la présence des rois Hasmonéens : Aristobule I et son frère Alexandre Janné avaient, un siècle plus tôt, reconquis ce territoire et l’avait imprégné d’un sens messianique particulièrement élevé. L’indépendance de ces rois juifs contrastait d’ailleurs avec les Hérodiens de l’époque de Jésus dont la politique était déterminée par Rome. Parallèlement, les dominations grecque et romaine avaient laissé leurs marques dans la culture et dans les mentalités. S'imprégner de ces cultures était, pour certains, synonyme de progrès. Plusieurs Juifs donnaient des noms grecs à leurs enfants et les familles riches envoyaient leur progéniture étudier dans des gymnasiums. Hérode envoya ses fils étudier à Rome. Mais, dans la famille de Jésus, rien de tel! Si l’on regarde les noms des personnes de sa famille (Mc 6,3), on se rend compte qu’ils remontent aux patriarches et rappellent les événements de l’Exode et l’entrée dans la Terre Promise. Son père, Joseph, portait le nom du onzième fils de Jacob. Sa mère, Marie, avait le nom de la sœur de Moïse. Ses frères s’appelaient : Jacques (dérivé de Jacob), José (diminutif de Joseph), Simon (qui vient de Siméon) et Jude (qui vient de Juda). Jésus se disait Yeshua en hébreu. C’est une forme raccourcie de Yehoshua quiétait aussi le nom de Josué, le successeur de Moïse. Le choix de ces noms montre que cette famille refusait l’inculturation, qu’elle n’était pas attirée par la mode du temps. Jésus était donc un Hébreu qui vivait dans une famille hébraïque de vieille souche, attachée à la foi de ses ancêtres. Jésus n’était pas prêtre. C’était un laïc qui approuvait le paiement de la dîme, fréquentait la synagogue, lisait les Écritures, prononçait des bénédictions, demandait d’aller se montrer au prêtre au Temple après une guérison (Mc 2,43). Si Jésus avait été impur, il n’aurait jamais pu prêcher au Temple (Mc 14,49). Il aurait été lapidé. Un autre trait de la famille de Jésus réside dans un détail : son déplacement lors du « recensement de Quirinus » (Lc 2,2). Certes ce déplacement a un sens théologique : il fallait, selon la prophétie (Mi 5,1), que le Messie naisse à Bethléem. Mais nous savons que ce détail historique est inexact. Quirinus, légat de Syrie, n’occupa ce poste qu’à partir de l’an 6 de notre ère, soit 10 ans après la mort d’Hérode. Ce recensement de Quirinus a suscité des remous dans le peuple et beaucoup se situaient dans la ligne de Judas le Galiléen : payer l’impôt était un signe d’assujettissement insupportable pour un peuple libéré jadis par son Dieu. Mais l’obéissance de la famille de Jésus à ce recensement, malgré l’erreur historique, montre qu’on a gardé de cette famille le souvenir qu’elle ne nourrissait pas d’espérances qui se situaient dans la ligne d’une révolte politique. D’ailleurs, loin d’adhérer à ce mouvement, Jésus invite ses disciples à la patience (Mt 13,24-30; Lc 17,23; 19,11), ne se pose jamais en rival du pouvoir romain, prend ses distances vis-à-vis des réponses messianiques (Mc 12,35-37). La question classique posée à Jésus depuis le recensement par Quirinus « est-il permis ou non de donner l’impôt à César? » reçoit une réponse : la pièce revient à César car elle porte son image (Mc 12,17). Avant 30 ans, Jésus exerçait aussi un métier : il était charpentier (Mc 6,3), c’était un ouvrier de la construction. André Myre croit que lorsqu’on le voit à Capharnaüm, « à la maison » (Mc 2,1), « il s’agissait de sa maison à lui, celle qu’il s’était construite », sinon on aurait parlé de la maison de Pierre, située elle aussi dans la même ville. À la mort de Joseph, Jésus avait dû hériter de l’atelier de son père, d’où le désarroi de sa famille, au début de sa vie publique, lorsqu’il revint à Nazareth (Mc 3,21)! Qu’allait devenir cet atelier? Qui allait lui faire entendre raison? Ces questions, les évangiles ne les posent pas directement... les détails de la vie mortelle de Jésus ne les intéressaient pas. Ce n’est qu’en filigrane que nous les voyons apparaître… Quelle a été la vie de Jésus avant 30 ans? Ce qui a fleuri en Lui en Galilée peut peut-être nous aider à comprendre le mystère qui l’a habité pendant toutes ces années. Ce n’est peut-être pas là un regard « historique », mais c’est ce que les Évangiles de l’Enfance de Jésus (Mt 1-2 ; Lc 1-2) ont essayé de traduire en nous parlant, non pas de son histoire personnelle, mais de son identité messianique dévoilée à la lumière du mystère pascal.Chronique précédente : |
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