chronique du 11 décembre 2009 |
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Une vierge enceinte : annonce prophétique ou relecture chrétienne?Quel est le passage biblique de l’Ancien Testament, dans la littérature prophétique, qui parlerait d’une vierge qui enfanterait un Messie à venir? Est-ce que ce passage annonçait clairement la naissance de Jésus? Le passage en question est Isaïe 7,14. En voici le texte selon la Bible de Jérusalem : « C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : voici, la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. » Le contexte original du livre situe l’oracle au temps des guerres syro-éphraïmites, dans les années 734-733 avant notre ère. Vu la montée de l’empire assyrien, le roi de Damas Raçôn et le roi d’Israël Péqah (737-732) voulurent entraîner Achaz (736-716), le jeune roi de Juda, dans une espèce de « guerre préventive » contre le roi assyrien Téglat-Phalasar III (745-727). Comme le roi Achaz refusait de joindre la coalition, les deux rois l’attaquèrent. Achaz fit alors appel à l’Assyrie pour recevoir de l’aide et le roi Téglat-Phalasar ravagea la région (voir 2 Rois 15–16). Finalement, l’empire assyrien prit la ville de Samarie, capitale du royaume du Nord, en 721 avant notre ère (voir 2 Rois 17). Plus tard, le roi assyrien Sennachérib (704-681) mit le siège devant Jérusalem en 701 mais ne put la prendre (voir Is 36–37 et 2 Rois 18). Cette époque troublée est celle où le prophète Isaïe a exercé son ministère. Proche de la cour et avec des idées politico-religieuses bien définies, Isaïe essaya vainement de s’opposer à la politique trop humaine, selon lui, du jeune roi Achaz. Il rejeta la capitulation devant les alliés syriens et israélites qui avaient l’intention de s’emparer de Jérusalem pour y placer un souverain en accord avec leurs vues. Il condamna également le projet d’Achaz, qui, face au danger, voulut faire appel aux Assyriens; il exigea du roi Achaz une politique de résistance et de fermeté, fondée sur les promesses de Dieu à David et à Sion. Les déclarations du prophète durant cette crise se lisent en particulier dans les chapitres 7–11, appelés le « livre de l’Emmanuel ». Le mot d’ordre en est : « Ne crains pas, crois seulement » (7,1-9), confirmé par la parole sur l’Emmanuel (7,10-17; voir aussi 9,7-20 et 5,25-29). Dans le cas précis qui nous occupe ici, Isaïe annonce que la délivrance de la menace assyrienne et des coalisés viendra d’un descendant du roi. La mère du roi est désignée en hébreu par le mot ‘almah, qui signifie une jeune fille. La plupart des spécialistes pense que la prophétie s’applique d’abord à Ézéchias (716-687), le fils et successeur d’Achaz, ou un autre de ses successeurs, qui reçoit le nom symbolique d’« Emmanuel » qui signifie « Dieu avec nous ». C’est que, généralement, les annonces des prophètes concernaient des événements proches. En effet, on conçoit assez mal que le prophète réponde au danger imminent des armées s’avançant sur Jérusalem par une prophétie dont l’accomplissement arriverait plusieurs décennies, voire plusieurs siècles plus tard. Mais les oracles des prophètes sont relus et réactualisés à chaque époque. Ainsi, la relecture du prophète Isaïe dans les siècles suivants de la figure de l’Emmanuel a appliqué le salut et la victoire qu’il apportait à d’autres réalités. C’est là un phénomène constant et normal avec les textes bibliques. C’est-à-dire qu’à partir d’un sens original qui visait une situation historique précise, les générations suivantes ont appliqué l’oracle à une situation similaire. C’est ce phénomène de relecture qui fait que notre Bible est la Bible. En d’autres termes, la capacité d’appliquer les oracles à des situations semblables ou d’actualiser les textes. Si ce phénomène n’existait pas, les croyants de toutes les époques n’auraient pas pu appliquer à leur situation des textes qui avaient été prononcés ou écrits dans d’autres siècles. Ainsi, d’un roi qui délivrait de la menace des armées ennemies au VIIIe siècle avant notre ère, on est passé à un autre roi (un « messie », puisque ce mot signifie « celui qui a reçu l’onction royale »), descendant de David, qui délivre des maux et des dangers d’un autre ordre. Une des relectures et réinterprétations d’Is 7,14 qui a été marquante, a été la traduction de l’Ancien Testament en grec, appelée la « Septante ». Dans le grec, le texte dit : « Voici que la vierge est enceinte... ». C’est ce texte grec qui a été cité dans l’Évangile de Matthieu (1,23) et appliqué à la Vierge Marie et à Jésus Christ. L’oracle original d’Is 7,14 prophétisait-il donc clairement la naissance de Jésus Christ? Non, si tout était clair, il n’y aurait plus de place pour la foi. Ce sont les générations croyantes des siècles suivants qui ont relu et actualisé le texte à la lumière des événements du Nouveau Testament. Cette application de l’oracle à Jésus Christ est donc tout à fait correcte et fait partie de notre tradition de lecture. Ce qu’il importe pour nous est de distinguer les différents niveaux d’interprétation légitimes. On a ici un exemple frappant de la vie des textes bibliques au sein de la communauté croyante qui lit et relit les textes, qui les interprète et les réinterprète. C’est ce que l’Église appelle la « tradition interprétative ».Chronique précédente : |
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