chronique du 26 juin 2009 |
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L'arbre de la Genèse et la sexualité (suite)William Blake La tentation ou la version faussée de l’interdit divinLa réalité de l’existence humaine est plus compliquée que cela. L’expérience nous apprend que le grand amour peut virer au cauchemar. Après la première rencontre peut survenir le temps de la violence et de la haine. Cette expérience, les hommes de la Bible la font aussi et ils se posent des questions qui restent les nôtres. Je les exprimerai ainsi : pourquoi est-ce si difficile de s’entendre? Pourquoi tel ou tel couple qui semblait tant s’aimer, a-t-il fini par se déchirer? Qu’est-ce qui provoque ces déchaînements de violence qui peuvent survenir entre époux, entre parents et enfants? L’auteur de la Genèse n’est pas naïf; il a, lui aussi, fait ce constat. Il y réfléchit et donne sa réponse à travers un récit très imagé. Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que Yahvé Dieu avait faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin? » La femme répondit au serpent : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. Mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sous peine de mort. » Le serpent répliqua à la femme : « Pas du tout! Vous ne mourrez pas! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal. » La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. Elle prit de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il mangea. Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus; ils cousirent des feuilles de figuier et se firent des pagnes. Ils entendirent le pas de Yahvé Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour, et l'homme et sa femme se cachèrent devant Yahvé Dieu parmi les arbres du jardin. (Gn 3,1-8) Comme vous pouvez l’imaginer, ce texte comporte de nombreux éléments symboliques qui mériteraient plus ample explication. Pour éviter d’alourdir ma réponse à la question qui a été posée, je me contente de faire quelques remarques à partir de ce que le récit donne à entendre et penser. Il y a d’abord le serpent – le plus rusé de tous les animaux, au dire du texte – qui s’insinue dans l’esprit de la femme et vient exacerber en elle le désir qui l’habite. Il commence par semer la confusion en elle : « Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin? » Dieu a bien donné à l’humain la possibilité de manger de tous les fruits des arbres du jardin, à l’exception des fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Mais dans la bouche du serpent, le Dieu qui donne devient le Dieu qui veut tout pour lui et cherche à préserver ses privilèges. La femme corrige les insinuations du serpent et rétablit la vérité de ce que Dieu a dit. Alors serpent fait miroiter devant elle une possibilité nouvelle: « Pas du tout! Vous ne mourrez pas! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal.» Être comme des dieux, posséder la toute-puissance, acquérir la connaissance sur toutes choses... C’est le rêve de Prométhée ou la quête du Graal, le désir d’acquérir la Force ou encore la maîtrise sur toutes choses. Tous les rêves humains les plus fous procèdent de ce même désir hypertrophié : être comme des dieux... Le mal est fait et le mensonge, injecté comme un venin, accomplit son œuvre; il s’insinue dans l’esprit de la femme. Elle vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. De quoi est-il question en définitive, en termes plus modernes? Deux conceptions du divin s’affrontent ici, celle du Dieu du serpent et celle du Dieu qui a fait l’humain à son image. Le serpent suggère à l’humain que Dieu est jaloux de ses pouvoirs et prérogatives et qu’il l’empêche de naître à lui-même et d’exister pleinement dans sa liberté. C’est la conception d’un certain athéisme moderne qui ne conçoit d’épanouissement humain, de liberté authentique qu’en dehors de toute idée de Dieu. L’autre conception du divin a été posée dans les deux récits de la création. Dieu crée l’humain à son image; il met en lui du divin en lui insufflant son haleine de vie; il lui confie en plus la gestion de la création en lui proposant de donner un nom à tous les êtres. Dieu offre à l’humain une forme de domination, tout en lui rappelant les limites qui sont les siennes : il y a du divin en toi mais tu n’es pas Dieu et tu ne peux t’épanouir qu’en relation avec l’autre divin ou humain. Deux alternatives s’affrontent en l’humain à propos du chemin de la pleine réalisation de soi. Elles posent une question en ces termes : Pour me réaliser dans mon être d’homme ou de femme, dois-je vivre dans une indépendance totale à l’égard du divin, comme le suggère le serpent, ou au contraire, dois-je accepter de vivre et de m’épanouir dans ma liberté d’homme ou de femme, en relation vivante avec Dieu? La suite du récit offre une réponse à cette question! « Elle prit de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il mangea. Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus... » (Gn 3,6-7) Le premier couple humain tombe dans le même piège. Tous deux mangent le fruit défendu, veulent vivre en supprimant tout interdit et brusquement leurs yeux s’ouvrent. La nudité, qui leur était naturelle et ne posait aucun problème, devient brusquement le signe d’une fragilité radicale. Ils ont cru pouvoir accéder par leurs propres forces au divin, à la toute-puissance. Ils se découvrent réduits à leur plus simple expression, obligés de se protéger face à tous les prédateurs potentiels. Ces rêves de toute-puissance qui s’écroulent, on vient de les vivre dans le secteur financier. Le non respect de la loi de relation a conduit à la catastrophe tous ceux qui ont cru aux promesses des menteurs patentés. L’interdit divin permet au couple humain de subsister, parce qu’il sauvegarde une espace de parole et de reconnaissance mutuelle. En supprimant ou « en mangeant » l’inter-dit, l’humain se met dans une position d’extrême fragilité qui introduit la violence dans la relation à l’autre, parce que chacun est désormais une proie possible pour l’autre. Retour à la question posée! L’interdit donné par Dieu à l’humain est, comme je l’ai dit, une loi de relation ou une condition pour vivre en pleine liberté et en plein épanouissement de soi. La relation sexuelle a toute sa place dans cette loi de relation, pour autant qu’elle la respecte. Le danger qui guette l’homme est son désir hypertrophié de toute-puissance ou de domination. Chaque fois qu’il cède à ce désir, il met en danger la vie de l’autre et la sienne également. Voilà qui peut nous donner à réfléchir! Première partie de l'article » Lire aussi : Chronique précédente : |
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