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Comprendre la Bible
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chronique du 11 avril 2008

 

Les analyses littéraires : entre le texte et le lecteur

QuestionQuelle est la différence entre les nouvelles analyses littéraires de la Bible, à savoir les analyses rhétorique, sémiotique et narrative? (Monique)

RéponseIl existe différentes approches pour étudier un texte biblique. Les approches exégétiques sont classées en deux grandes familles : les méthodes diachroniques et les méthodes synchroniques. 

     Depuis plus de 100 ans, la méthode diachronique connue sous le nom d’« historico-critique » s’est imposée comme la première méthode scientifique d’étude de la Bible. Née dans la Réforme protestante allemande, elle  est maintenant séculaire, enseignée dans les universités protestantes comme catholiques et abondamment pratiquée pour l’étude des textes sacrés. Odette Mainville (La Bible au creuset de l’histoire : guide d’exégèse historico-critique, Montréal, Médiapaul, 1995) nous rappelle que cette méthode est « loin d’avoir épuisé ses ressources », ouvrant « des champs d’exploration presque illimités ». C’est dans le cadre de cette méthode que se situe la critique de la rédaction (Redaktionsgeschichte), considérant le texte dans sa dimension littéraire.  Les nouvelles méthodes d’analyse littéraire trouvent certainement une partie de leurs racines dans la critique de la rédaction.

     Les méthodes modernes, dites « synchroniques » ont la particularité de ne pas tenir compte de l’aspect historique (en ce qui concerne les premiers lecteurs, l’évolution du texte…). Ces méthodes prennent le texte dans sa facture finale afin de le questionner pour que le texte livre son sens par lui-même.  L’exégèse synchronique correspond donc avec ces méthodes à un questionnement entre le texte et le lecteur : tantôt le lecteur questionne le texte, tantôt le texte questionne le lecteur.

     Je vous propose un quadrant fort intéressant de R.A. Culpepper qui présente la plupart des méthodes contemporaines dans leurs positions respectives entre texte et lecteur1 :

carré logique
Carré logique des théories littéraires selon Culpepper

Observons premièrement que le sens des flèches dans ce tableau, présente l’évolution historique des théories littéraires, partant de la plus ancienne (« intention de l’auteur »), correspondant à l’historico-critique, à la plus contemporaine (« déconstruction »)2. Ensuite, relevons que l’analyse narrative, dans le carré supérieur droit, est dans la double faiblesse du texte et du lecteur. Dans le carré supérieur gauche, c’est le texte (fort) qui prend le dessus sur le lecteur (faible) dans la recherche de l’intention d’un texte « lisible » en forçant la réceptivité du lecteur. Dans le carré inférieur droit, c’est au tour du lecteur (fort) de prendre le dessus sur le texte (faible) par réaction (idéologique, féministe, reader-response, etc.). Les deux autres carrés situent le texte et le lecteur au même niveau. Quand le lecteur est fort tout comme le texte, on se situe en position de résistance voire d’obstination entre le texte et le lecteur, dans une relation agonistique (qui se réalise au moyen de conflit, de lutte). Le carré supérieur droit est donc celui du respect entre le texte et le lecteur, personne ne prend le dessus sur l’un ou sur l’autre et les deux, ensemble, forment le sens. En reprenant la terminologie de Roland Barthes, le texte est scriptible. C’est alors dans cette relation empathique que le lecteur dialogue avec le texte à la poursuite du sens.

     Pour répondre maintenant à votre question, je placerais l’analyse rhétorique et l’analyse sémiotique dans le même quadrant de l’analyse narrative. Ces trois méthodes ont la particularité de se positionner entre le texte et le lecteur.

     L’analyse rhétorique des textes bibliques se base sur les principes antiques posés par les théoriciens grecs puis romains tels qu’Anaximène, Aristote, Démétrios, Cicéron, Quintilien, Hermagoras, Hermogène, etc. Le postulat initial est que l’auteur sacré utilise l’art oratoire appelé « rhétorique » comme système de communication, procédé abondamment employé par les écrivains contemporains des auteurs sacrés. En étudiant scientifiquement les procédés rhétoriques du texte biblique (essentiellement des épîtres), l’exégète biblique cherche ainsi à mieux cerner le sens du message transmis par l’auteur (l’orateur).

     L’analyse sémiotique est une méthode récente (dans les années 60), dont les bases proviennent des travaux de Charles Sanders Peirce, Ferdinand de Saussure, Louis Trolle Hjelmslev, Charles W. Morris, Umberto Eco, Pierre Sadoulet, et Vladimir Propp entre autres. La sémiotique (du grec sẽma qui signifie signe) étudie le rapport ente un élément perceptible, le signifiant, et le sens donné à ce signifiant à l'intérieur d'un code construit, sens auquel on donne le nom de signifié. Certains exégètes modernes appliquent donc ces principes scientifiques d’analyse aux textes bibliques, en s’appuyant principalement sur les travaux de Roland Barthes. L’analyse sémiotique biblique  va donc se focaliser sur le rapport entre les signes du texte et leur sens, en identifiant un carré sémiotique ainsi qu’un schéma actanciel du récit dans le cas d’une narration.

     L’analyse narratologique, quant à elle, est née des études littéraires des contes russes effectuées par Vladimir Propp, dans un courant appelé « formalisme russe ».  Tout comme la sémiologie, la narratologie s'est développée en France à la fin des années 1960 avec Tzvetan Todorov, puis Gérard Genette qui en posèrent les fondements, en combinant les récentes études sémiotiques aux  acquis du structuralisme russe. Là encore, les exégètes bibliques appliquèrent des principes d’études littéraires aux textes bibliques. L’analyse narratologique biblique (essentiellement en ce qui concerne les textes narratifs, même si certains exégètes narratologues appliquent la méthode à d’autres textes bibliques) consiste à étudier la mise en récit. Ainsi, la manière dont le narrateur (l’auteur sacré) présentera le récit donnera au lecteur des informations précieuses  pour en déduire le sens du récit et faire théologie.

     En conclusion, les trois méthodes évoquées dans votre question sont très proches les unes des autres, étant littéraires, scientifiques, synchrones et modernes.  La méthode rhétorique s’intéresse à l’argumentation du discours, la méthode sémiotique au sens des mots (signes) et la méthode narrative à la mise en récit. Toutes les trois cherchent, chacune à sa manière, à donner un sens théologique au texte biblique.

1 R.A. Culpepper, « Vingt ans d'analyse narrative des évangiles » dans D. Marguerat (dir.), La Bible en récits : l'exégèse biblique à l'heure du lecteur : colloque international d'analyse narrative des textes de la Bible, Lausanne (mars 2002), Genève, Labor et Fides, 2003, p. 77.

2 Ibid., pp. 75-76.

Jonathan Bersot

Chronique précédente :
La résurrection : genèse d’une croyance