Vue de la vallée de Beth Shean (photo : A. Sobkowski / Licence GNU)
1. Beth Shean : un site stratégique
Robert David | 10 avril 2023
Certainement l’un des sites archéologiques les plus importants d’Israël, Beth Shean occupe une position stratégique de premier plan, au carrefour de routes commerciales et militaires. Situé à l’extrémité orientale de la plaine de Yzréel, le site contrôle l’entrée de cette plaine qui conduit à la Méditerranée, ou à la passe de Megiddo, direction Ouest. Par ailleurs, le site permet aussi de contrôler la voie qui monte le long de la vallée du Jourdain, depuis la mer Morte jusqu’à Damas. Qui plus est, il bénéficie d’un apport en eau considérable grâce à la rivière Harod. Les plaines fertiles qui bordent le site apportent une donnée supplémentaire à qui pense s’installer ici. Ces facteurs stratégiques et hydrographiques ont contribué dans une large mesure à faire de Beth Shean l’un des sites les plus convoités au cours de l’histoire ancienne.
Photo aérienne du tell prise en 1937, après les premières campagnes de fouilles (Wikipédia).
Les fouilles sur le site
Deux grandes périodes marquent l’histoire des fouilles de Beth Shean. Une première période s’étend de 1921 à 1933 (Université de Pensylvanie). C’est durant ces campagnes que l’on a réussi à identifier pas moins de 18 strates différentes sur l’ensemble du site. L’essentiel des fouilles s’est concentré, à cette époque, sur le tell lui-même et sur le cimetière situé au Nord. Un problème cependant devait assombrir ces découvertes : les publications scientifiques de ces fouilles se sont révélées tout à fait inadéquates et ont souvent pris beaucoup de temps à paraître. Or, si les publications sont déficientes, c’est la possibilité de reconstituer l’histoire du site lui-même qui s’en trouve affectée.
Cette lacune dans les publications, et dans l’interprétation des résultats, a conduit les autorités à mettre sur pied une deuxième campagne de fouilles dans les années 1980. Sous la gouverne de Yagel Yadin, on entreprit de vérifier, sur le site, la validité des résultats antérieurs. Les conclusions permirent de corriger le tir en ce qui a trait à la période israélite.
Une troisième période de recherches archéologiques a été entreprise à la fin des années 1980 sous la direction de l’archéologue israélien Amihai Mazar (Université hébraïque). On reprit cette fois les fouilles à grande échelle dans la portion romaine et byzantine, ainsi que sur le sommet du tell pour les périodes du Bronze et de Fer. Cette dernière campagne a permis de vérifier que les fondations du temple exhumé lors des premières fouilles recouvraient un lieu de culte plus ancien dans les niveaux inférieurs du tell. En 1990, le professeur Mazar écrivait :
« En creusant sous le temple inférieur découvert par l’expédition américaine, nous avons mis au jour un temple plus ancien, que nous avons pu dater du XVIe siècle av. J.C. Ce temple apporte un éclairage tout à fait nouveau sur l’architecture religieuse du milieu du second millénaire. Cette découverte confirme notre hypothèse concernant la longévité de ce lieu de culte et, si les fouilles continuent, on peut espérer mettre au jour d’autres temples encore plus anciens. » [1]
Reconstitution isométrique du temple de la strate R-2
Il faut saluer ces initiatives mais, en même temps, émettre quelques réserves. En effet, les fouilles menées dans la portion romaine et byzantine ont souvent été faites en vitesse, sans que toutes les précautions que requiert une fouille minutieuse aient été respectées. La rapidité avec laquelle on a dégagé les édifices et les rues (parfois au bulldozer) fait davantage penser à une entreprise destinée à promouvoir une activité touristique qu’à un souci de répondre aux exigences scientifiques d’une fouille archéologique. Faut-il s’étonner, dans ce contexte, que l’un des partenaires de la fouille soit le Tourism Administration of Beth Shean? Bien sûr les visiteurs peuvent aujourd’hui admirer l’une des plus belles villes byzantines de l’époque, mais au prix de quels sacrifices scientifiques? Je crois qu’il vaut la peine de poser la question et ne pas fermer les yeux sur les enjeux économiques et sociaux qui se trament derrière ces façons de procéder.
Cela dit, il reste que le site de Beth Shean est absolument magnifique (je parle de la ville romano-byzantine). Il offre effectivement au visiteur l’un des joyaux d’Israël. Si l’on a visité quelques sites avant de venir à Beth Shean, force est de reconnaître que les restes découverts sur la plupart des sites d’Israël et de Palestine demandent souvent de faire preuve de beaucoup d’imagination pour se représenter une ville ancienne. Ici, tout tombe presque tout cuit dans le bec. Les édifices sont passablement bien conservés, l’urbanisation est évidente, on a l’impression de participer à la vie d’une ville romano-byzantine. La deuxième partie de cet article permettra de l’illustrer.
Quelques repères historiques
Des moments importants de l’histoire d’Israël se sont déroulés aux environs de Beth Shean. Occupée depuis la période néolithique, toutes les grandes périodes historiques et archéologiques sont représentées ici : les archéologues distinguent 18 strates archéologiques différentes à Beth Shean.
Les plus anciennes traces d’habitation et d’activités humaines sur le site datent du Néolithique. Mais on parle ici d’un premier établissement modeste. Certains auteurs proposent que le nom de la ville se retrouve dans les listes des textes d’exécration égyptiens. Cependant, les fouilles menées sur le site, et dans les environs, ne révèlent pas d’importante occupation à la période du Moyen Bronze II, ce qui tend à contredire les tenants d’une mention dans les textes égyptiens du 19e siècle avant notre ère.
Plusieurs artefacts trouvés sur le site témoignent d’une longue présence égyptienne comme cette statuette votive en basalte (Wikimedia).
Au 15e siècle, la ville est sous contrôle égyptien. Elle est mentionnée sur le temple d’Amon à Karnak, parmi les cités conquises par le pharaon guerrier et conquérant, Touthmès III. Les Égyptiens s’assurent ainsi du contrôle de l’entrée d’une route qui pourrait mener leurs ennemis aux portes de l’Égypte. Ils peuvent également y installer une garnison qui veillera aux intérêts du Pharaon dans la région. Au siècle suivant, comme bien d’autres villes de Canaan, Beth Shean trouve sa place parmi les cités-états listées sur les tablettes d’Amarna. Au 13e siècle, sans doute pour continuer d’assurer un contrôle sur la route qui mène en Égypte, particulièrement devant les menaces hittites, les pharaons Ramsès II et Séti Ier la signalent comme faisant partie des villes sous leur domination. Au 12e siècle, période où l’on situe traditionnellement la conquête de Canaan, le texte du livre de Josué précise que la ville ne fut pas prise par les Israélites (Josué 17,11 ; voir aussi Juges 1,27). Cette notice témoigne peut-être d’un vieux souvenir national qui permet de croire que les Égyptiens étaient toujours aux commandes de la ville à cette époque.
Au 11e siècle, sans que l’on sache vraiment comment, il semble que la ville soit passée sous contrôle philistin. C’est durant l’un des affrontements des Israélites contre les Philistins que Saül et Jonathan trouveront la mort au combat (1 Samuel 31). Les corps des deux hommes seront empalés sur les murailles de Beth Shean. On gardera un souvenir impérissable de ce triste épisode de l’histoire d’Israël grâce à l’ode attribuée à David. Il faut prendre le temps de lire 2 Samuel 1,17-27, l’une des pages les plus touchantes de toute la littérature biblique.
Au 10e siècle, les Philistins, vaincus par David selon 2 S 5,17-25, ne sont plus en mesure de tenir Beth Shean. Elle fera désormais partie des possessions israélites. On sait, par 1 Rois 4,12 qu’elle appartient à Salomon puisqu’on la retrouve dans une liste de districts administratifs ; mais ce sera la seule mention de la ville dans tout le reste de la littérature biblique. Pendant cette période, le pharaon Shéshonk signale qu’il a capturé la ville : son nom se retrouve sur une liste du temple de Karnak associée aux conquêtes de ce roi égyptien. La suite de ces repères historiques seront révélés dans la deuxième partie de cette article consacrée aux périodes gréco-romaine et byzantine.
Couvercles anthropoïdes et sarcophage en terre cuite de la tombe 202A exhumés lors des fouilles américaines. Ils datent de l’époque du Fer IA (1200-1150 avant notre ère). On peut sans doute attribuer l’usage de ces objets à des mercenaires à la solde de l’Égypte (Wikimedia).
Les noms du site
Plusieurs noms différents ont servi à désigner la ville au cours des siècles. Dans les textes les plus anciens (des textes égyptiens), celle-ci se nomme Beth Shean ou Beth Sheal. C’est ainsi qu’on la nomme aussi dans les textes de l’Ancien Testament. Aux périodes hellénistique, romaine et byzantine, la ville change de nom pour Nysa ou Scythopolis (ville des Scythes ; voir 2 Maccabée 12,29-30). Après la conquête arabe (7e siècle), la ville retrouve son appellation sémitique puisqu’on la connaît alors sous le nom Beisan. Aujourd’hui, le site s’appelle en arabe Tell el-Husn.
Robert David est professeur honoraire de l’Université de Montréal. Il a enseigné l’exégèse de l’Ancien Testament et l’hébreu biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de 1988 à 2015.
[1] Amihai Mazar, « Le tell n’a pas livré tous ses secrets », Le Monde de la Bible 66 (1990) p. 10. Pour une synthèse des découvertes des plus récentes fouilles, voir : Amihai Mazar, « Tel Beth-Shean : History and Archaeology », dans R.G. Kratz et H. Spieckermann (dir.), One God – One Cult – One Nation. Archaeological and Biblical Perspectives, Beihefte zur Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft 405, 2010, pp. 239-271.