Inscriptions en paléo-hébreux au dos de la statuette (photo © Musée de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal)

Archéologie et contrefaçon : d’hier à aujourd’hui

Éric BellavanceÉric Bellavance | 13 décembre 2021

4 septembre 2020. Je reçois un courriel de la registraire des collections du musée de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal. Elle m’informe que le musée a reçu un don anonyme : un contenant, laissé devant le musée, renfermant une petite statuette simplement identifiée comme « provenant de Jérusalem ». La figurine représente un homme debout tenant un objet de la main droite. Le dos de la figurine est plat et gravé d’inscriptions. Selon elle, la pièce semble très ancienne, mais sa provenance et son authenticité restent à confirmer. J’ai alors accepté de faire des recherches supplémentaires et d’en parler à d’autres spécialistes.

En examinant les photos de plus près, je réalise que l’inscription gravée sur la statuette, qui mesure environ (11,6 (H) x 2,2 (L) x 2 (P) cm), est en ancien hébreu (aussi connu sous le nom d’alphabet paléo-hébraïque), écriture qui a commencé à disparaître progressive à partir du 6e siècle avant notre ère pour être remplacée par l’alphabet hébraïque carré qui est encore en usage aujourd’hui. La statuette avait donc le potentiel d’être très ancienne! J’avoue avoir été très excité pendant quelques minutes. Mais mon excitation s’est graduellement dissipée, faisant place au doute : le texte inscrit sur la statuette ne semble vouloir rien dire… Pourrait-il s’agir d’un faux?

Pour en avoir le cœur net, j’ai communiqué avec Émile Puech, professeur à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem et sommité en matière d’épigraphie sémitique. Il m’a autorisé à reproduire son expertise – que j’ai adapté quelque peu, pour les besoins de cet article : 

Si je ne peux rien dire de la statue en tant que telle, en revanche, l’inscription au dos est un beau faux, du type des faux Shapira à la fin du 19e – début du 20e siècles, cherchant à imiter la fameuse stèle de Mésha découverte dans les années 1880. Le graveur a essayé d’imiter quelques lettres dont les mieux réussies sont taw et alef à la première ligne (bien que plus tardives comparées à Mésha), la première lettre devrait être un lamed (d’appartenance/destination) tracé comme gimel, puis nun assez gauche, que l’on ne retrouve jamais ainsi quand il est en position verticale [1]. La deuxième ligne est une catastrophe : resh à tête carrée et incliné à gauche ou dalet mais inconnu comme tel, un kaf étrange, un he qui n’est jamais dans cette position, puis un waw ou yod mais dans des tracés inconnus [2]. L’inscription verticale en dessous est des plus étranges : un mélange de lettres au tracé inconnu, pour la plupart. Bref, des mélanges de lettres très, très gauches, inventés de mémoire par un faussaire, dont les séquences ne font aucun sens. Quant à la figurine, il faudrait chercher s’il en existe au Proche-Orient de ce type, mais ma mémoire n’en connaît pas. Importée d’ailleurs, ou fabrication locale, c’est fort possible sinon probable! [3]

Selon le professeur Benjamin Sass, de l’Université de Tel-Aviv, l’inscription est bel et bien une contrefaçon. Mais le mystère entourant l’origine de la statuette reste entier. Selon Sass, il ne s’agit pas d’une statuette d’origine levantine ni égyptienne. Il pourrait, peut-être s’agir d’une copie d’un modèle mésopotamien ou élamite.

Deutéronome de Shapira

Deutéronome de Shapira : illustration du fragment E réalisée à Londres, en 1883, par Dangerfield Lithography (Wikipedia).

Le « Deutéronome de Shapira »

La contrefaçon d’objets et de manuscrits anciens ne date pas d’hier. Un des plus célèbres – et mystérieux – exemples demeure le « Deutéronome de Shapira ». En 1878, Moses Wilhelm Shapira, un antiquaire de Jérusalem, a fait l’acquisition d’un lot de manuscrits que des Bédouins auraient découvert dans une grotte non loin de la mer Morte (près du Wadi al-Mujib, en Jordanie) [4]. Mais à l’époque, Shapira avait déjà une réputation de faussaire : lui et quelques associés avaient été accusés d’avoir produit de fausses statuettes moabites [5]. Lorsqu’il annonce avoir identifié dans ce lot un fragment du livre du Deutéronome qui pourrait être le plus ancien manuscrit biblique authentique jamais découvert, les spécialistes sont évidemment sceptiques… En 1883, Shapira se rend en Europe où il espère pouvoir les faire authentifier par des experts. Et les vendre au British Museum pour un million de Livres Sterling… Mais le verdict est unanime : ces manuscrits ne sont pas authentiques… Shapira laisse ses fragments de manuscrits au musée londonien et se suicide quelques mois plus tard. Les documents ont été mis aux enchères en 1885 et achetés pour un peu plus de 10 Livres Sterling par un antiquaire londonien du nom de Bernard Quaritch qui les a revendus à Sir Charles Nicholson de l’Université de Sydney. On a par la suite perdu la trace des manuscrits de Shapira, possiblement détruits dans un incendie [6]. Il n’en reste aujourd’hui que la copie faite par le bibliste Christian David Ginsburg – qui fut par ailleurs l’un des premiers à étudier le « Deutéronome de Shapira » et affirmer qu’il s’agissait d’un faux [7].

Le débat entourant l’authenticité des documents de Shapira a refait surface en 2021 avec une nouvelle publication du professeur Idan Dershowitz [8]. Selon ce dernier, les manuscrits de Shapira étaient authentiques et comportaient une version pré-canonique du Deutéronome. Dershowitz se base, entre autres, sur des notes manuscrites que la veuve de Shapira a léguées à la Bibliothèque d’État de Berlin. On y retrouve sa transcription manuscrite du texte du Deutéronome, qu’il tente d’interpréter : on retrouve donc des points d’interrogation dans la marge, ainsi que des commentaires. Sa transcription comporte aussi certaines erreurs, ce qui démontre, selon Dershowitz, qu’il n’est pas l’auteur du faux document et que Shapira était convaincu de son authenticité. Sans entrer dans une longue analyse, on peut toutefois se demander pourquoi Shapira n’a pas cru bon récupérer ses manuscrits, les laissant au British Museum sans obtenir de compensation financière. Il savait peut-être qu’ils ne valaient pas grand-chose, finalement… [9] Mais le débat est relancé!

Les manuscrits de la mer Morte : les vrais et les faux…

En terminant, il est nécessaire de souligner que lorsque les premiers manuscrits de la mer Morte ont été découverts à la fin des années 1940, plusieurs spécialistes doutaient de leur authenticité. Il a fallu le travail combiné de plusieurs spécialistes, sur quelques années, avant d’en arriver à la conclusion que les rouleaux retrouvés dans 11 grottes près de Qumrân, au bord de la mer Morte, étaient authentiques. Cette découverte extraordinaire a bien évidemment donné l’idée à certains faussaires de s’activer… Certains d’entre eux se sont avérés particulièrement habiles. Au point de tromper la vigilance du musée de la Bible, à Washington. En effet, en mars 2020, les 16 fragments de manuscrits de la mer Morte du musée de la Bible, ont été identifiés comme étant des faux [10]. Le musée avait pourtant dépensé des millions de dollars pour en faire l’acquisition! Heureusement, l’Oratoire Saint-Joseph n’a pas eu à débourser quoi que ce soit pour obtenir la mystérieuse petite statue qu’un inconnu a déposé devant son musée…

Éric Bellavance est historien et bibliste. Il est chargé de cours aux universités de Montréal, McGill et Concordia.

[1] Le premier mot pourrait donc se lire ainsi : lnt’. Il s’agit d’une série de lettres qui ne semble pas avoir de sens.
[2] Nous aurions un autre mot dont le sens est obscur : dkhw ou rkhy.
[3] Un grand merci au professeur Puech pour son analyse.
[4] Cette découverte ne doit pas être confondue avec celle des manuscrits de la mer Morte qui aura lieu environ 60 ans plus tard.
[5] Les Moabites étaient les voisins – et souvent ennemis – des anciens israélites ; leur territoire se situait du côté est du Jourdain. Et comme la statuette de l’Oratoire, les figures de Shapira étaient ornées de lettres, sans suite logique, imitant celles de la stèle de Mésha…
[6] Hershel Shanks, « Fakes! How Moses Shapira forged an entire civilization », Archaeology Odyssey 5:5, September/October 2002, p. 41.
[7] Pour en apprendre davantage sur le sujet, voir l’article de Fred Reiner : « Tracking the Shapira Case: A Biblical Scandal Revisited », Biblical Archaeology Review 23:3, May/June 1997.
[8] Idan Dershowitz, « The Valediction of Moses : New Evidence on the Shapira Deuteronomy Fragments », ZAW 2021; 133 (1), pp. 1-22.
[9] La théorie de Dershowitz est remise en question dans le même numéro de BAR par Ronald S. Hendel et Matthieu Richelle (« The Shapira Scrolls: The Case for Forgery » Biblical Archaeology Review, Hiver 2021, volume 47/ 4, pp. 39-46.)
[10] https://www.infochretienne.com/au-musee-de-la-bible-de-washington-les-manuscrits-de-la-mer-morte-sont-des-faux/

Archéologie

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.

La statuette

« Il pourrait, peut-être s’agir d’une copie d’un modèle mésopotamien ou élamite. » (Benjamin Sass, professeur à l’Université de Tel-Aviv).

(photo © Musée de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal)