(photo © Nelson Glueck School of Biblical Archaeology)
Le site de Tel Dan
Robert David | 13 avril 2020
Le site de tell Dan est parmi les plus importants en Israël. Il se trouve à la frontière septentrionale du pays, répondant ainsi à la fameuse délimitation territoriale telle qu’on la lit dans quelques textes bibliques : « De Dan [Nord] à Beersheba [Sud] » (Jg 20,1 ; 1 S 3,20 ; 2 S 3,10 ; 17,11 ; etc.). Le site est situé dans une magnifique réserve naturelle où le Jourdain commence sa descente vers le lac de Tibériade. Dan est donc, avec Banias, l’un des joyaux naturels d’Israël, fournissant au pays près de 250 millions de mètres cubes d’eau par année.
(photo : Wikipedia)
Dan se situe au pied des montagnes de l’Hermon. Le site lui-même occupe près d’une cinquantaine d’acres au cœur d’une région fertile. L’identification du site avec l’ancienne cité de l’époque vétérotestamentaire remonte déjà à 1838. Et en 1976, on a trouvé une inscription votive de l’époque hellénistique qui confirme l’identification du site avec Dan [1]. Depuis lors, l’identification est acceptée par toute la communauté scientifique.
(photo © Nelson Glueck School of Biblical Archaeology)
Le site de Dan a commencé à être fouillé de manière sommaire en 1963. En 1966 et 1967 des fouilles de sauvetage ont été entreprises sous la supervision d’Avraham Biran. Elles se sont poursuivies pendant une trentaine d’années. C’est sous sa direction qu’on a trouvé, en 1993, la stèle dite de la « maison de David », l’un des artefacts les plus célèbres de Dan. Depuis 2005, une nouvelle génération de chercheurs a repris le travail sous la direction de David Ilan, Ryan Byrne et Nili Fox [2].
Trois secteurs de fouilles retiendront ici notre attention. Le secteur K où l’on a mis au jour une porte monumentale de l’époque du Moyen Bronze ; les secteurs A et B au Sud où se trouve la porte principale de l’époque du Fer II ; finalement le secteur T, au Nord, où l’on a découvert l’emplacement du sanctuaire (traité dans un autre article).
(photo © Rafael Ben-Ari / 123RF)
La grande porte du Moyen Bronze
Cette structure compte certainement parmi les découvertes les plus impressionnantes de Dan, pour ne pas dire du Proche-Orient ancien en général. Il s’agit d’une porte de ville de l’époque du Moyen Bronze parfaitement conservée, la seule à avoir été trouvée dans cet état, presque parfaite. La chose est d’autant plus extraordinaire qu’il s’agit d’une structure en briques séchées. Or, contrairement à la brique cuite qui est à peu près indestructible (à moins de la briser), la brique séchée a tendance à se décomposer sous l’action de l’eau. Avec le temps, la pluie finit par littéralement faire fondre les briques séchées. Or, nous avons sous les yeux une énorme structure de briques séchées qui a résisté au temps sur plus de 3600 ans! Sa préservation vient du fait qu’elle était enfouie. On comprend pourquoi les fouilleurs ont décidé de la protéger en la coiffant d’une gigantesque toiture de fer et de plastique, question de ne pas laisser la pluie la détériorer.
Cette porte de ville, dont la durée d’utilisation n’a peut-être pas dépassé une cinquantaine d’années, offre la possibilité de voir comment étaient construites les autres portes du même type trouvées en ruines ailleurs dans le pays et au Proche-Orient ancien. Il est fort probable que les 47 couches de briques qui se trouvent sur la façade Est correspondent à la hauteur totale de la porte originale, soit près de sept mètres de hauteur. Les dimensions du complexe qui forme la porte dans son ensemble sont de 15,45 m de largeur, 13,5 m de profondeur, avec un passage central qui traverse le tout sur une longueur de 10,5 m. Ça donne une idée de l’importance de la structure!
L’ouverture dans la porte (maintenant soutenue par du bois pour empêcher l’effondrement) faisait 3 m de haut par 2,4 m de large et était flanquée, au Nord et au Sud, de deux séries de tours, une série côté Est de la porte et une autre côté Ouest. L’entrée elle-même se composait de trois rangées de briques séchées formant un demi-cercle, sur lequel reposaient ensuite des rangées de briques placées horizontalement. On distingue assez bien ces trois séries de briques en demi-cercle qui tournent autour de l’ouverture centrale, et les briques horizontales au-dessus.
On peut aussi assez bien distinguer les deux tours qui gardent l’entrée, celle du côté Nord (ici à droite) étant mieux conservée que celle du Sud. Chaque tour a une largeur de 5,15 m et est séparée de l’autre par la même distance. Elles sont toutes construites en briques séchées, mais leurs bases reposent sur des pierres. Des traces de plâtre retrouvées sur et entre les briques permettent de penser que l’ensemble de la structure devait être ainsi recouvert.
(photo : Wikipedia)
La porte principale de Dan
À l’époque du Fer, la porte de la ville a été déplacée. Cette entrée fournit au visiteur un modèle très intéressant de porte de ville ancienne de cette époque. On y retrouve plusieurs caractéristiques qui assuraient la défense de la porte tout en permettant aussi aux gens de circuler librement de l’intérieur à l’extérieur et vice versa.
L’entrée du site de Dan n’est pas très élevée par rapport au niveau du sol. Cette particularité place la ville dans une position de faiblesse car elle peut être prise facilement. D’où la nécessité de bien défendre les parties plus faibles, comme les portes de la ville. À Dan, on peut accéder à la porte principale en longeant d’abord le mur Sud sur une certaine distance. Ceci est important car, ce faisant, l’ennemi éventuel subit sur la même distance le tir des soldats qui se trouvent sur la muraille. On peut aussi arriver directement devant la porte en provenance de l’Est. Cette fois-ci, l’ennemi doit également longer le mur de la ville sur une certaine distance. Comme la muraille se trouve alors sur son flanc droit, l’ennemi se trouve à découvert car les soldats portent habituellement leur bouclier sur le côté gauche. Tactique militaire oblige...
(photo : Wikipedia)
Après avoir longé la muraille Sud, on doit tourner vers le Nord à angle droit pour déboucher sur une plazza, et tourner à nouveau à 90 degrés avant de pénétrer dans une première porte (porte externe). On a donc dû faire un virage à 180 degrés. Impossible d’arriver à pleine vitesse avec son char et son cheval, sous peine de se retrouver tête première dans le pacage.
L’entrée externe est gardée par une première muraille-tour à sa gauche (Sud) et s’accote sur la muraille principale côté droit. La porte externe est légèrement décentrée par rapport à la porte interne, ce qui oblige encore à bifurquer avant d’entrer dans la ville, et ce qui empêche aussi les éventuels archers ennemis de lancer leurs flèches en ligne droite dans la ville. Astucieux ces ingénieurs !
(photo : Wikipedia)
Une fois l’entrée externe franchie, on accède à une petite cour intérieure où se trouve un trône. Les pierres rondes servaient probablement de socle à un genre de baldaquin qui protégeait le roi ou son représentant du soleil quand il siégeait près de la porte pour administrer la justice.
La cour où se trouve le trône (A sur le plan) est l’antichambre de la ville. Avant d’y pénétrer pour de bon, il faut d’abord franchir une porte à tenailles (B sur le plan), monter le long d’un chemin de pierres, tourner encore à 90 degrés vers le Nord, contourner un mur qui bloque momentanément le chemin, reprendre sa marche vers le Nord pour traverser finalement la dernière défense, une autre porte à tenailles (non représentée sur le plan), qui ouvre définitivement à l’intérieur du site.
De tous les systèmes défensifs trouvés en Israël, celui de Dan est sans conteste l’un des plus complexes et des plus ingénieux. On peut se demander si la présence d’un sanctuaire royal n’y est pas pour quelque chose, le chemin partant de la porte de la ville conduisant directement au haut-lieu.
Un chemin royal
Tout le site de Dan n’a pas été fouillé, bien sûr. On a tout de même réussi à dégager une portion importante du chemin qui menait de l’entrée de la ville jusqu’au lieu de culte royal. Le chemin est bien balisé par des pierres dressées placées de chaque côté. Il est évident qu’il s’agit ici d’un chemin extrêmement important. Selon nos critères modernes nous pourrions avoir l’impression d’un simple sentier pédestre comme il en existe plusieurs dans nos parcs provinciaux et fédéraux. Pourtant, nous savons, par les fouilles effectuées sur d’autres sites, que les rues des villes étaient habituellement de simples sentiers de terre battue, rarement balisées sinon par les constructions qui se dressaient de part et d’autre de la rue. Or, à Dan, en plus d’être bien balisé, le chemin est large et composé, sur toute sa longueur, de pierres plates bien agencées. Le soin que l’on a pris à construire ce chemin est véritablement digne d’une allée royale.
Il faut nous imaginer, en regardant ce simple chemin, que des milliers d’Israélites et de Cananéens ont foulé ces pierres, en procession, pour se rendre au lieu de culte érigé par Jéroboam après le schisme de 930. Peut-être que les statues qui ornaient le sanctuaire ont également été portées par les prêtres du lieu, et que les différents rois qui ont occupé le trône du royaume d’Israël à Samarie ont posé leurs pieds sur ces mêmes pierres. Ce chemin serait le témoin du passage de rois tels Omri, Achab, Jéroboam II. C’est une partie importante de l’histoire politique et religieuse qui s’est faite quelque part sur ce chemin et dans ses environs. Quiconque s’intéresse de près à l’histoire ancienne d’Israël ne peut qu’être ému en foulant ces mêmes pierres ou en lisant l’histoire des rois d’Israël dans les Livres des Rois.
Robert David est professeur honoraire de l’Université de Montréal. Il a enseigné l’exégèse de l’Ancien Testament et l’hébreu biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de 1988 à 2015.
[1] Sur cette inscription bilingue (écrite en grec et en araméen), on peut lire : « Au dieu des Danites, Zoilos a fait un vœu. »
[2] Voir le site web des fouilles : Tel Dan Excavations.