Le mur et la porte de tell Balatah (Wikipedia).
La ville de Sichem
Robert David | 11 novembre 2019
Pour qui a fréquenté un peu les textes bibliques, le nom Sichem n’est pas inconnu. Les traditions patriarcales y réfèrent à propos d’Abraham (Gn 12,6), mais surtout à propos de Jacob (Gn 33-35). Cette ville, située sur l’un des axes routiers importants de la Palestine, a connu une histoire assez mouvementée.
Plusieurs campagnes de fouilles ont été menées sur le site de tell Balatah, là où se trouvait l’ancienne Sichem. La première s’est tenue entre 1913 et 1914 (expédition austro-allemande), la seconde en 1926-1927. Les Américains reprendront le flambeau entre 1956 et 1973. Le site fut utilisé pour former de futurs archéologues, quelques-uns des plus illustres de l’école américaine. C’est à Sichem que, pour la première fois, on travailla avec des spécialistes de diverses disciplines. Cette première allait ouvrir la porte à de nombreuses expéditions qui, à l’avenir, allaient s’adjoindre de tels spécialistes. Plus récemment (2010-2014), une équipe d’archéologues de l’Université de Leyde (Pays-Bas), sous le patronage de l’Unesco, a mis le site en valeur pour en faire un parc archéologique.
Toutes les expéditions menées à Sichem permirent d’identifier vingt-quatre strates différentes, avec une fourchette chronologique allant du chalcolithique à la période hellénistique, la période du Bronze étant la plus représentée. Il serait intéressant de détailler toutes les découvertes mais nous allons concentrer notre attention sur les périodes israélites.
Le site se trouve en bordure des constructions actuelles de Naplouse, une ville palestinienne de Cisjordanie. Sur la première photo (plus haut), on peut voir les ruines de la porte Nord-Ouest (A sur le plan) associée à plusieurs murs des villes des époques du Bronze et du début du Fer. Un peu à gauche de cette porte, un édifice imposant, un temple aux murs épais (B) dont nous reparlerons plus loin. À droite du site, dans un carré un peu isolé dans les arbres, la porte Est des villes du Bronze et du Fer (C). Voyons ces éléments sur un plan.
Plan de l’ancienne cité (Tell Balata Archaeological Park Guidebook)
Plan de Sichem
La porte Nord-Ouest se trouve en haut à gauche (A). Comme vous pouvez le voir, il s’agit d’une porte à tenailles possédant deux chambres. La portion de mur se trouvant à droite de cette porte (D) servait sans doute de quartier aux gardiens de la porte tandis que, dans la portion de gauche (Ouest) on a trouvé les restes d’un temple (E). On pense qu’il s’agissait d’un temple personnel car celui-ci se trouve à proximité d’un temple plus imposant (en rouge sur l’image). La structure du temple personnel, de l’époque du Moyen Bronze, correspond à celle du temple de Jérusalem à savoir : un vestibule (un petit mur perpendiculaire en délimite la portion ouest), une pièce dans le sanctuaire (le saint ; E sur le plan) et une dernière au fond (saint des saints) dans laquelle il y avait un piédestal pour recevoir une statue. Ce sanctuaire fut démantelé plus tard quand on construisit un mur à casemates à la place du mur cyclopéen. On peut distinguer les diverses composantes du temple personnel par les deux murs parallèles coupés perpendiculairement à trois reprises.
Porte Est de la ville (Wikipedia).
Les deux autres constructions que nous pouvons voir sont, à l’Ouest, le temple public et, à l’Est, la porte orientale de la ville.
Le grand sanctuaire de Sichem
À l’Ouest de la porte Nord-Ouest, les fouilles ont permis de dégager une immense structure rectangulaire qui avait, sans conteste, une fonction cultuelle (B). La première construction de ce que l’on qualifie de temple-forteresse (migdal) remonte à l’époque du Moyen Bronze IIC et appartient aux strates XVI et XV. La superficie de cet édifice couvre 26,3 mètres par 21 mètres en plus des murs qui font plus de 5 mètres d’épaisseur et qui devaient supporter des parties en briques. L’entrée, protégée par deux tours, permettait de pénétrer dans la cella où se dressaient des colonnes destinées à supporter le toit. Durant l’une des phases de l’évolution de ce temple-forteresse, on plaça des pierres dressées (matseboth) à l’entrée du sanctuaire. La pierre que les visiteurs peuvent encore voir aujourd’hui sur le site faisait partie de ces matseboth. On connaît l’existence de ces pierres dressées par les textes prophétiques (Is 19,19; Os 3,4; Mi 5,12), ou les textes deutéronomiques (Dt 7,5; 12,3), qui invitent les Israélites à ne pas rendre un culte aux pierres dressées. On a d’autres exemples de matseboth à Gézer.
La pierre dressée (photo © Joëlle Alazard).
Si la première phase de construction du migdal remonte au Moyen Bronze, on sait qu’il fut reconstruit au Récent Bronze en gardant à peu près la même structure. Ceci vient confirmer ce que nous avons déjà dit à propos d’autres sanctuaires : ces derniers ont tendance à conserver leur vocation pendant plusieurs siècles. Ici, il semble même que le migdal fut reconstruit à la période du Fer I mais, cette fois, les autels et les matseboth furent enterrés.
L’église du puits de Jacob
À l’extérieur du site de tell Balatah, à l’entrée de la ville de Naplouse, se trouve une église achevée il y a quelques années. Elle appartient à la communauté grecque orthodoxe qui a pris plusieurs décennies à amasser les fonds nécessaires pour en terminer la construction commencée en 1914. Les grecs-orthodoxes avaient alors entrepris de suivre le plan d’une église des Croisés qui avait elle-même été érigée sur l’emplacement d’une église byzantine. Mais, pourquoi toutes ces églises ici? C’est que la tradition y voyait l’endroit où Jésus se serait entretenu avec la Samaritaine et les habitants de Sychar (Sichem). C’est pourquoi, depuis le IVe siècle, des églises se sont succédées ici.
Dans la crypte de l’église orthodoxe, le puits de Jacob
Le puits de Jacob
Les habitants de Naplouse portent une attention particulière à ce puits. La tradition veut qu’il ait été creusé par Jacob lui-même (Gn 33,19). Pour les chrétiens, c’est sur la margelle de ce puits que Jésus aurait discuté avec la Samaritaine.
Il est clair que ce puits est très ancien. Profond d’une trentaine de mètres, et toujours en opération, on peut voir les traces laissées par le frottement des cordes des puiseuses depuis des siècles. Si le cœur vous en dit, pourquoi ne pas en profiter pour relire Jean 4 et méditer un peu ces sages paroles ...
Un peu d’histoire
Il est vrai que l’Ancien Testament parle souvent de Sichem, particulièrement dans les premiers livres (Genèse à Juges). Il est difficile de comprendre le sens exact de tous ces textes, particulièrement ceux qui traitent des patriarches et de la conquête du pays dans le livre de Josué. Il faut faire preuve de prudence dans l’utilisation de ces données. Ceci dit, on peut tout de même proposer quelques moments qui servent de points de repères à l’histoire de la ville, tout en sachant que plusieurs données nous échappent encore (et nous échapperont peut-être toujours).
- 19e siècle : Mention de la ville dans les textes d’exécration égyptiens. Il semble que nous ayons déjà affaire à une sorte de cité-état contrôlant le centre du pays.
- 14e siècle : Le nom de Sichem apparaît à maintes reprises dans les lettres d’Amarna. Le roi Laba’yu ne semble pas avoir fait la vie facile aux cités-états voisines qui se plaignent souvent de son attitude belliqueuse. Les conflits semblent se produire le plus souvent avec Megiddo et Gézer, mais on signale aussi Jérusalem et Hébron.
- 12e siècle : Le livre de Josué parle à quelques reprises de Sichem. Il y situe un rituel d’Alliance (Jos 8) et une prise de position en faveur de YHWH de la part du peuple (Jos 24). Toutefois, ces textes reflètent sans doute davantage les préoccupations des auteurs tardifs que la réalité historique.
- 11e siècle : L’importance de la ville, et son influence, sont signalées par le fait que c’est vers les gens de Sichem que l’on vient pour connaître les volontés du peuple quant à la reconnaissance ou nom d’un roi. C’est du moins ce que laisse entendre un texte comme Jg 9 (et plus tard 1 R 12).
- 10e siècle : 1 R 12 (il faut lire ce texte majeur). Dans ce texte, il est clair que les anciens de Sichem ont leur mot à dire quant à la décision de reconnaître ou non la dynastie davidique. Cette décision aura des conséquences énormes sur la suite de l’histoire puisque c’est à Sichem que s’est joué l’avenir d’Israël. C’est là que s’est consommé le schisme entre le royaume du Nord et le royaume du Sud après la mort de Salomon en 930. Le premier roi du royaume du Nord, Jéroboam, établit la capitale du royaume du Nord à Sichem. Elle sera par la suite transférée à Tirsah (tell Far’ah) pour finalement aboutir à Samarie avec Omri.
- 8e siècle : Sichem semble fournir des provisions à la capitale Samarie si l’on en croit le contenu de quelques ostraca trouvés à Samarie. Comme les autres villes de Samarie, les habitants de Sichem subiront la déportation imposée par les forces assyriennes de Téglath Phalassar III.
- 3e siècle : La ville redevient prospère à l’époque hellénistique. Elle devient le centre religieux des Samaritains qui établissent leur principal sanctuaire au sommet du Garizim.
- 1er siècle de notre ère : À la période romaine, l’ancienne Sichem est abandonnée pour céder la place à une nouvelle ville, Néapolis dont on a conservé le nom aujourd’hui : Naplouse. Néapolis est située plus à l’Est que l’ancienne Sichem, plus proche de la vallée.
Robert David est professeur honoraire de l’Université de Montréal. Il a enseigné l’exégèse de l’Ancien Testament et l’hébreu biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de 1988 à 2015.