La bulle marquée du sceau de Nâtan Mélèk (photo © Gali Tibbon / AFP)
La signature d’un serviteur du roi Josias retrouvée?
Éric Bellavance | 13 mai 2019
Les fouilles effectuées dans l’ancien parc de stationnement Givati, situé dans le parc national de la Cité de David, à Jérusalem, a une fois de plus été le théâtre d’une découverte archéologique importante : une bulle, c’est-à-dire un petit morceau d’argile servant à sceller un document et sur lequel on retrouve une inscription claire et complète : « (appartenant) à Nâtan-Mélèk, serviteur du roi ».
Cette petite pièce, d’à peine un centimètre, est intéressante puisque le propriétaire du sceau porte le même nom qu’un officiel haut gradé proche du dernier grand roi d’Israël, Josias (640-608), réputé pour sa réforme religieuse drastique en faveur du culte unique de YHWH (2 R 22-23). Pourrait-il s’agir du même Nâtan-Mélèk qui est mentionné dans le livre des Rois? Bien qu’il soit impossible de prouver hors de tout doute qu’il s’agit du même individu, cette hypothèse est vraisemblable, pour plusieurs raisons que nous évoquerons plus loin. Mais avant d’en dire davantage sur l’individu lui-même et son possible rôle dans la réforme du roi Josias, il est nécessaire de parler de la découverte elle-même.
La découverte
C’est à la fin du mois de mars 2019 qu’une équipe d’archéologues israéliens a fait l’annonce de cette découverte [1]. La bulle en question a été retrouvée dans une grande structure à deux étages datant de l’époque du Premier temple (le temple de Salomon) située dans une zone de la cité de David non loin du temple et du palais du roi. Les administrateurs et les officiels qui y travaillaient étaient possiblement les plus proches du roi. Cette section serait devenue le centre administratif de Jérusalem au 8e siècle avant d’être détruite et brûlée lors de la conquête babylonienne de 587 av. J.-C. [2] Ayant été brûlé, le sceau d’argile a été retrouvé en très bon état [3], en plus d’avoir été découvert dans son véritable contexte archéologique lors d’une fouille officielle. Il n’y a donc aucun doute sur la provenance de l’objet et sur son authenticité.
D’un point de vue paléographique et linguistique, il est clair, selon Anat Mendel-Geberovich de l’Université hébraïque de Jérusalem et du Centre pour l’étude de l’ancienne Jérusalem, que la courte inscription a été rédigée entre la deuxième moitié du 7e siècle et le début du 6e siècle, ce qui cadre bien avec le lieu de la découverte : le parc de stationnement Givati où se trouvent les restes d’un édifice public détruit et incendié lors de la conquête babylonienne de Jérusalem (vers 586 av. J.-C..)
Plus d’un sceau
Dans les articles publiés récemment sur cette découverte [4], les journalistes ne font jamais référence au fait qu’une bulle portant le même nom a aussi été découverte à la fin des années 1990 [5]. L’inscription est clairement lisible et la calligraphie est de haute qualité. Son propriétaire devait donc être de haut rang. Mais personne ne sait vraiment où, quand et par qui elle a été trouvée… [6] Quoi qu’il en soit, d’un point de vue paléographique, les deux bulles ont été rédigées à la même époque. Dans les deux cas, Nâtan-Mélèk, dont le nom, très rare par ailleurs, peut être traduit par « Le roi donne/ a donné » [7], est qualifié de « serviteur du roi ». Le mot hébreu ‘ebed peut avoir le sens de « serviteur » ou d’« esclave », mais peut aussi faire référence à un officier royal de haut rang. Il s’agit, semble-t-il, d’un titre assez général, qui ne fait pas référence à un rôle en particulier. C’est un individu faisant partie d’une élite et qui était vraisemblablement assez proche du roi. Le fait que le Nâtan-Mélèk mentionné sur les bulles ait un sceau à son nom démontre qu’il faisait partie de la deuxième catégorie. Il n’était pas un « esclave » du roi, mais plutôt un membre de son entourage. Et si ce Nâtan-Mélèk est le même qui est mentionné dans le livre des Rois, ce dernier aurait peut-être participé à la grande réforme religieuse du roi Josias.
La grande réforme religieuse du roi Josias
Lors de la 18e année du règne de Josias, on aurait trouvé le « livre de la loi » dans le temple de Jérusalem (2 R 22,8). Après avoir entendu le contenu du livre, le roi Josias est dans tous ses états; il réalise que ses ancêtres n’ont pas obéit aux paroles de Dieu que contenait ce livre (2 R 22,11-13). Comme si la Loi de Moïse n’avait jamais été appliquée convenablement parce que le livre avait été perdu pendant toutes ces années! Le roi envoie une délégation pour consulter la prophétesse Hulda qui confirme ce que Josias craignait : il est déjà trop tard… De grands malheurs s’abattront contre le royaume de Juda et la ville de Jérusalem parce que le peuple a vénéré d’autres dieux pendant des siècles (2 R 22,14-17). Or, même s’il est déjà trop tard, le roi Josias entreprend une réforme religieuse : il décide d’abolir et de détruire tout ce qui était en lien avec le culte des autres dieux qui étaient encore vénérés par les Israélites à cette époque. Vient ensuite le fameux passage où il est question d’un certain Nâtan-Mélèk. On y apprend que Josias fait retirer de l’entrée du temple de Jérusalem les représentations de chevaux dédiés au Soleil pour les déplacer vers la chambre de Nâtan-Mélèk, qui était apparemment à la tête d’une section du temple. La traduction de ce passage n’est pas évidente, mais selon notre lecture, ce dernier a peut-être eu la responsabilité de brûler les « chariots du (dieu) soleil ». Mais qui était donc ce Nâtan-Mélèk?
Nâtan-Mélèk
Le titre que l’on donne à Nâtan-Mélèk dans le texte biblique est sârîs. Or, la traduction du mot hébreu sârîs est problématique. En effet, on traduit parfois par « eunuque », « chambellan », « officier », etc. Même s’il est souvent qualifié d’eunuque, le professeur Guy Couturier démontre que cette désignation ne convient pas au personnage [8]. Même si ce terme peut parfois être traduit par « eunuque », dans la majorité des cas, un autre sens est préférable. En fait, le terme ne semble pas avoir ce sens avant le 5e ou le 4e siècle av. J.-C. Il y avait certes des eunuques au palais royal, mais ceux-ci s’occupaient particulièrement du harem. Et comme le soulignait Couturier, « un eunuque n’a pas grand-chose à faire dans le temple. Le harem est ailleurs... » On sait aujourd’hui que ce mot (sârîs) est d’origine mésopotamienne (shâ réshî). Il s’agit en fait d’un titre que l’on peut traduire par « (celui) qui est à la tête de » et que l’on donne à un fonctionnaire responsable d’un lieu, d’un objet. Dans l’empire assyrien, qui a dominé le couloir syro-palestinien pendant quelques siècles, ce titre est donné à des officiers impériaux de haut rang. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit possiblement d’un officier de la cour royale, c’est-à-dire un individu d’une certaine importance ayant un lien avec la royauté.
On remarque que le Nâtan-Mélèk de la Bible ne porte pas le titre de « serviteur du roi », contrairement aux deux bulles évoquées précédemment. La grande question est donc la suivante : ces deux bulles portent-elles l’empreinte du Nâtan-Mélèk du texte biblique? Les exégètes restent prudents, mais ils sont néanmoins ouverts à la possibilité qu’il s’agisse du même individu. Pour les raisons suivantes. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un nom commun en hébreu. À titre d’exemple, un seul individu porte ce nom dans la Bible. Ensuite, son titre de « serviteur du roi » est un titre non spécifique d’un officier de haut rang, tout comme celui de sârîs, qui ne fait pas référence à une fonction exacte. S’il s’agit du même individu, le texte biblique nous apprend qu’il était responsable d’une pièce à l’intérieur du temple. Autre point important : l’analyse paléographique des deux inscriptions permet de les dater avec assez de précision, soit la fin du 7e siècle, époque où a justement régné le roi Josias. Finalement, le Nâtan-Mélèk du texte biblique occupait apparemment une position importante dans l’entourage du roi Josias, tout comme l’individu du même nom qui porte le titre « serviteur du roi ». Il n’est pas impossible que deux individus du même nom aient occupé des positions importantes dans la cour du roi Josias à la même époque, mais cela est improbable.
En somme, même s’il est impossible de prouver hors de tout doute que le propriétaire du sceau est le même personnage que celui mentionné dans la Bible, il est impossible, comme le souligne Mendel-Geberovitch, « d’ignorer certains détails qui les relient [9] ». Qui sait, nous sommes peut-être en présence d’un témoin direct des réformes religieuses du dernier grand roi d’Israël, une entreprise qui a sans doute contribué à l’avènement d’une religion monothéiste au sens le plus strict du terme.
Éric Bellavance est historien et bibliste. Il est chargé de cours aux universités de Montréal, McGill et Concordia.
[1] Les fouilles du parc de stationnement Givati sont menées par Yuval Gadot de l’Université de Tel Aviv et Dr. Yiftah Shalev de l’Autorité israélienne des Antiquités.
[2]
On retrouve en effet des traces évidentes de destruction: débris de pierre, poutres en bois, morceaux de poteries calcinés, etc.
[3]
Les objets d’argile brûlés deviennent très durs, ce qui favorise leur conservation.
[4]
Voir : Amanda Borschel-Dan, « Deux minuscules inscriptions du Premier temple décrivent une autre Jérusalem », The Times of Israel, 1er avril 2019; Megan Sauter, « Nathan-Melek: Servant of the King. Ancient bulla unearthed in Jerusalem », Biblical Archaeological Society, 16 avril 2019.
[5] À ce sujet, le lecteur peut se référer à l’article de P. Kyle McCarter Jr. Voir aussi Robert Deutsch, « Messages from the Past: Hebrew Bullae from the Time of Isaiah through the Destruction of the First Temple », Tel Aviv-Jaffa, Archaeological Center, 1999, pp. 73-74.
[6] En effet, il s’agit d’une bulle appartenant à la collection privée du Londonien Shlomo Moussaieff. Achetés en majorité à Londres et en Israël à des antiquaires ou des collectionneurs privés, ces objets n’ont pas été découverts lors de fouilles en bonne et due forme, contrairement à la bulle découverte récemment.
[7]
McCarter et Deutsch sont tous deux d’avis que le titre « roi » fait ici référence à Dieu.
[8]
Guy Couturier, « Eunuque : vraiment? » Fait à noter, le professeur Couturier a écrit cette chronique à propos de la bulle découverte à la fin des années 1990, portant l’inscription « Nâtan-Mélèk, serviteur du roi ».
[9] Citée par Amanda Borschel-Dan, « Deux minuscules inscriptions du Premier temple décrivent une autre Jérusalem », The Times of Israel, 1er avril 2019.