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Le sacrifice d’Abraham de la synagogue de Beth Alpha

Robert DavidRobert David | 14 janvier 2019

Pour faire suite à la description des mosaïques de la synagogue de Beth Alpha, nous allons examiner plus en détail la scène du panneau situé au nord de l’édifice. Ce troisième panneau, premier aperçu en entrant dans la synagogue, présente une scène biblique suave et charmante, malgré son côté dramatique. Il s’agit de l’épisode de Genèse 22. En quelques figures naïves, les artistes ont représenté les divers personnages et leurs interactions.

À gauche, les deux jeunes serviteurs, imberbes, sont restés avec l’âne. Celui qui se tient debout, devant, tient un fouet dans sa main. Ce doit être le leader. L’autre, derrière l’âne, s’apprête à enlever la selle de l’animal. À leurs pieds, un buisson étendu. Au milieu du panneau, le bélier pris dans un fourré. Il est couché sur le côté pour montrer qu’il ne peut se déplacer. Juste au-dessus du fourré une main sort du ciel (symbolisé par le paradis où poussent de beaux palmiers bien droits). Elle représente la divinité. À droite de cette main on peut lire les lettres « Abraham » et, sous la main, d’autres lettres hébraïques qui donnent l’ordre : « N’étends pas [la main] ». Les lettres « Abraham » servent à identifier le personnage (comme c’est le cas pour le bélier et pour Isaac), mais elles peuvent également être associées à la main divine qui appelle Abraham, comme dans le texte biblique. 

Abraham est habillé d’une longue tunique. Il porte la barbe (c’est un vieux personnage), une auréole autour de la tête, le couteau pour le sacrifice dans la main droite, la main gauche tendue pour tenir Isaac. Flottant dans les airs (en fait il devrait être au-dessus de l’autel), Isaac a le corps à peine esquissé, comme pour marquer qu’il n’est déjà plus. La tête frisée et le visage imberbe montrent qu’il s’agit d’un jeune homme. Proche de la main d’Abraham, on voit les deux mains liées d’Isaac. À gauche de sa tête on peut lire son nom : « Ytsaq ». À sa droite, l’autel du sacrifice avec les flammes qui s’élèvent.

L’ensemble fait penser à un dessin d’enfant. Les traits sont à peine esquissés, les détails des vêtements pour ainsi dire absents. Pourtant, le tout a une force d’évocation hors du commun. C’est la seule fois, du moins jusqu’à maintenant, où une scène biblique est associée avec le zodiaque.

Sous le panneau d’Abraham sacrifiant on peut voir le haut d’une inscription, rédigée en grec, sur laquelle on précise le nom des deux artistes qui ont produit l’ensemble de la mosaïque : Marianos et son fils Hananie. Plus bas, une autre inscription, celle-là rédigée en araméen, fournit la date de l’exécution de l’œuvre. Elle précise que c’est durant le règne de l’empereur Justin (sans aucun doute Justin I ayant régné de 518 à 527) que le plancher fut décoré.

À gauche et à droite de l’inscription, nous ne voyons que les pattes des deux animaux qui flanquaient l’inscription et la sortie centrale de la synagogue : un lion (à gauche) et un buffle (à droite). Chose étonnante, ces deux animaux sont représentés dans le sens contraire à tout le reste de la mosaïque. En effet, en entrant dans la synagogue par la porte centrale, on voyait d’abord les deux inscriptions ainsi que les animaux gardiens à l’envers, puis le panneau d’Abraham, le zodiaque et finalement l’arche de la Loi. C’est en sortant de la synagogue que les animaux gardiens paraissent à l’endroit, comme pour nous avertir des dangers qui nous guettent en quittant l’enceinte sacrée. 

Détail d’Abraham sacrifiant

Abraham est le personnage central du panneau. On y voit bien sa tunique, sa barbe et sa main qui tente de rejoindre Isaac. Isaac a les bras croisés et les mains attachées. Sa tunique donne l’impression qu’il s’envole vers l’autel ou, à tout le moins, qu’il s’y rend volontairement. Remarquez sa jambe pliée, indiquant un mouvement vers l’avant. Son nom est écrit juste au-dessus de lui, celui d’Abraham entre la tête de ce dernier et la main divine. Au-dessus du buisson : l’ordre divin « N’étends-pas ». 

L’une des scènes les plus tragiques de toute la littérature biblique, mais en même temps l’une des plus parlantes quant à la foi en son dieu et au don du meilleur de soi. On n’a pas fini de commenter cet épisode. De l’avoir placé à l’entrée de la synagogue devait inciter les fidèles à avoir autant foi en Dieu qu’Abraham l’avait eue.

Avouez avec moi que toute cette mosaïque ne peut nous laisser indifférent. Elle n’a rien du style et de la maîtrise technique des grandes mosaïques des riches villes romaines. Elle montre cependant le souci juvénile de suivre le courant de l’époque, avec les moyens du bord et selon les qualités artistiques disponibles. J’avoue être personnellement plus attaché à cette mosaïque naïve qu’à toutes les mosaïques classiques trouvées ailleurs en Israël et en Palestine. Question de goût.

Robert David est professeur honoraire de l’Université de Montréal. Il a enseigné l’exégèse de l’Ancien Testament et l’hébreu biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de 1988 à 2015.

Archéologie

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.