La porte à tenailles (photo : Wikimedia Commons)
Les remparts et la porte à tenailles de Gézer
Robert David | 11 juin 2018
Comme toute ville stratégique, Gézer était entourée d’un épais rempart pour la protéger d’éventuelles attaques ennemies. Des tours permettaient aux gardes de scruter l’horizon et les portes, points faibles des fortifications, étaient munies de systèmes défensifs ingénieux.
Les remparts
Le site de Gézer était entouré d’une muraille sur tout son sommet (voir le plan plus bas). On distingue en réalité deux murailles encerclant la ville. La muraille intérieure est le premier rempart ayant été construit à Gézer. Il date de l’époque du Moyen Bronze (± 1800 AJC) et appartient aux strates XIX-XVIII. Il a été dégagé sur plus de 400 m. On a localisé environ 25 tours qui y étaient associées. La largeur moyenne du mur est de 4 m et il est préservé par endroits sur 4,5 m de hauteur. Il est composé de grosses pierres dressées au-dessus desquelles on a placé une superstructure de briques séchées.Plan du site selon A. Negev et S. Gibson, Dictionnaire archéologique de la Bible, 2006.
Également associée à cette muraille intérieure, une porte de ville (la partie sur le plan identifiée à la Porte sud) flanquée à l’Ouest d’une imposante tour de 15,6 m de largeur, la plus grosse unité défensive dégagée dans le pays jusqu’à maintenant.
Le mur extérieur pour sa part date de l’époque du Récent Bronze II (strate XVI), époque contemporaine des fameuses lettres d’el-Amarna (14e siècle). R.A.S. Macalister l’a dégagé sur plus de 1000 m (4/5 du périmètre) un peu plus bas sur le plan du site que le mur intérieur du Moyen Bronze. Cette nouvelle ligne de rempart a permis de gagner 25% de plus de superficie habitable (les parties en pointillé à l’Ouest n’ont pas été fouillées). Il a à peu près les mêmes dimensions que le mur intérieur. On n’a cependant pas retrouvé la porte de ville qui devait lui être associée. Certains croient qu’elle pourrait se trouver sous la porte salomonienne.
Tour cananéenne (photo : Wikimedia Commons)
La porte à tenailles
L’un des plus beaux exemples de porte à tenailles découverte en Israël se trouve ici, à Gézer. Elle est associée à la strate VIII correspondant à l’époque du Fer II. R.A.S. Macalister pensait qu’il s’agissait d’un fort de la période maccabéenne, mais il est clair aujourd’hui qu’il s’agit d’une porte de l’époque royale.
Nous avons pu voir, sur le plan général du site, qu’elle se trouve un peu en retrait du mur externe de l’époque du Récent Bronze (vous pouvez la localiser où il est écrit « Champ III »). Peut-être y était-elle rattachée par des parties de mur à angle qui venaient se souder à la muraille du Récent Bronze. Les constructeurs de cette porte l’auraient peut-être construite près de l’endroit où se trouvait l’ancienne porte du Récent Bronze. Les données archéologiques ne permettent pas de trancher la question.
Les fouilles ont révélé que la porte de ville avait subi quelques altérations au cours des années. Dans sa forme première, elle était constituée de quatre portes formant trois chambres de chaque côté du passage central. Chacune des chambres possédait une banquette plâtrée sur les trois côtés intérieurs de ses murs. On distingue ces banquettes sur le plan le long de chacun des murs des chambres (voir le dessin plus bas). La chambre du côté Sud-Est conserve un bassin dont la fonction n’est pas très claire. Peut-être s’agissait-il d’une réserve d’eau servant à abreuver les gardiens ou les anciens qui se tenaient aux portes de la ville. Cette coutume est maintes fois attestée dans les textes bibliques. On relira avec intérêt la savoureuse histoire de Ruth (Rt 4) où une partie des activités se passe à la porte de la ville. Les banquettes font à ce point partie de la construction que, chaque fois que l’on élevait le niveau du sol des chambres, on élevait du même coup le niveau des banquettes et on les replâtrait.
Diverses portes à tenailles de l’époque royale (illustration © BAR)
La première porte ne possédait (peut-être) pas les deux sections externes. Certains proposent (mais ceci ne fait pas l’unanimité) que ces sections furent ajoutées dans un deuxième temps, en même temps que l’on élevait le niveau du sol et que l’on ajoutait un drain dans l’allée centrale et sous le seuil pour dégager l’eau de pluie vers l’extérieur.
Les fouilles autour de la porte ont permis aux archéologues d’identifier un niveau de destruction assez important. Certains proposent d’y voir la destruction causée par le passage du pharaon Shéshonq (924 AJC), d’autres celle causée par les troupes de Téglath-Phalassar III (733 AJC).
Un problème de datation
Un problème important divise la communauté scientifique. Il s’agit de la datation de cette porte. Y. Yadin fut le premier, à la fin des années 50, à proposer qu’elle faisait partie des constructions salomoniennes (± 950 AJC) telle que décrites dans 1 R 9,15-17. On avait trouvé des portes semblables à Hazor et Megiddo et on les avait datées de cette même période. Cette datation est retenue par plusieurs auteurs depuis cette proposition de Yadin. Cependant, un nombre grandissant d’archéologues conteste cette datation. Sur la base de nouvelles fouilles et de nouvelles découvertes, certains proposent plutôt une date correspondant à l’époque de la dynastie des Omrides, peut-être l’époque d’Achab (± 871-852 AJC). L’enjeu est important car il met aux prises deux écoles de pensée qui s’affrontent depuis quelques années. Une première voit dans les textes bibliques des témoins fidèles de l’histoire ancienne, l’archéologie apportant quelques confirmations externes. Une deuxième émet des doutes sérieux quant au contenu historique des textes bibliques et appuie ses conclusions sur des données archéologiques et anthropologiques. Le débat fait rage depuis maintenant près de 30 ans et ne semble pas prêt de s’estomper. De nouvelles découvertes permettront peut-être un jour de trancher la question, mais nous n’en sommes pas encore là.
On trouve dans ce débat un exemple qui illustre comment une donnée archéologique « neutre » en soi (une porte en pierre !) n’obtient pas le même traitement ni la même interprétation selon l’école de pensée à laquelle on se rattache.
Robert David est professeur honoraire de l’Université de Montréal. Il a enseigné l’exégèse de l’Ancien Testament et l’hébreu biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de 1988 à 2015.