L’os du talon d’un crucifié du premier siècle dont les restes ont été découverts en 1968 (photo © Israel Exploration Society).
La première découverte dun crucifié
Guy Couturier | 14 avril 2006
En 1968, lors dexcavations à Civat Hamivtar (Ras el-Masaref), un quartier du nord-est de Jérusalem, des tombes furent découvertes, dont le riche matériel a fait lobjet dune publication une dizaine dannée plus tard. Mais on ne tarda pas à faire connaître aussitôt le contenu dun ossuaire (coffret en calcaire tendre pour y déposer les ossements dun défunt), inscrit au nom de « Yehohanan (Jean) fils de Hagqol (?) ». Il contenait les restes dun jeune enfant de 3 à 4 ans, et ceux dun homme de 24 à 28 ans. Daprès la poterie du tombeau, il faut dater ces restes du Ier siècle de notre ère.
Une surprise à la fois macabre et excitante attendait lanthropologue qui se devait détudier ces ossements. Les deux talons du squelette adulte étaient rivés lun à lautre par un gros clou de fer, environ 7 pouces de longueur, et recourbé à son bout pointu. Entre la tête du clou et le talon droit, des restes de bois dacacia ou de pistachier étaient bien reconnaissables ; par contre, entre le talon gauche et le bout crochi du clou, cétait du bois dolivier qui se révéla à lanalyse. On ne pouvait donc pas douter du fait que lon était en présence du cadavre dun crucifié de lépoque romaine, dans le voisinage des années de la vie de Jésus.
Létude des tibias révéla que les jambes du crucifié avaient été cassées de façon violente. Le tibia droit semble avoir reçu le coup le plus dur, car il était fractionné en de multiples éclisses ; par contre le tibia gauche portait une seule cassure en dents de scie. Les os des poignets ne portent aucune trace de clou, mais des éraflures sont bien marquées sur le radius droit. Il semble donc que ce soit là les signes de la place des clous, quil nous faut placer plus haut que le poignet. Cette position des clous dans les bras exige donc quun petit siège soit placé sous les fesses du supplicié, sinon le poids du corps aurait déchiré les bras.
Reconstitution de la position du supplicié
Pouvons-nous préciser davantage la position des pieds sur la croix? Les anthropologues ne sentendent encore pas sur ce point. Il me semble que lopinion du docteur V. Moeller-Christensen soit la plus vraisemblable ; je la reproduis donc dans cette chronique. On remarque que les pieds sont cloués dans une sorte de petit coffret de bois, qui sera ensuite cloué sur la croix. Ainsi on commence par fixer les pieds dans cet étau; puis on doit sans doute clouer les bras à la barre horizontale de la croix (patibulum), pour hisser ensuite le corps au poteau (stipes crucis), en prenant soin de lasseoir sur le petit siège déjà en place. Quoiquil en soit diverses façons de reconstituer la position du crucifié sur la croix, il reste que le fait lui-même de la crucifixion vient de recevoir son premier témoignage archéologique.
Ce mode dexécution
des condamnés à mort était toutefois bien connu par
des textes anciens. Déjà sous Alexandre Jannée (103-76
av. J.-C.), la crucifixion était largement pratiquée ;
cette politique des chefs juifs sera tout simplement maintenue au temps
de la domination romaine ; Ponce Pilate ne semble pas avoir été
hésitant à utiliser ce supplice selon le témoignage
de Flavius Josèphe.
Orientaliste et exégète de l’Ancien Testament, Guy Couturier (1929-2017) était professeur émérite de l’Université de Montréal.
Source : Parabole i/4 (1979).