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Archéologie
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chronique du 16 décembre 2005
 

Les vignobles de Gabaon

 

Celliers

Anciens celliers de Gabaon
(photo : BiblePlaces.com)

L’auteur de cette chronique a pu suivre la découverte progressive des installations qui sont décrites ici, puisqu’elle eut lieu pendant ses études à l’École biblique de Jérusalem, à la fin des années 50. L’intérêt qui se développa aussitôt autour d’elle n’a jamais perdu son acuité ni son importance.

     En effet, on connaît bien l’utilisation de la culture de la vigne comme symbole de l’attention soutenue de Yahvé pour son peuple (Is 5,1-6), et de celle du Christ pour son Église (Jn 15,1-17). Les détails précis de cette activité champêtre, mentionnés dans ces paraboles, peuvent certes être expliqués ou illustrés par cette même activité dans les vignobles de France, d’Italie, et d’ailleurs, mais ils gagnent en justesse et vivacité s’ils sont replacés dans le même cadre géographique et dans la même époque de leur utilisation littéraire. Gabaon, ville bien connue de Juda à quelques kilomètres au nord de Jérusalem, fut le centre d’une industrie vinicole importante au cours des VIIIe et VIIe siècles avant J.-C. À vrai dire, c’est la première fois qu’une installation complète de cette industrie soit mise à jour.

     On ne doit pas en être trop étonné, car la Palestine était réputée pour l’abondance et la qualité de son vin. Le héros d’un roman égyptien (Sinué), dont les premiers témoins remontent déjà jusqu’à la fin du XIXe siècle avant J.-C., fut particulièrement impressionné par cette caractéristique palestinienne : il déclare que le vin y est plus abondant que l’eau! On se souvient aussi de l’ébahissement des éclaireurs envoyés par Moïse pour explorer le pays à conquérir : ne fallait-il pas deux hommes pour porter une seule grappe de raisins (Nb 13,21-27)? C’est là une bénédiction divine fort appréciable, source heureuse de la joie des hommes (Si 39,25-26), à condition d’en faire usage avec modération (Si 31,25ss); les dieux eux-mêmes l’apprécient avec goût, puisque le culte qui leur est destiné comprend très souvent de généreuses libations de vin (Jg 9,13; Dt 32,37-38; Jr 7,18; 19,13; etc.). Rien d’étonnant donc que la vigne soit épargnée quand la catastrophe finale s’abattra sur la terre (Ap 6,6)!

     Trois groupes de vestiges des VIIIe et VIIe siècles avant J.-C., sur une aire assez restreinte de Gabaon, appartient certainement à une industrie vinicole. Un premier groupe ne présente que des fragments de deux pressoirs, qui nous sont mieux révélés sur d’autres sites : on devine facilement deux cuves basses reliées à deux bassins plus profonds par des caniveaux, le tout creusé à même la surface rocheuse du site. Les raisins étaient écrasés sous les pieds des fouleurs (Is 63,3).
 

section horizontale   section verticale

Figure 1 : Sections horizontale et verticale des caves

     À côté de ces pressoirs fragmentaires on découvrit tout un réseau de « caves », 65 en tout, soigneusement creusées dans la même surface rocheuse. Elles ont la forme générale d’une large bouteille à fond plat. Elles n’ont pas toutes la même grandeur; leurs mesures moyennes sont de 2,2 m de profondeur, de 2 m de diamètre et de 0,67 m d’ouverture. Une observation remarquable mérite d’être signalée en tout temps de l’année, même pendant la saison chaude : elles conservent une même température de 18� celsius (fig. 1).

     Évidemment, les fouilleurs ont étudié attentivement la fonction probable d’un tel réseau de caves. Après examen minutieux, on écarta l’hypothèse qu’elles aient pu servir de citernes : aucun signe de plâtrage n’a pu être détecté sur leurs parois, pourtant un traitement nécessaire pour qu’elles puissent retenir l’eau, car la pierre est crevassée et légèrement poreuse. Un troisième groupe d’objets découverts dans le secteur, et parfois à l’intérieur même des caves, a permis de proposer une solution beaucoup plus vraisemblable.
 

anses

Figure 2 : Anses inscrites

     En effet, une quantité énorme de tessons de grandes jarres jonchait le sol de cette installation industrielle. Plusieurs de ces tessons furent aussi trouvés dans les caves elles-mêmes. Quelques-unes de ces jarres ont pu être reconstituées. Elles mesurent autour de 60 cm de hauteur, et présentent une même forme ovale; leur base est arrondie, et elles sont munies d’un col bas sur l’épaule. Leur capacité est de 35 litres environs. Ce qui est encore plus révélateur, c’est que chacune est munie de quatre anses attachées un peu en bas de l’épaule, dont une au moins portait une inscription. Une quantité étonnante de ces anses inscrites ont pu être déchiffrées. Trois éléments entrent dans la formule de base utilisée : on y trouve d’abord la mention de Gabaon, ce qui a permis d’identifier le site fouillé avec la ville biblique bien connue. Cette première indication est normalement suivie d’un terme rare, gader, dont la racine évoque un lieu clos, un jardin, un domaine. Enfin le nom propre d’une personne complète la formule; quatre noms reviennent très souvent, tous connus dans l’Ancien Testament : Hananyahu (Jean), Narâ, Azaryahu et Amaryahu (fig. 2).

     Devant toutes ces indications, les fouilleurs ont donc émis l’hypothèse fort sérieuse que cette installation n’est rien d’autre qu’une vaste exploitation vinicole. La température égale des caves est idéale pour la conservation des vins. Les jarres s’entassent bien dans les caves, sur une ou deux rangées. Des entonnoirs et des bouchons permettaient de les remplir et de les fermer de façon efficace. La capacité des caves découvertes, en tenant compte de la capacité même des jarres, permet d’évaluer à environ 95 000 litres le vin ainsi emmagasiné. La réputation de la Palestine comme productrice de bons vins en grande quantité et la mention fréquente de « clos » (gader) sur les anses nous invitent fortement à interpréter ces caves comme « caves à vin », en y ajoutant nécessairement cette précision presque émouvante : à Gabaon on produisait des vins de grande réputation, à « appellation contrôlée », puisque les jarres étaient marquées du nom propre des propriétaires du clos ou du vignoble, tout comme on le fait encore pour les grands crus de France et d’ailleurs! Cette coutume était déjà respectée en Juda, aux VIIIe et VIIe siècles avant J.-C.

Guy Couturier, CSC
Professeur émérite, Université de Montréal

Source : Parabole xiv/4 (1992).

Article précédent :
Le scribe Baruk, fils de Neriah

 

 

 

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