(photo : Anne-Marie Chapleau)
La Parole contrepoint et contrepoids
Anne-Marie Chapleau | 25 avril 2022
Depuis plus de deux ans maintenant, nous vivons au rythme d’une pandémie qui s’éternise, avec ses hauts et ses bas et toutes les conséquences que cela entraîne pour la population, des plus légères aux plus graves. Le moral de plusieurs personnes, on le comprend, en a été bien affecté. Les spécialistes nous rappellent les moyens à prendre pour aller mieux, dont le recours à la spiritualité. Malheureusement, il n’existe pas de comprimés de spiritualité. Pour être vivante et active, une spiritualité doit être « pratiquée », autrement dit avoir une place dans l’horaire. Parmi d’autres possibles, la spiritualité du récitatif recèle tout ce qu’il faut pour devenir une compagne quotidienne. Je ne parle pas ici d’une manière théorique, mais bien concrète : je l’expérimente en effet tous les jours.
Un « jeu de lumière »
Au moment d’en parler, une vieille notion musicale me revient à l’esprit, celle du contrepoint. Mon Multidictionnaire de la langue française le définit ainsi : « Art de composer de la musique en superposant plusieurs lignes mélodiques ». Mon fidèle Antidote ajoute : « Qui accompagne en parallèle quelque chose » et donne comme exemple « Un jeu de lumière en contrepoint d’un passage musical ». Je trouve que l’expérience régulière et même quotidienne du récitatif ressemble à cela. Les multiples paroles incorporées avec patience au fil des années, qui sont autant de déclinaison d’une unique et éternelle Parole, surgissent au moment opportun pour accompagner les mouvements de la vie et ses sursauts. Parfois, c’est seulement un verset qui joue en boucle en soi. Le temps consacré à la Parole devient alors Lectio divina, lecture divine de la Parole, mais aussi lecture divine de soi par la Parole qui nous révèle à nous-mêmes tandis que nous la « mâchons ».
La Parole fait contrepoint à tout ce qui surgit, tantôt pour aider à en trouver le sens, tantôt pour lui faire écho et y mêler de nouvelles harmoniques, mais tantôt aussi pour lui faire contrepoids. Elle devient le « jeu de lumière » qui nous empêche d’être dévitalisés par nos problèmes, que ce soit la langueur d’une pandémie qui s’étire ou, dans mon cas, l’inquiétude devant le déclin du monde. Alors oui, elle apporte un contrepoint et un contrepoids d’espérance dans nos sociétés qui en sont trop souvent dépourvues. Et alors, même si on a pu se tourner vers la Parole pour aller mieux, on réalise qu’elle est bien plus qu’un simple outil thérapeutique. Elle est constitutive de toutes les relations, à commencer par les plus fondamentales, celles que la foi chrétienne appelle les vertus théologales.
Foi, espérance et charité
La Parole ne change rien aux difficultés de la vie. Elle n’empêche pas de contracter le virus, de perdre son emploi ou une personne aimée. Elle n’intervient pas de manière magique pour changer le cours des événements. Mais elle est un puissant antidote au cynisme et à la démission, un moteur de l’espérance. Elle ravive au fond de l’être la foi, la conviction d’être accompagné. La Parole fait découvrir la présence discrète qui nous accompagne et qui est le véritable contrepoint à toutes les noirceurs du monde. La bercer quotidiennement en pratiquant le récitatif libère l’espace intérieur nécessaire à son action. Bien entendue, elle conduit à un agir inspiré par l’amour. J’aime ces mots si justes du jeune dominicain français Adrien Candiard recueillis dans son livre Veilleur, où en est la nuit? [1]
Sans le savoir, souvent, notre monde nous pose la même question : « Veilleur où en est la nuit? » Il nous interroge sur notre espérance, et il n’attend pas de nous des discours lénifiants, des théories rassurantes qui prouveront que tout ira mieux demain; le monde attend que nous vivions dans l’espérance c’est-à-dire que nous vivions pour l’éternité, que nous vivions pour ce qui compte vraiment et ne passera jamais (p. 93).
Et pour lui, cette espérance n’a rien d’abstrait. « Espérer est quelque chose de très concret : c’est croire que Dieu nous rend capables de poser des actes éternels » (p. 72-73). Et la question qui devrait nous habiter devant toutes les annonces de mauvaises nouvelles est la suivante « comment puis-je en faire une occasion d’aimer? » (p. 78).
Plus facile à dire qu’à faire, pourrions-nous répliquer. Sans doute! Cependant, pour que cette question en vienne à orienter notre vie et à la conduire vers sa pleine fécondité, se laisser habiter vraiment, quotidiennement, par la Parole me semble constituer un excellent point de départ! Pratiquer le récitatif biblique est une excellente manière de l’inviter à devenir contrepoint ou contrepoids à tout ce qui constitue nos jours!
Anne-Marie Chapleau est membre de l’Association canadienne du récitatif biblique.
[1] Adrien Candiard, Veilleur, où en est la nuit? Petit traité de l’espérance à l’usage des contemporains, Paris, Cerf, 2016.