(photo : Pixnio)
Le temps de « portage » en récitatif biblique
Hélène Pinard et Hélène Boudreau | 28 mars 2022
Lors de l’apprentissage d’un récitatif, il y a toujours un temps de « portage », d’incubation, c’est-à-dire un moment plus ou moins long entre les périodes d’enseignement ainsi que dans le quotidien qui suivra pour laisser la Parole s’installer en soi.
Pendant les sessions offertes en présentiel sur l’ensemble d’une fin de semaine, les deux nuits, celle du vendredi au samedi et celle du samedi au dimanche, permettent ce temps de « portage ». Pour ce qui est des sessions virtuelles, il y a un délai d’une ou deux semaines entre les rencontres d’apprentissage du récitatif qui rend possible l’enracinement de la Parole.
Que se passe-t-il durant ce temps de « portage »? La citation suivante de l’Évangile de Marc propose une parabole qui peut l’illustrer :
Et il disait : « Il en est du Royaume de Dieu comme d’un homme qui aurait jeté la semence sur la terre. Qu’il dorme ou qu’il se lève, de nuit et de jour, la semence germe et pousse, il ne sait comment. D’elle-même la terre produit du fruit… (Mc 4,26-27)
C’est ce qui se vit durant les libres pendant les sessions : spontanément, sans effort, des bribes du récitatif rejouent au cœur de la personne qui apprend.
Savoir-faire
Ces bouchées de souffle qui reviennent à la mémoire deviennent les premiers éléments à se mettre en place pour la reconstitution intérieure du récitatif. Ces premiers morceaux deviennent des points d’ancrage pour la mémoire. Au fil de la session, de nouveaux fragments de récitatif viendront s’y accrocher. Peu à peu, entre les périodes d’apprentissages formels, les remontées intérieures se font de plus en plus précises.
Parfois, des bouts de mélodies rejouent sans que les mots soient exacts, des mots reviennent, mais sans leur mélodie. Ou encore, ce sont des synonymes ou des paraphrases qui se substituent aux mots du récitatif. Il arrive qu’on oublie ou qu’on ajoute certains mots… La personne recrée ainsi le texte à son image, à la couleur de ses propres expériences.
La personne qui apprend ne trouve pas tout de suite l’ordre dans lequel ces paroles interviennent dans le récitatif. Elle peut vivre des frustrations parce qu’elle ne peut se rappeler volontairement tous les versets enseignés. Lorsqu’on demeure détendu et qu’on laisse rejouer sans forcer, ces bouchées de souffle, prennent peu à peu leur place par elles-mêmes favorisant ainsi la reconstitution intérieure.
Savoir
Le deuxième volet de nos sessions est l’étude de la péricope par les vitamines bibliques. On peut découvrir que la péricope à apprendre revêt un sens bien différent de ce qui avait été perçu au départ. Ce sens objectif peut révéler ce que le vécu, lors d’expériences plus ou moins intégrées, a modifié inconsciemment. À la longue, le conscient peut faire un lien entre le sens objectif du texte et accueillir ce qui se manifeste à l’intérieur de soi. Il est donc important de « porter » la Parole comme Marie : « Et Marie retenait toutes ces paroles, les récitant dans son cœur ». (Lc 2, 19) Ce « portage » permet à la Parole de « produire du fruit ».
Savoir-être
Lors de sessions, le fait d’être hors de son cadre habituel de vie permet l’approfondissement intérieur :
« Il a creusé, approfondi et à poser un fondement sur la pierre » (Lc 6,48).
L’objectif des activités d’intégration proposées tout au long de la session est justement de favoriser le « portage ». Pour cette raison, à la fin de la première soirée, les participantes repartent habituellement avec une question d’intériorisation. Elles sont invitées à « dormir dessus ».
Lors de moments de solitude, que ce soit durant la nuit ou pendant une marche en silence, des extraits du récitatif en apprentissage remontent. Tout à coup, d’autres récitatifs ou d’autres textes connus refont surface. Ces remontées sont révélatrices de mouvements intérieurs qui cherchent à se manifester à la conscience de la personne qui apprend. À chacune de s’y arrêter, de se mettre à l’écoute. Qu’est-ce que ces paroles disent de moi? Qu’est-ce qu’elles révèlent à mon sujet, au sujet de ma relation avec le Seigneur? Qu’est-ce qu’elles dévoilent de ce qui se passe profondément en moi? Peu à peu, des liens se tissent.
À force d’écoute, d’accueil en douceur, certaines blessures émergent à la conscience et pourront éventuellement entraîner une libération intérieure. Grâce à ces paroles du récitatif qui remontent, la paix du cœur peut prendre place au quotidien.
Le temps de « portage » suppose qu’on lui reconnaisse et accorde le temps nécessaire à son déploiement. Il constitue donc une richesse offerte par la discipline du récitatif biblique.
Hélène Pinard, FCSCJ, est bibliste et transmetteure de l’Association canadienne du récitatif biblique. Hélène Boudreau est aussi transmetteure de l’Association.