Sur le chemin d’Emmaüs. Janet Brooks Gerloff, 1992. Huile. Abbaye bénédictine de Kornelimünster (Pinterest).
Les grâces de l’accompagnement spirituel dans les récitatifs bibliques
Jeanine Deshaies Roy | 28 septembre 2020
Et le Verbe s’est fait chair
et Il a habité parmi nous (Jean 1, 14)
Que signifie cette Parole que nous récitons à l’Angelus, sinon que le Verbe habite déjà en nos cœurs, que sa Parole vivante est déjà en nous et ne demande qu’à s’éveiller pour s’accomplir dans l’aujourd’hui de nos vies!
Cette réalité est vécue depuis des siècles. En parcourant les Œuvres complètes de sainte Thérèse de Jésus [1] cet été, je fus frappée par cette affirmation de sainte Thérèse d’Avila dès 1535-36 : « La personne humaine ne peut entrer en oraison sans bien se connaître elle-même. » Ce qui sous-entend : avant de vouloir entrer dans ta propre dynamique spirituelle, regarde-toi dans ta vérité avec tes défauts et tes qualités, tes grâces et vertus ainsi que tes fautes et manquements. Cela oblige la recherche de sa vérité intérieure.
Mais comment cela se fait-il?
Voici un exemple : nous sommes à l’été 2019 dans un des nombreux regroupements du Récitatif biblique pour apprendre le verset de Luc 23,26 qui se chante comme suit :
Quand ils l’emmenèrent,
ils prirent un certain Simon de Cyrène
qui venait de la campagne
et ils le chargèrent de la croix
pour la porter derrière Jésus.
Ce qui se passe dans mon corps au moment de chanter et d’associer les gestes « Ils prirent un certain Simon de Cyrène », c’est une rencontre intérieure entre des éléments de mon passé et la vérité du texte : « être pris sur le champ pour vivre quelque chose d’inattendu ». Ainsi, la parole chantée et rythmée, soutenue par la mélodie liée au geste, avaient pénétré en moi, traversé mon corps et pris contact avec des signes évidents ou des « traces de blessures » qui demandaient à être identifiées, comprises et pardonnées. Cela peut avoir rapport avec la dureté de cœur, des douleurs physiques, des paroles autoritaires qui me saisissent à l’improviste parce que non-résolues.
Oui, la Parole de Dieu est déjà présente en chacun de nous. Mais lorsqu’on la rythme, les mémoires corporelles, situationnelles et sensitives s’éveillent, s’unissent et touchent des éléments de notre vécu pour se dire et nous dire : « Cette Parole est vivante pour toi aujourd’hui. Prends en soin! Écoute Jésus qui, aujourd’hui, se fait Présence pour se dire à toi. Il ne t’abandonne pas ». De là toute l’importance de reconnaître ces paroles qui sont restées imprégnées au-dedans de soi et qui sont prêtes à être traitées avec amour à cause des racines blessées et touchées dans la trame de mon histoire personnelle.
Après ce premier contact avec moi-même, en tant qu’écoutante désignée, je devais m’occuper des autres personnes qui réagissaient fortement à ce même verset. Certaines pleuraient, d’autres quittaient la pièce, ou ne bougeaient plus tellement elles étaient figées par la surprenante réalité spirituelle que leur imposait le verset du Cyrénéen en Luc.
Cette longue chaîne de souffrances liées au « portement de sa croix ou de celle de Jésus » se vit de façon inégale et inédite d’une personne à l’autre, mais c’est toujours la même chaîne qui va jusqu’au verset imprimé dans notre corps et dans notre cœur. En accompagnement, c’est cela qui se passe : ce qui vibre à l’intérieur de la personne accompagnée fait écho chez celle qui accompagne et vice versa, tel un diapason. L’écoutant devient en syntonie avec la personne accompagnée. De sorte que les deux sont en mesure de travailler ensemble ce que Jésus, le Père et l’Esprit Saint font entendre à travers cette secousse intérieure.
C’est ainsi que les grâces de l’accompagnement spirituel se vivent à l’intérieur des récitatifs bibliques. Dans ce verset de Luc, l’extrémité de la racine biblique pouvait aller jusqu’à l’accompagnement d’une personne qui portait la Croix de Jésus au même titre que Simon de Cyrène. Et, à l’autre bout du spectre, l’accompagnement de quelqu’un ayant subi de lourds sévices dans l’esclavage ou qui s’est senti brusquement réquisitionné pour terminer une tâche non-consentie.
De la même manière que le terreau interne diffère d’une personne à l’autre, la résonnance d’un verset atteint parfois des profondeurs inattendues. Quand la personne qui reçoit un verset prend le temps de se laisser mouvoir par lui, c’est tout un nouvel ajustement de vie qui est appelé à s’identifier, à se faire accepter et à se développer en harmonie avec la personne.
Si mon rôle d’accompagnatrice est d’être présente à la personne qui vit ces manifestations spirituelles dans son corps et tout son être, je ne dois jamais oublier que dans toutes ces dimensions, Jésus, Parole de grâce est toujours là, présent et vivant au cœur de chaque personne.
Jeanine Deshaies Roy est intervenante en psychospiritualité et membre de l’Association canadienne des intervenants psychospirituels.
[1] Œuvres complètes de sainte Thérèse de Jésus, Paris, Seuil, 1949, 1598 pages.