Le roi David. Première bible imprimée en allemand, à Strasbourg. Johann Mentelin, c. 1466. Bridwell Library, Texas.
Adapter un récitatif dans une langue autre que le français
H. Pinard, F. Monse Ludwig et H. Boudreau | 24 février 2020
« Traduire un chant d’une langue à une autre, c’est comme danser les mains et les pieds attachés. » (Miklós Takács, chef de chœur, pédagogue de la musique, 1932-2015)
Marcel Jousse a non seulement redonné ses lettres de noblesse à la transmission orale de textes bibliques, mais il y a intégré gestes, mélodies et balancement pour créer ce qu’on nomme maintenant des récitatifs bibliques. Tous ses récitatifs ont été créés en français.
Au Canada, depuis plus de quarante ans, Louise Bisson a créé plusieurs récitatifs bibliques, eux aussi en français. Il y a quelques récitatifs qui ont été transposés dans d’autres langues, comme le Psaume 8 en espagnol. Cependant, ces adaptations sont très rares.
Lorsque l’on désire adapter ou transposer un récitatif dans une langue autre que le français, il faut envisager un travail d’envergure qui comporte davantage d’aspects que la traduction d’un texte d’une langue à une autre.
En effet, ce travail de transposition d’un récitatif dans une autre langue est en soi une création nouvelle. Elle doit tenir compte de plusieurs facteurs.
Tout d’abord, au niveau des choix de mots du texte, la personne qui adapte le récitatif doit veiller à adopter une traduction la plus proche possible du texte d’origine. Il y a là matière à un important travail de recherche et de traduction biblique.
Une fois cette étape complétée, le travail d’adaptation et/ou de composition mélodique peut débuter. Dans les récitatifs existants, les mélodies composées épousent les intonations naturelles de la langue française. L’enchaînement des gestes respecte la syntaxe francophone.
Afin de respecter les intonations de la langue dans laquelle on adapte le récitatif, il est souvent nécessaire de modifier la mélodie existante, voire même d’en composer une nouvelle.
Ainsi, lorsque Mme Friederike Monse Ludwig adapte une péricope du français à l’allemand, elle réalise très vite que le texte allemand ne peut être simplement superposé à la mélodie existante. Il arrive souvent que le nombre de syllabes en allemand est de beaucoup supérieur à ce qu’il est en français. De plus, le rythme de la langue, les temps forts d’une phrase ne se présentent pas de la même façon en allemand et en français. Pour une même péricope, le contour mélodique sera en général différent dans les deux langues.
De plus, la syntaxe allemande diffère beaucoup de la syntaxe française. Une des différences notoires entre le français et l’allemand est la structure des phrases. Par exemple, souvent, en allemand, les verbes sont partagés en deux segments. Le deuxième segment est souvent le dernier mot de la phrase. Ceci affecte donc la forme que prendra la mélodie. Mme Monse Ludwig recherche donc dans ses adaptations de récitatif une fluidité mélodique qui respecte les intonations germaniques.
L’ordre des mots détermine aussi l’ordre des gestes. Ainsi, il est fréquent que l’ordre des gestes pour un même récitatif soit inversé en allemand. Qui dit modification de l’ordre des gestes dit aussi enchaînement des gestes. Les gestes ne s’enchaînent donc pas de la façon quand Mme Monse Ludwig récite en français ou en allemand. Une recherche gestuelle doit être faite pour veiller à l’enchaînement des mouvements assurant ainsi la fluidité des gestes qui facilite l’apprentissage et l’intégration du récitatif. Ce travail gestuel est généralement facilité par ce qui se fait déjà en français. Cependant, il ne s’agit pas d’un simple transfert mais d’une adaptation ajustée aux réalités culturelles, sociales et parfois même géographiques allemandes.
Il n’y a pas de transfert direct possible entre l’ensemble paroles/musique/gestes du français vers l’allemand. Chaque péricope mise en récitatif en allemand devient un cas particulier.
Pourquoi se donner tant de peine et d’efforts pour réaliser une adaptation d’un récitatif dans une autre langue? Recevoir, apprendre, réciter une péricope dans sa langue maternelle résonne de façon plus naturelle. Les vibrations intérieures portent davantage de sens dans une langue que l’on maîtrise et qui porte notre histoire que dans une langue seconde. Ainsi, les récitants germanophones goûteront davantage le texte biblique dans une adaptation allemande d’un récitatif que dans la version originale en français. Le récitatif biblique est une manière d’être en relation avec Dieu, manière d’autant plus ajustée qu’elle se vit dans sa langue maternelle.
Hélène Boudreau, Friederike Monse Ludwig et Hélène Pinard sont membres de l’Association canadienne du récitatif biblique.