Jésus tombe pour la deuxième fois. © Jen Norton, 2019. Acrylique sur bois, 30,5 x 30,5 cm (avec autorisation).
Le mystère pascal – NT 5
Paul-André Durocher | 27 mars 2023
Référence biblique : Philippiens 2, 6-11
Liturgie des Heures : Dimanches I-IV, Premières vêpres (les samedis soirs)
Le Christ Jésus,
6 ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement
le rang qui l’égalait à Dieu.
7 Mais il s’est anéanti,
prenant la condition de serviteur.Devenu semblable aux hommes,
reconnu homme à son aspect,
8 il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort,
et la mort de la croix.9 C’est pourquoi Dieu l’a exalté :
il l’a doté du Nom
qui est au-dessus de tout nom,10 afin qu’au nom de Jésus
tout genou fléchisse
au ciel, sur terre et aux enfers,11 et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est Seigneur »
à la gloire de Dieu le Père.
À l’origine. Le cantique NT 5 est tiré de la lettre de saint Paul aux Philippiens. On y reprend un passage où l’auteur semble citer une hymne qui aurait été connue par la jeune communauté de Philippes. Cette hymne présente la vie de Jésus comme un drame. Elle contemple d’abord Jésus qui, dans ce monde, entreprend un long processus de dépouillement où il se fait graduellement arracher tout ce qui normalement lui aurait donné plaisir ou honneur. Sa nature divine est cachée, de sorte qu’on ne voit que sa fragile humanité. Il naît et vit dans la pauvreté. Il renonce à tout pouvoir sur les autres et se fait serviteur — le mot grec se traduit aussi comme esclave. Il est abandonné de tous, rejeté et trahi. Il descend jusqu’à la mort, et pas n’importe quelle mort : une mort cruelle et abjecte, celle réservée aux pires criminels, la mort sur la croix.
Mais — et c’est un « mais » important — le vide ainsi créé en Jésus ne reste pas vide. La puissance de l’Esprit jaillit en lui, soudaine et irréversible. L’extrême dépouillement de Jésus fait place à l’emprise absolue de l’amour du Père en lui, un amour qui éclate au matin de Pâques dans la vie nouvelle de la résurrection. De plus, cet amour l’élève au-dessus de toute la création. La gloire de Dieu le Père l’emplit, de sorte que tous les peuples viennent à reconnaître que l’homme Jésus n’est nul autre que le Seigneur de l’univers.
Sources juives. On ne peut lire ce cantique sans penser au quatrième chant du serviteur souffrant, Isaïe 52,13 – 53,12. À l’inverse de saint Paul, le prophète commence par proclamer son éventuelle victoire : « Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ; il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! » (52,13) Après avoir ainsi prédit le dénouement, Isaïe décrit son abaissement : « Il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme (52,14)… Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. » (53,4) Isaïe l’explique ensuite le retournement de la situation : « Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours… il verra la lumière. » (53,10-11)
On ne peut en douter, l’hymne aux Philippiens (comme on appelle souvent NT 5) reconnaît en Jésus celui qui accomplit la prophétie d’Isaïe. Mais selon Paul, la réalité dépasse notre espérance. Pour saisir la pensée de Paul, il faut savoir qu’à l’époque de Jésus, les Juifs ne prononçaient pas le nom de Dieu — YHWH — depuis des siècles, par crainte de manquer de respect. Même lorsqu’ils lisaient les Écritures, ils remplaçaient ce nom par un autre titre, Adonaï — mon maître. Les Juifs d’Alexandrie substituèrent l’expression Kyrios — Seigneur — pour Adonaï lorsqu’ils traduisirent les Écritures en grec quelques siècles avant Jésus. En affirmant que Dieu donne ce même nom à Jésus ressuscité, saint Paul professe sa foi dans le Christ comme égal de Dieu. Bien plus que le serviteur entrevu par Isaïe, Jésus est revêtu de la gloire divine qui lui appartient depuis les origines. Nous découvrons que c’est Dieu lui-même qui, sur la Croix, mourrait par amour pour l’humanité.
Dans ma vie. Comme vous, j’imagine, je tiens à mes acquis de toutes mes forces. Ma réputation, je veux que personne n’y touche. Mon argent, c’est pour moi et mes proches. Je suis jaloux de mes amitiés et de mes connaissances. Je protège ma santé comme un bien précieux à conserver. C’est comme si ma sécurité et mon identité dépendaient de tous ces biens. Jésus, au contraire, met son entière confiance en Dieu seul. Son identité dépend uniquement de sa relation au Père. Tout le reste pour lui est secondaire, au point où il peut tout abandonner pour ne s’attacher qu’au Père. Il peut ainsi se laisser déposséder de tout, vider de lui-même.
Peut-être y a-t-il là une leçon pour nous tous. Peut-être Jésus veut-il nous faire voir la pauvreté, la fragilité et la fugacité des réalités dans lesquelles nous investissons notre sécurité. Se peut-il que, nous aussi, nous soyons appelés à laisser la vie nous dépouiller, nous appauvrir et nous vider ? Les mystiques affirment que ce processus mystérieux permet d’être rempli de l’amour de Dieu le Père. Oui, Dieu veut nous élever dans la gloire divine avec Jésus, son Fils bien-aimé. Nous n’avons qu’à tout donner par lui, avec lui et en lui… par amour.
Dans le plan de Dieu. En prophétisant que l’univers entier acclamera Jésus avec le titre réservé à Dieu — Seigneur — Paul exprime sa conviction que la Bonne Nouvelle de la victoire de la vie sur la mort sera un jour partagée avec tous les peuples. J’ai mon rôle à jouer dans la réalisation de cette vision. Comme les Philippiens qui célébraient le triomphe du Christ dans ce cantique, comme Paul qui l’a repris dans la lettre qu’il leur a écrite, nous sommes conviés à témoigner par nos vies et nos paroles que Jésus est Seigneur. En suivant le Christ, en nous donnant totalement comme lui, nous devenons un signe vivant, un sacrement du salut que cherchent tant d’hommes et de femmes de notre temps. En lui, nous trouvons le sens de nos vies, le but de notre existence, le chemin de lumière et la force d’y marcher. N’ayons pas peur de plier le genou avec nos frères et sœurs dans l’assemblée et d’élever nos voix dans une grande acclamation : « Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. »
Mgr Paul-André Durocher est archevêque de Gatineau (Québec).