Le Psaume 94. Artiste flamand, circa 1420. Encre et pigment sur parchemin. The Walters Museum, Baltimore.
Le Psaume 95 : louanges et exhortations
Jean Grou | 27 février 2023
Lire le psaume (version liturgique)
Le Psaume 95 (94) pourrait être qualifié de « chouchou » du Lectionnaire tellement il y figure souvent. Il revient en effet quatre fois dans le volume dominical, quatre autres fois dans le férial et une fois dans le sanctoral. Il faut dire qu’il comporte des invitations à louer le Seigneur et à lui rendre grâce qui se prêtent bien à l’usage en contexte eucharistique. De plus, ce psaume constitue le chant d’ouverture de l’office du matin dans la liturgie des Heures. Bref, c’est un incontournable de la liturgie catholique!
Un psaume qui « annonce » Jésus
S’il en est ainsi, c’est non seulement parce que ses appels à la réjouissance et à la louange conviennent bien au contexte d’une célébration mais aussi parce qu’il comporte plusieurs éléments qui peuvent être reliés au Christ. Le plus significatif est l’évocation du séjour dans le désert des ancêtres israélites durant quarante années, au cours desquels ils ont « tenté et provoqué » le Seigneur (v. 9). Jésus a aussi séjourné dans le désert, le même nombre de jours, quarante, que les années des Israélites. Mais lui, au contraire, a échappé au piège du diable qui voulait le contraindre à tenter son Père (Matthieu 4,1-11).
Un autre aspect significatif à cet égard est la mention du troupeau (v. 7). Jésus s’est lui-même comparé à un berger soucieux des brebis désemparées et potentiellement menacées par des prédateurs. Signalons aussi la question au verset 7, « Écouterez-vous sa parole? » qui peut être rapprochée de l’exhortation lancée par la voix divine dans le récit de la Transfiguration à propos de Jésus : « Écoutez-le! » (Matthieu 17,5) Enfin, signalons l’image du « Rocher » (v. 1) pour parler du Seigneur. Jésus compare la personne qui écoute sa parole à une maison construite sur le roc (Matthieu 7,24-25). Bref, le Psaume 95 (94) a tout pour nous amener à tourner les yeux vers Jésus.
Un rituel de renouvellement de l’Alliance
Mais en amont d’une interprétation chrétienne de ce psaume, qu’en est-il de son contexte d’origine? Le plus plausible, c’est qu’il reflète un rituel de renouvellement de l’Alliance. En effet, il s’ouvre par des appels à participer activement à la célébration (v. 1-2), qui devait être lancés par des prêtres. Suit la réponse, probablement de l’assemblée (v. 3-5), qui appuie son adhésion sur l’œuvre de création du Seigneur (« à lui la mer, c’est lui qui l’a faite, et les terres »). Puis, les prêtres exhortent les fidèles à adopter les comportements et les dispositions qui convient à une célébration de cet ordre : « Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, adorons le Seigneur. » (v. 6) Le ton est solennel, indice de l’importance de ce rituel. L’assemblée répond de nouveau, en se référant cette fois aux actes de libération de Dieu (v. 7ab). Ce dernier, après avoir été proclamé comme créateur (v. 3-5), est ici louangé en tant que libérateur, sauveur.
Les prêtres reprennent ensuite la parole et lancent une exhortation qui résonne un peu comme une homélie ou un sermon (v. 7b-9). Le mot qui ouvre cette exhortation est d’ailleurs significatif : « Aujourd’hui ». On a donc droit ici à une actualisation de la parole de Dieu. En effet, la louange que l’assemblée vient d’adresser au Dieu créateur et libérateur se réfère certes à des œuvres et exploits divins du passé, mais elle concerne aussi le présent, ce que vit le peuple concrètement au quotidien. Il est de sa responsabilité d’écouter le Seigneur afin de ne pas tomber dans le même piège que ses ancêtres lors de leur séjour dans le désert. Ils avaient, en effet, tenté et provoqué Dieu, remettant en question sa présence parmi eux et sa capacité à agir en leur faveur. La vérité du rituel de renouvellement de l’Alliance se vérifie dans les conséquences concrètes que les fidèles mettront à l’œuvre dans leur vie.
Une conclusion un peu troublante
Dans les deux derniers versets (v. 10-11), Dieu prend enfin la parole. Ses propos se situent dans le prolongement de ce que les prêtres viennent de dire, rappelant les égarements des Israélites commis durant ses quarante ans passés dans le désert. La conséquence est plutôt troublante. En effet, Dieu déclare : « Jamais ils n’entreront dans mon repos. » Il faut comprendre ici que ce « châtiment » concerne les membres du peuple qui ont définitivement tourné le dos au Seigneur et non ceux qui se sont repentis et lui sont revenus. Dieu ne peut pas forcer quelqu’un qui le refuse à entrer dans son repos.
Un chant communautaire
De manière générale, une des caractéristiques principales du Psaume 95 (94) est sa dimension résolument collective. Les verbes sont conjugués à la première ou la deuxième personne du pluriel, mis à part dans les deux derniers versets où c’est Dieu qui parle. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait pris une place si importante dans la liturgie de l’Église catholique, qui est de nature fondamentalement communautaire. Il peut très bien s’intégrer à la prière personnelle, mais son milieu « naturel » est le rassemblement eucharistique ou autre. En le chantant, les fidèles s’interpellent, pour ainsi dire : « Venez, crions de joie! […] Entrez, inclinez-vous. […] Ne fermez pas votre cœur… » Autant d’invitation à entrer dans le mouvement de la célébration, à y participer de tout son corps et de tout son esprit. Le rappel de l’œuvre créatrice et libératrice de Dieu qui y résonne constitue le motif d’action grâce par excellence de la liturgie chrétienne.
Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.